24 août 2021
24 août 2021
Temps de lecture : 6 minutes
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Pourquoi la semaine de quatre jours en entreprise est difficile à généraliser

Comme quelques autres sociétés en France, l’entreprise montpelliéraine Radioshop est passée à la semaine de quatre jours. Une mesure qui fait son effet en interne, mais qui ne correspond à toutes les entreprises.
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Republication d'un article du 19 mai 2021

"Depuis que nous sommes passés à la semaine de quatre jours, il ne se passe pas une semaine sans que nous ayons des échos de salariés satisfaits" , se félicite Thomas Bergerot, fondateur et directeur général de l’entreprise montpelliéraine Radioshop, spécialisée dans l’expérience musicale en point de vente. Depuis janvier 2021, la société est officiellement passée à cette formule pour les 31 personnes qu’elle emploie, sur une base de 32 heures hebdomadaires payées 35.

"Dans l’univers des startups, beaucoup d’initiatives naissent autour de la volonté de cultiver le bien-être des salariés, mais elles sont souvent plus des feux de paille que des vraies stratégies réfléchies, explique l’entrepreneur. Chez Radioshop, je veux instaurer une vraie politique de vie sociale" . Si une "Joysquad" (sic) - une équipe de quatre salariés élue tous les semestres - est chargée d’organiser des activités pour souder les équipes et la culture d’entreprise, la PME n’a pas voulu s’arrêter à ça. "Le Covid a fait émerger de nouvelles volontés et demandes sur l’organisation du travail, poursuit Thomas Bergerot. Nous ne sommes pas pour pérenniser le télétravail après la crise sanitaire, car cette mesure n’est pas égalitaire en fonction des contextes personnels de chaque salarié, mais nous avons pris le sujet à bras le corps à travers la semaine de quatre jours."

Unanimité absolue en interne

Considérant que le déséquilibre entre le temps de travail de cinq jours et le week-end de deux jours, et voyant des retours d’expérience, comme Microsoft au Japon qui affirme avoir doper la productivité de ses salariés de 40 % avec cette mesure, Radioshop a aussi franchi le pas. En novembre 2020, l’équipe a lancé une expérimentation d’un mois - sans obligation - pour permettre aux salariés, dont certains étaient inquiets d’un tel bouleversement, de tester ce mode d’organisation. "À la fin de ce test, nous avons fait un référendum, et la mesure a fait l’unanimité absolue. Toute la société est donc passée à la semaine de quatre jours dès janvier 2021" , explique le fondateur de l’entreprise, qui précise que, selon les services, certains ne travaillent pas le lundi, d’autres le vendredi, et que cela peut tourner si besoin.

"Si certaines personnes se questionnaient au départ sur la possibilité de faire entrer cinq jours de travail en quatre, finalement tout s’est bien passé, s’enorgueillit Thomas Bergerot, qui insiste sur la nécessité de fournir aux salariés les outils pour que cela fonctionne. Nous avons optimisé nos outils de travail, avons drastiquement réduit la durée de nos réunions, ralenti sur les échanges de mails pour gagner du temps à droite, à gauche et aller à l’essentiel. " La clé ? "Hiérarchiser" , explique l’entrepreneur, qui ajoute, "si une tâche secondaire ne peut pas être faite aujourd’hui, tant pis, elle sera faite demain" . Celui-ci affirme d'ailleurs n'avoir noté aucune dégradation de la qualité du service de son entreprise.

Un modèle inadapté pour certains secteurs

Alexandre Ibanez, co-fondateur de trois entreprises, dont IBA Services, une société de nettoyage professionnel dans le Var, met des bémols à l'expérience. Il prévient : ce modèle ne correspond pas à toutes les structures. S’il n’est pas résolument opposé à la semaine de quatre jours, l’entrepreneur ne veut pas la voir généralisée sans distinction à toutes les entreprises. Il préconise de faire le distinguo entre les différents secteurs d'activité.

"Si je prends mon exemple, dans le domaine du nettoyage industriel, j’observe davantage des demandes à travailler plus, parce que les salaires sont bas et que les gens cherchent à faire des heures supplémentaires, explique-t-il. C’est l’inverse de boîtes dans les nouvelles technologies par exemple, où les salaires sont bien plus élevés, et où les salariés cherchent donc à travailler moins pour une meilleure qualité de vie et un gain de temps libre, tout en gagnant toujours mieux que la moyenne des Français. " Deux visions s’opposent, l’une poussant pour la semaine de quatre jours dans les secteurs à forte valeur ajoutée et l’autre, au contraire, pour l’abrogation des 35 heures parce que les gens veulent travailler plus pour gagner plus. À cette problématique, Alexandre Ibanez ajoute celle des métiers en tension, comme dans le domaine du BTP par exemple, sur lesquels les entreprises peinent à recruter et trouver de la main d’œuvre.

Enfin, l’entrepreneur estime que ce type d'initiatives ne peut sans doute pas s'appliquer à toutes les tailles d'entreprises. "Quand on est une grande entreprise ou une grosse PME, on a la capacité de gérer la partie administrative que suppose un tel changement. Dans les plus petites sociétés, on n’a pas ces ressources et on va donc puiser dans les ressources existantes pour organiser la refonte des contrats, la réorganisation des plannings, etc. Il y a ceux qui peuvent se permettre d’avoir une stratégie de long terme et 90 % des autres entreprises, qui sont dans le court terme et qui cherchent la rentabilité directe… Le temps est un luxe qui appartient aux grands, tandis que les autres doivent se battre pour leur survie."

Vers des "accords de branches ou filières" ?

Une inquiétude sur laquelle Thomas Bergerot tient à rassurer : "Nous avions peur de la complexité juridique de ce changement au départ, mais ça n’a pas du tout été le cas. Notre schéma faisant l’unanimité, nous avons signé un contrat avec le CSE, et nous avons été suivis par un petit cabinet. Au bout du compte, cette transition ne nous a coûté que quelques milliers d’euros pour faire ça dans les règles et ne pas léser les salariés" , explique-t-il, avouant que "s’il n’y avait pas eu d'unanimité, cela aurait surement été plus compliqué, parce qu’il aurait fallu faire des avenants à chaque contrat de travail."

"La généralisation d’une mesure, sans prendre en compte les disparités, n’est jamais la bonne solution, je suis forcément contre une réforme généraliste, qui favoriserait forcément les grosses entreprises… Il serait bien plus intelligent de faire comme en Allemagne par exemple, où l’on réfléchit à des accords par branches ou filières" , juge Alexandre Ibanez. Une vision partagée par Thomas Bergerot : "Il est facile de dire que c’est génial pour nous, mais je ne suis pas fan des généralisations… Cela dépend du métier dont on parle, des contraintes qui y sont attachées, de la santé de l’entreprise, etc. Certaines sociétés ne peuvent pas se permettre de se passer de quelques heures de travail, surtout quand on parle de main d’œuvre de production comme dans une usine par exemple. Généraliser la semaine de quatre jours, non, mais évangéliser sur ce sujet et accompagner les entreprises, oui."