La France connaît depuis 2015 un boom de l’investissement dans l’amorçage. En dehors d’un certain rattrapage, plusieurs courants forts ont convergé pour faire de notre pays une nation de startups. Les fonds d’investissements se sont professionnalisés, les compétences de nos ingénieurs sont en parfaite adéquation avec les besoins du moment en IA et l’écosystème, avec ses accélérateurs, pépinières est devenu particulièrement fertile.

L’excellente nouvelle de ce mouvement de fond est que les diplômés de nos meilleures écoles se tournent désormais vers l’entrepreneuriat qui est devenu " tendance " alors qu’auparavant ils allaient nourrir les rangs de la finance mondiale. Les grandes entreprises aussi sont entrées dans la danse. Elles ont monté sous des formes différentes des pépinières internes d’accueil de startups pour conserver leurs talents et en attirer de nouveaux. Elles financent, parrainent, priment des projets dans leur secteur d’activité comme si des micro-entreprises allaient pouvoir accélérer leurs immenses paquebots.

En 10 ans nous avons réussi l’exploit en France de créer un vaste écosystème pour faire fleurir de jeunes pousses et insuffler à nos meilleurs diplômés le virus de la création d’entreprises. Mais que va-t-il se passer dans les 10 ans à venir ? La moitié d’entre elles vont mourir, c’est la loi statistique pour les startups et ce, partout dans le monde. L’autre moitié va connaître des aventures diverses ; certaines seront absorbées par des grands groupes, d’autres vont trouver leur marché et devenir des PME rentables, quelques-unes deviendront des centaures puis des licornes.

Remettre en cause la logique des fonds ?

En réalité, autant un réel écosystème pour lancer les startups s’est mis en place, autant rien de significatif n’a été prévu pour la suite… ce qui pose la question du financement de ces startups.

La logique des fonds répond à des besoins qui leurs sont propres. Ils cherchent à afficher des participations en fortes croissance pour vendre un succès basé sur le chiffre d'affaires, et non plus forcément sur la rentabilité. La pertinence du business model est ainsi très souvent mise de côté. Lorsque la taille dépasse leurs ratios ils passent le relais à d’autres fonds d’investissements. Et de levées en levées successives, ils peuvent afficher des valorisations en croissance. Il y a une logique marketing propre qui leur sert à lever constamment de l’argent auprès de souscripteurs éblouis par les croissances affichées. C’est oublier que les réelles sorties sont rares et que les valorisations deviennent virtuelles dans de nouveaux pactes qui déservent toujours les anciens investisseurs.

La startup y trouve son compte car elle évite la confrontation à la réalité avec des perfusions permanentes de cash, ce qui la pousse à la croissance sans recherche de rentabilité.  On assiste ainsi à un jeu de dupes qui perdure tant que l’argent continue d’abonder et de nourrir le système.

C’est comme si cet écosystème d’apparence vertueuse était devenu une bulle de protection contre les vents ressentis comme froids d’un monde sans perfusion. La réalité consiste évidemment à trouver à terme une croissance rentable, signe que le marché est demandeur et est prêt à payer un service ou produit dont il trouve une utilité.

Et si on se concentrait sur les exits ?

Alors que faire ? D’abord changer les objectifs des fonds en notant leur performance sur leurs sorties. Penser " sorties ", être stratège des " sorties ", incentiver sur les " sorties ". L’étude des " sorties " démontre que la probabilité d’y parvenir est liée principalement à la taille, puis à la croissance et à la rentabilité. Il s’agirait donc de trouver les outils qui permettraient d’atteindre ces trois objectifs au moindre coût.

Nous voulons promouvoir un outil simple et encore peu utilisé par les fonds qu’est le build-up. Mais dans un monde où les mots portent une dynamique, comme le patron est devenu entrepreneur, nous préférerons le renommer " PacMan " ! La première forme la plus simple du PacMan est celle de la concentration verticale d’acteurs équivalents. Elle permettra d’atteindre une taille critique, de baisser les coûts grâce à des synergies de volume, d’améliorer la qualité de service et donc la satisfaction client.  La deuxième est de partir d’un service indispensable et de lui ajouter des pièces qui, par imbrication, généreront de la valeur. Pour donner deux exemples, il est clair que les projets de logistique ou de plateformes sont intimement liés à la taille quand, par contre, la valeur des entreprises de software se construit plus par l’ajout de services complémentaires.

Pour faire accélérer les PacMan il faut les promouvoir, expliquer aux startuppeurs leur intérêt et transformer la logique des investisseurs. Nous en avons pour notre part lancé quatre avec succès, dont un à un niveau européen en concrétisant notre action avec des fonds. De façon pratique, il s’agit grâce à un partage d’expériences entre professionnels de distinguer les participations type PacMan de celles aptes à se faire absorber ! Nous disposons pour cela d’outils d’évaluations.

Comment reconnaître les PacMan ?

Le principal critère de reconnaissance du PacMan est d’avoir une qualité de management qui lui permettra d’intégrer la cible, ce qui implique en général une taille suffisante et une rentabilité, signe justement de la performance de ses managers. Dans les cibles, il y en a à éviter absolument, celles dirigées par des egos mal placés. Par contre il faut rechercher les pépites technologiques, des équipes qui ont su bâtir des solutions sans savoir les vendre ou les sociétés sur des niches mais qui pourraient profiter du socle apporté par le PacMan.

Le PacMan n’est donc pas forcément le plus gros mais définitivement celui qui aura les capacités de management collectif les plus évoluées. Il devra en effet accueillir une autre culture, une fierté et des égos, des business model parfois différents . Le PacMan saura intégrer mais aussi trouver les synergies et donc éliminer, mettre en avant les meilleures pratiques et les meilleures compétences dans un esprit de juste efficacité et porter enfin à terme une vision commune. Tous les KPIs d’un PacMan en cours d’absorption doivent être tournés sur les six premiers mois sur des critères d’intégration humaine.

À terme et très rapidement, le PacMan après une période de digestion intègre les meilleures pratiques, crée des synergies, confronte ses business model, grandit et devient un PacMan en marche ! Il aura besoin d’être accompagné pour cela par des pairs, à l’aide d’outils qui ont prouvé leur succès, et avec beaucoup de patience de la part de ses investisseurs dans la période d’intégration. Et toujours il s’agira pour les acteurs de se mettre en accord, avant même l’opération, sur les nouveaux organigrammes, de partager sur leurs ambitions, et de s’embarquer dans la dynamique d’une grande vision qui sera leur premier moteur. En effet même si aujourd’hui la stratégie devient de plus en plus l’excellence dans l’exécution, le chemin du PacMan, sa colonne vertébrale est dans cette vision partagée.

Au final il est rassurant de se dire que ce sont les qualités humaines qui serviront la réussite du projet et le PacMan sert à les accélérer !

Bpifrance pourrait être le fer de lance de ce mouvement, d’abord parce c’est elle qui a le plus grand nombre de participations et ensuite parce qu’elle influence de par sa puissance tous les autres acteurs. Il s’agit de fédérer les énergies pour permettre à nos startups de devenir des acteurs majeurs du monde de demain ! Pouvons-nous nous contenter d’être les passe-plats des majors américains et bientôt asiatiques ? Notre terre européenne est fertile, elle doit s’armer pour devenir une puissance du futur. Ce mouvement servira aussi par ricochet à réduire les disparitions de toutes ces pousses qui trouveront un nouvel essor en s’intégrant.

Martin Genot est multi-entrepreneur et multi-investisseur