Article initialement publié en juillet 2017

Et si votre chef était remplacé par un algorithme ? La startup israélienne Backfeed a créé un système de gouvernance décentralisé basé sur le processus blockchain. Son fondateur, Matan Field, assure s'être inspiré des kibboutz pour imaginer sa plateforme collaborative "prête à l'emploi". Le protocole blockchain prend la place de l'autorité et organise toute la vie de la société. Chaque salarié peut créer et rejoindre des projets, soumettre librement des contributions.

Il se voit automatiquement attribuer un score de "réputation" en fonction de son niveau de participation (contribution ou commentaire jugé utile). Plus sa réputation est élevée, plus il aura un pouvoir de notation sur ses pairs. Car c'est aussi la communauté qui, à la majorité, décide de la rémunération de chacun. La fin des évaluations annuelles et des sempiternelles demandes d'augmentation auprès de son "chef". Tout est transparent et gravé dans le marbre de la blockchain, librement consultable.

Selon Backfeed, le système permet à la fois l'émergence de consensus et l'émergence de points de vue alternatifs, en encourageant notamment les "bifurcations" dans les projets. Le business model de Backfeed repose sur une sorte une licence d'exploitation à vendre à l'entreprise, que celle-ci pourra adapter comme dans le cas des marques blanches. Pour l'heure, seuls Hylo, un réseau social collaboratif et OuiShare, qui organise des événements autour d'idées ou de communautés, sont utilisateurs.

Comme Backfeed, Colony.io promeut l'intelligence artificielle de la blockchain pour "auto-organiser" les entreprises et mesurer la productivité de chaque membre. Fondée par l'artiste joaillier Jack Du Rose, la startup a créé sa propre monnaie, le "nectar", pour rémunérer les contributeurs. D'autres startups font le pari de se passer complètement de la structure de l'entreprise. Zapchain (NDLR : qui a, depuis la publication initiale de l'article, été fermée) permettait à chaque individu ou PME de créer une communauté sur un sujet ou un projet donné. N'importe qui pouvait alors proposer sa solution ou son avis et le système rémunérait les meilleurs en Bitcoin. Une sorte d'Uber de la créativité.

La tyrannie du tout-collaboratif

Ces initiatives s'inscrivent dans une tendance lourde, celle du management "plat",  où chacun gère lui-même son temps et son rôle au sein de l'entreprise (holacratie, coopératives, "entreprise libérée"...). 58% des grandes entreprises disposent aujourd'hui d'un réseau social interne selon le cabinet de conseil Lecko, et le succès d'applications comme Slack ou Evernote témoigne d'une véritable attente dans ce domaine.

Mais peut-on gérer des relations humaines comme des transactions financières ? Et surtout, ce mode tout-collaboratif est-il applicable à toutes les entreprises ? Pour Mark Bolino, professeur à l'université d'Oklahoma, certains employés sont tellement désireux de participer qu'ils sont ensuite sollicités sur n'importe quel sujet, y compris ceux qu'ils ne maîtrisent pas. Ils deviennent aussi des "goulets d'étranglement" : plus rien ne se passe avant qu'ils aient donné leur avis. Et ce alors que l'algorithme leur donnera une encore plus grande valeur.

Autre risque : celui que les salariés passent plus de temps à essayer de "gagner des points de notoriété" au détriment d'un vrai travail de fond. Un peu comme la "culture du chiffre" dénoncée par certains dans la police. Bref, si l'intérêt de la blockchain dans le paiement semble à peu près établi, sa pertinence sur un sujet aussi délicat que le management reste encore en suspend.