11 novembre 2019
11 novembre 2019
Temps de lecture : 6 minutes
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"La colonisation expérimentale de Mars semble utopique"

En décembre 2017, nous avions interviewé Alain Souchier, président de l'Association planète Mars et ingénieur en propulsion spatiale. Disparu depuis, l'homme récompensé du grade d'officier dans l'Ordre National du Mérite pour ses activités nous a dépeint ce qui pourrait ressembler (ou non) au futur de la vie sur Mars.
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Pourquoi l’humain souhaite-t-il absolument aller sur Mars ?

Une exploration martienne pourrait prouver que l’on n’est pas restreint uniquement à la vie sur Terre, et que le monde n’est pas totalement fermé. À chaque fois que l’Homme a affronté un nouveau milieu, il a fait des progrès. Déjà, pour la science : on arrive à élargir nos visions des modèles de la Terre en explorant les planètes qui sont autour. C’est par exemple grâce à Vénus et sa température démentielle qu’on a découvert l’effet de serre du gaz carbonique.

On sait déjà que dans le passé, Mars a été habitable et n’a pas toujours été aussi aride. On y a retrouvé des traces de lacs en surface, ni trop salés, ni trop acides. Elle possède des ressources dont celles dont on aurait besoin pour s’établir, ce qui n’est pas le cas de la Lune ni des astéroïdes dont l’intérêt s’arrête à l’exploitation minière, et encore moins de Vénus dont la température au sol avoisine les 400 degrés.

Est-il aujourd’hui possible de survivre sur une autre planète ?

Les conditions hors de la Terre dépassent complètement les capacités d’adaptation de l’Homme. Il est nécessaire de maintenir autour de l’astronaute ou de l’explorateur un mini environnement terrestre. C’est le rôle des systèmes de contrôle de l’environnement qui sont nécessaires aussi bien pour le voyage entre les planètes que lorsqu’on est sur les planètes.

Il faut ainsi maintenir un environnement où l’oxygène est fourni à pression suffisante. Sur Terre nous vivons dans une atmosphère contenant 20% d’oxygène. La respiration rejette du gaz carbonique, duquel il faut extraire l’oxygène. Ce traitement peut se faire aussi bien dans un scaphandre que dans l’habitat.

La gestion de l’eau est également critique. En attendant le jour où on utilisera de l’eau martienne, il faut envisager de recycler à 95% l’eau qui provient de la respiration, des urines ou des déchets. Par exemple, pour une mission de quatre hommes sur 500 jours, on part avec 9 tonnes d’eau. Sans recycler, ce serait 140 tonnes d’eau qu’il faudrait envisager d’embarquer. La station orbitale procède déjà à ce genre de traitement et met au point les technologies correspondantes.

À quoi servent les simulations martiennes réalisées sur Terre ?

L’objectif de ses simulations, c’est de préparer l’exploration spatiale, et celle de Mars en particulier. Les premiers explorateurs devront patienter 500 jours sur Mars avant que les conditions soient réunies pour leur retour sur Terre. Travailler pendant des périodes aussi longues et dans des conditions aussi difficiles de manière efficace, exige une adaptation des outils, des méthodes de travail, des technologies, des protocoles d’expérience et de l’organisation en général.

On choisit des terrains qui géologiquement ont des ressemblances avec les terrains martiens afin que les expériences conduites sur Terre aient une forte analogie avec ce qui sera fait sur place.

Le développement des nouvelles technologies a-t-il accéléré la possibilité d’un voyage sur Mars ?

Pour les premières missions d’exploration, les technologies fondamentales sont maîtrisées. Il faudra toutefois assurer la fiabilité sur le long terme et la capacité à maintenir et réparer la gestion des équipements de rechange. C’est ce sur quoi travaillent aujourd’hui des laboratoires et ce qui s’expérimente tous les jours à bord de la station internationale.

La plupart des projets prévoient de fabriquer le carburant de retour directement sur Mars, afin d’alléger ce que l’on doit embarquer depuis la Terre. C’est une idée qui est née dans les années 1990. Les solutions initiales consistaient à emmener de l’hydrogène depuis la Terre, et de le faire réagir avec l’atmosphère martienne, constituée de gaz carbonique, afin de créer du méthane et de l’oxygène. Avec six tonnes d’hydrogène, vous faites 115 tonnes d’oxygène et de méthane. Ça fait 109 tonnes que vous n’avez pas à emmener.

Qu’attend-on alors pour aller explorer Mars ?

Dans les années 1960, c’est la compétition entre Russes et Américains qui a poussé les nations à se dépasser. Sans cela, on n’aurait peut être même pas encore mis les pieds sur la lune.  Les premiers voyages martiens, dans l’euphorie des mission lunaires, étaient prévus dans les années 1970/1980. Je pense qu’à cette époque, nous n’aurions pas eu les moyens de le faire mais maintenant que nous les avons, nous souffrons d’un réel manque de compétition.  

Une excuse souvent citée, est le coût d’un tel projet. Pourtant, et à condition de s’arrêter à une architecture la plus simple et la plus adaptée possible, celui-ci est comparable au coût de la station spatiale, c’est à dire de l’ordre de 100 milliards de dollars répartis sur 15 à 20 ans au niveau mondial. Ça n’est pas donné, certes, mais ça rentre tout à fait dans les budgets des grands États, surtout si l’Europe, le Japon, les États-Unis et la Russie se mettaient à travailler main dans la main. C’est d’autant plus facile aujourd’hui que beaucoup plus de pays ont acquis une industrie spatiale.

On s’aperçoit qu’on a toutes les briques élémentaires pour le faire mais il faut les intégrer dans un ensemble effectivement assez complexe. C’est un risque à prendre. Cet argument du risque n’est pas mis en avant par les astronautes eux-mêmes mais par les décideurs. Pourtant, si on refuse tout risque, on stagne, il n’y a pas d’innovation et on est condamnés au déclin.

Elon Musk veut débuter ses premiers vols habités vers la planète Mars d’ici 2024, est-ce réalisable ?

C’est utopique. La particularité de Musk, c’est qu’il dit des choses extraordinaires mais qu’il ne peut pas les réaliser dans les temps. Il réussit ce qu’il dit mais jamais dans les délais. Je pense qu’il réussira après la NASA ou du moins qu’il s’associera avec la NASA pour les premières missions, d’ici 2030.

La NASA, de con côté, annonce l’envoi d’une mission autour de Mars d’ici 2033, sur Phobos. C’est deux fois plus facile que d’aller sur Mars, parce qu’il ne faut pas développer le module pour descendre et en plus, il n’y aurait pas de risque de contamination  de la planète rouge par les humains. La vraie mission sur Mars devrait arriver d’ici 2040.

De manière plus prospective, est-ce un vrai sujet de démocratiser la vie dans l’espace ?

Il est vraiment difficile pour le moment d’imaginer des circuits économiques valides sur Mars d’ici 40 ou 50 ans. Une potentielle vie sur Mars passera par la validation de plusieurs phases expérimentales assez longues. La première, que nous vivons actuellement, est de mettre en place des explorations afin de découvrir ce qu’il y a sur la planète. Cette première étape validée, la deuxième phase permettra d’installer des bases scientifiques de 20 à 30 personnes sur la planète, puis, dans un troisième temps, d’envisager un début de colonie expérimentale, uniquement si la seconde phase est convaincante. Jusqu’au stade de la base scientifique, ça peut facilement se jouer, ensuite, cela semble plus utopique.

Article initialement publié en juin 2018