15 septembre 2020
15 septembre 2020
Temps de lecture : 5 minutes
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Pourquoi c'est si compliqué d'allier éducation et startups

Emmanuel Macron a fléché une partie du plan de relance numérique vers les technologies dédiées à l'éducation à distance. Le défi est de taille et les obstacles encore nombreux.
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C'est l'un des axes majeurs dans lesquels les 7 milliards d'euros glanés par les startups dans le cadre du plan de relance seront investis : les technologies éducatives, notamment celles qui permettent la "continuité pédagogique" devraient avoir une part substantielle du gâteau, aux côtés des services numériques de santé. Edtech et Medtech seront donc les grands gagnants de la relance numérique. Hourra ? Oui, bien sûr, tant le retard accumulé en matière de pédagogie à distance s'est révélé flagrant pendant le confinement : le niveau d'équipement des professeurs comme des élèves était insuffisant, les outils et technologies utilisés étaient instables et c'est finalement tout le système éducatif qui s'est avéré peu rôdé à un enseignement à distance, malgré les efforts déployés en urgence par les enseignants.

Face à ce constat sans appel, l'exécutif fait donc le pari de miser sur des pépites tricolores pour redresser la barre. Mais le peuvent-elles seulement ? "Nous avons plus de 400 startups dans l'Edtech et n'avons donc rien à envier en matière de technologies et d'idées à d'autres pays" , rappelle Marie-Christine Levet, fondatrice du fonds d'investissement EduCapital, spécialisé dans les technologies éducatives. Mais la plupart de ces jeunes pousses relèvent de la formation professionnelle, peu ont fait le choix de s'aventurer dans le monde très verrouillé de l'éducation primaire ou secondaire. "C'est une forêt de bonsaïs, reconnaît l'investisseuse, la plupart des entreprises ont des chiffres d'affaires inférieurs à 500 000 euros."

"Il y a de très bons projets mais ce sont des applications qui restent très peu ambitieuses techniquement car elles manquent de financements. Les investisseurs ont du mal à se projeter par rapport à leurs modèles de rémunération. L'éducation nationale a très peu d'argent et c'est aussi mal vu dans l'imaginaire collectif de faire de l'argent avec l'éducation", ajoute Emmanuel Freund, fondateur et ancien patron de Shadow, qui vient de lancer PowerZ, sa nouvelle startup travaille sur un projet éducatif.

Pas question cependant de renvoyer dos à dos les centaines de startups qui opèrent dans le secteur. "Les startups sont prêtes à travailler avec l'Éducation nationale et quand celle-ci a eu besoin d'elle pendant le confinement, elles ont répondu présentes, atteste Svenia Busson, fondatrice de l'accélérateur LearnSpace. Certaines ont remporté pour la première fois un appel à projets dédié à l'intelligence artificielle publié par l'Éducation nationale et ont montré qu'elles étaient capables de déployer leurs solutions à l'échelle nationale." Des preuves de concept qui tracent un bel avenir aux Edtechs, d'autant que, Marie-Christine Levet en est persuadée : "Il y a de la place pour une quinzaine ou une vingtaine de champions nationaux, chacun avec sa spécialisation" .

Réunir décideurs et utilisateurs

Suffirait-il donc que ces solutions bénéficient d'investissements conséquents, comme le plan de relance semble le dessiner, pour que l'avenir de l'éducation numérique soit tout tracé ? Ce serait trop simple et le hic est loin d'être minime. "Il existe en France une complexité d’accès au marché, où celui qui commande n’est pas celui qui utilise les solutions" , note l'investisseuse. Une situation que déplore également Svenia Busson, qui raconte "les lourdeurs de l’administration, les pilotes compliqués" , en bref "un vrai frein au niveau de la culture du numérique et de la tech dans l'éducation" . Un mal très français à en croire les deux expertes. "Il y a cette idée que l'éducation est l'affaire de l’État, une affaire forcément publique et gratuite pour tous" , précise la directrice de LearnSpace, tandis que Marie-Christine Levet regrette "la tentation régalienne de l'État, ce côté 'on fait tout nous-mêmes" . L'investisseuse milite au contraire "pour des partenariats public-privé, avec une ossature régalienne mais une collaboration forte entre le public et des startups plus agiles et innovantes" .

Les deux femmes mettent en avant deux solutions qui leur paraissent cruciales pour que l'éducation passe un vrai cap numérique : d'abord, la définition par le ministère d'une "charte de confiance" qui listerait un certain nombre de critères à remplir, notamment en matière de respect des données, pour pouvoir travailler avec les acteurs publics de l'éducation. Il pourrait en découler "un catalogue de solutions" respectueuses de ces critères, que les chef·fe·s d'établissement et les enseignant·e·s seraient libres d'utiliser. À ce titre, elles évoquent "un chèque numérique" ou "chèque Edtech" que chaque décideur pourrait utiliser pour se doter du service qu'il juge le plus utile.

Un moyen efficace pour le marché de faire le tri entre les innombrables solutions qui existent, tout en garantissant à l'exécutif que les solutions choisies seront effectivement utilisées. "Chaque établissement a des besoins différents, il ne peut pas y avoir d’outil de référence pour toute la France, tranche Svenia Busson. Il faut faire confiance aux enseignants, ils savent ce qui est bon pour leurs élèves !" Un point de vue partagé par Marie-Christine Levet, qui rappelle que "le numérique ne remplace pas et ne remplacera jamais les profs" . "Au contraire, le numérique est un apport pour les profs, c'est un outil à leur service qui leur permet de gagner du temps et d'avoir des classes plus engagées. Mais s'il est au service des profs, il doit aussi être voulu par eux. Or, quand un service est imposé, il est peu utilisé."