11 février 2022
11 février 2022
Temps de lecture : 8 minutes
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Navigateur, entrepreneur... Les multiples casquettes de François Gabart

Des sportifs de haut niveau se lancent dans l’entrepreneuriat. Leur point commun : faire de leur esprit exigeant, acquis au cours de leur carrière, le moteur de leur nouvelle aventure. Nous consacrons une série de portraits à ces femmes et hommes à part. Au tour du skipper François Gabart, vainqueur du Vendée Globe, fondateur de MerConcept et investisseur de Click & Boat.
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Vincent Curutchet

Article initialement paru le 1er avril 2021

En 2017, il a pulvérisé le record du tour du monde en solitaire à la voile. À 38 ans, François Gabart est l’un des navigateurs les plus encensés de sa génération. Il est aussi un entrepreneur, qui a fait de sa discipline le cœur de son activité. "Il est difficile d’être marin sans avoir l’esprit d’entreprise, glisse-t-il à Maddyness. Il faut sans cesse monter des projets, trouver des partenaires." MerConcept, son écurie de course au large, est née en 2006. Installé dans le Finistère, le sportif a dès lors voulu construire son propre bateau dans le but d'améliorer son chrono lors de la Solitaire du Figaro –  course à la voile, en solitaire et par étapes. Si ce désir de performance a motivé la création de son entreprise, comme nombreux de ses homologues, il espère aussi à travers MerConcept contribuer à la transition écologique dans le secteur du transport maritime, dont l'impact écologique à l’échelle mondiale demeure très préoccupant.

Une enfance les pieds dans l'eau

L’histoire de François Gabart avec la navigation débute à la fin des années 80. Il a grandi en Charente intérieure, "pas collé à la mer, mais éduqué par deux parents passionnés par elle". Le futur champion pratique alors le dériveur en régate. L’optimist est sa première rencontre avec les sports nautiques. "Mais je me suis vite dirigé vers le canoë-kayak, une discipline qui m’a énormément structuré" , raconte celui qui, en 1989, a "vécu un an en famille sur un bateau" – le voilier "Pesk Avel" , qui l’a notamment mené aux États-Unis et a développé son goût pour le voyage. De la primaire au lycée, il suit un cursus scolaire tout à fait classique. Il intègre ensuite une école d’ingénieur, l’Institut national des sciences appliquées (Insa) de Lyon, en section sport de haut niveau. "C’était une évidence. Au lycée, déjà, j’étais en voile olympique. À ce stade, je ne gagnais pas ma vie grâce à la voile. Mais ma vie tournait autour d’elle." Et à cette période, l’appel du large se fait fortement ressentir pour le jeune homme.

Après avoir remporté le Tour de France à la voile étudiant par deux fois, en 2005 et 2007, François Gabart se lance corps et âme dans la course. "J’ai voulu commencer avec des bateaux de taille importante sans attendre" , indique-t-il, assurant avoir perçu les prémices de sa réflexion entrepreneuriale à cette période. Des piges – des missions temporaires – lui permettent d’appréhender une grande diversité d’embarcations. Dès 2008, le marin est soutenu par la région Bretagne et évolue en classe Figaro. "Un salaire fixe en poche, j’ai pu me diriger vers la catégorie lmoca (qui concerne les monocoques de 60 pieds, NDLR). Ce qui m’a permis de remporter une sélection organisée par la Macif dans l’optique de participer au Vendée Globe 2012-2013." Première participation et première victoire. Il devient le plus jeune vainqueur de cette épreuve, à 30 ans, en battant le temps de référence avec un Imoca conçu en lien avec la Macif et le cabinet d’architecture navale VPLP. À travers cette collaboration, son entreprise MerConcept prend du galon.

Sport et entrepreneuriat, des vases communicants

Créée dans l’idée de gérer les projets techniques et prestations commerciales de François Gabart, la structure bénéficie largement de l’appui de la Macif – son ancien sponsor. "Constituer une équipe d’une dizaine de personnes a été le premier défi, se souvient le sportif. Il s’agissait non seulement d’imaginer, construire et développer des bateaux de course au large, mais aussi d’en exploiter un certain nombre." Alors que les contrats se multiplient, la société grossit. De 30 salarié·e·s en 2015 à près de 50 aujourd’hui, elle est notamment portée par l’énorme chantier du maxi-trimaran M101, long de 32 mètres. Son équipe se compose d’un tiers de techniciens (mécaniciens, électroniciens, etc.), un tiers d’ingénieurs (architectes navals, spécialistes de l'hydraulique et des matériaux, etc.) et un tiers de responsables support (finances, RH et marketing). "Malgré les nombreuses incertitudes liées au contexte actuel, la mise à l’eau est prévue pour la fin juin" , se réjouissait début 2021 le dirigeant de MerConcept. Elle a finalement eu lieu le jeudi 22 juillet, dans le port de Concarneau. C'est un aboutissement dans une période compliquée pour François Gabart, puisque la mutuelle a décidé d'arrêter le sponsoring.

Ayant investi entre 10 à 15 millions d'euros d'après une estimation de France Inter, la Macif a immédiatement cherché à vendre ce bateau des temps modernes. Déterminé à naviguer dessus dès novembre 2021, dans le cadre de la Transat Jacques-Vabre, François Gabart avait un grand rôle à jouer. "Il faut trouver un partenaire, qu’il s’agisse d’un armateur ou un exploitant, à qui louer" , nous expliquait celui dont la dernière participation à une course officielle remonte à 2019. C'est finalement sous la bannière du groupe de cosmétiques français Kresk, présidé par Didier Tabary, qui détient notamment les marques de cosmétiques SVR et de produits capillaires Lazartigue, que le bateau de couleur bleu capri naviguera pendant au moins quatre ans.

Selon François Gabart, les courses sont le meilleur des professeurs : "Il faut bâtir un pont entre cette expérience sportive et les projets menés par MerConcept." C’est sur la base de son vécu, comme celui de ses rivaux, que le chef d’entreprise bâtit sa vision entrepreneuriale. "Des idées de développements futurs me viennent. Pourquoi pas aller plus loin, proposer de nouveaux outils tels que le pilotage automatique ?" , s’interroge-t-il, mettant l’accent sur la nécessité d’assurer "la continuité du travail, même si un skipper ou un partenaire s’en va".

S’il y a une chose que François Gabart exècre, c’est bien l’immobilisme. Il est tantôt affairé à confectionner un bateau pour l’équipe américaine 11th Hour Racing, qui participera à The Ocean Race, tantôt en train d’investir dans une startup dont la proposition de valeur lui semble pertinente. Il scrute la moindre nouveauté dans le secteur maritime. "Je veille à rester informé sur ce qu’il se passe dans l’écosystème, assure celui qui a mis un ticket en 2016 dans la startup Click & Boat – qui propose un service de location de bateaux. J’ai eu un bon feeling avec les fondateurs. J’avais moi-même un bateau que je n’utilisais pas toujours. C’était une bonne solution pour le faire naviguer davantage." Il offre son image à la startup, qu’il représente en tant qu’ambassadeur, mais entend également s’inspirer de la vision des entrepreneurs qui l’ont fondée.

"S'inscrire dans une mobilité durable"

François Gabart affirme avoir "les qualités de [ses] défauts". Il veut être partout, tout le temps. "Je suis généraliste de formation et touche-à-tout de nature" , plaide-t-il, quand on lui demande comment il parvient à organiser son double emploi du temps. L’entrepreneur n’hésite pas une seconde à avouer qu’il "survole quelques domaines" et dit n’avoir "aucun mal à déléguer" dans ce cas de figure. "Je fais facilement confiance. Pour mener de tels projets à bien, c’est essentiel." Le dirigeant, qui détient encore le record du tour du monde en solitaire à la voile (42 jours, 16 heures et 40 minutes), extrapole : "Sur les 10 dernières années, j’ai passé un tiers de mon temps sur l’eau. Le reste se répartit à parts égales entre le développement de bateaux et la recherche de sponsors." François Gabart juge que si la "partie à terre est moins visible, elle est cruciale comme dans tous les sports mécaniques".

Le navigateur, qui regrette amèrement que l’année 2020 soit celle durant laquelle il a "le moins navigué en 20 ans" , a trouvé un autre front que la compétition pour jouer la montre. Il espère, en toute modestie, apporter sa contribution à la transition écologique du secteur maritime. "MerConcept est devenue une entreprise à mission à l’été 2020. Nos concepts doivent s’inscrire dans le cadre d’une mobilité durable" , martèle-t-il, précisant faciliter le transfert de technologies conçues au sein de son écurie à d’autres acteurs économiques. Nous construisons un catamaran électrique, dont les foils permettent un gain d’autonomie. C’est typiquement ce qui pourrait trouver une application générale dans les transports." Le Breton d’adoption entend même aller au-delà de cette implication technologique. Il projette de lancer, "dans les mois qui viennent" , une fondation dédiée à la protection des océans.

François Gabart corrobore les témoignages, à l’image de celui du kitesurfeur Alexandre Caizergues, qui pointent le lien entre la performance sportive et le défi entrepreneurial. "Le sportif est naturellement autonome, tout en étant dans un état d’esprit propice au travail en équipe et à l’adversité." Ce que le skipper entend démontrer une nouvelle fois à travers les échéances qui l’attendent en 2021 : "une année importante" sur les deux fronts.

Retrouvez les précédents articles de cette série :

  1. Alexandre Caizergues, recordman entrepreneur
  2. Sarah Ourahmoune, l'entrepreneuse qui boxe les idées reçues
  3. Le basketteur Axel Toupane, un investisseur influencé par la NBA
  4. Le pilote Olivier Lombard, un entrepreneur engagé dans la course à la voiture à hydrogène