31 juillet 2021
31 juillet 2021
Temps de lecture : 7 minutes
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"On veut plein de talents comme Guillaume Rozier pour avoir de l’impact dans la santé"

Aude Nyadanu a 28 ans et elle est la fondatrice de Lowpital, une startup qui aide patients et soignants à améliorer leur quotidien. Elle estime que l'actuel système de soins doit s'ouvrir à toutes les bonnes volontés, capables de l'améliorer avec des réponses proches des besoins du terrain.
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Aude Nyadanu, fondatrice de Lowpital

Republication du 4 juin 2021

Fille d’une mère infirmière, Aude Nyadanu a toujours été fascinée par l’univers du soin et de la santé. Depuis ses sept ans, cette ingénieure diplômée de Polytechnique et docteure en chimie avait comme ambition de devenir chercheuse pour créer de nouveaux médicaments. Pendant ses études, elle réalise que ce qui l’intéresse vraiment dans le secteur, c’est l’humain. En 2017, et à seulement 24 ans, l’entrepreneuse crée donc Lowpital, une startup qui cherche à créer des synergies pour innover et améliorer le quotidien des patients et des soignants sur le terrain. Basée sur le conseil en innovation et la formation, l'entreprise propose aussi des événements annuels, comme les créathons, qu'elle considère comme un laboratoire et une vitrine pour son activité. La société compte des clients comme le laboratoire pharmaceutique Roche, la scaleup Bioserenity ou encore l'ARS Ile-de-France. Sa fondatrice revient pour Maddyness sur son initiative et la vision qu’elle porte sur l’innovation dans le domaine de la santé.

Issue du monde de la recherche, comment en êtes-vous venue à passer du côté de l’entrepreneuriat ?

Aude Nyadanu : Depuis que je suis petite, je veux travailler dans le secteur de la santé, pour avoir l’impression de faire un métier qui sert à quelque chose. Au départ, je pensais aller dans le domaine de la recherche. Mais, pendant mon doctorat, j’ai commencé à m’intéresser à la question du soin, en réalisant que cela ne se résumait pas à créer des médicaments, qui traitent seulement les symptômes. Ma vision a donc évolué et j’ai voulu me diriger vers des problématiques plus humaines, comme l’expérience patient ou encore les besoins des soignants. J’avais aussi envie d’aller sur le terrain et j’ai donc décidé de passer du temps à l’hôpital pour comprendre sa réalité et proposer des solutions concrètes d’amélioration du parcours de soin.

C’est de cette ambition qu’est née votre startup Lowpital ?

J’ai voulu créer une structure qui permette d’innover pour transformer le système de santé. L’idée est de proposer des créathons, des événements d’innovation collaborative centrés sur le soin, mais aussi des conférences, des formations et des activités de conseil en innovation en santé auprès des entreprises. Ma conviction profonde est que dans l’amélioration du parcours des patients et le quotidien des soignants, tout le monde peut avoir un rôle à jouer, mais que cela doit se faire en concertation avec les personnes concernées, pour répondre aux besoins réels du terrain.

Vous estimez que certaines entreprises proposent des solutions trop éloignées des besoins de l’hôpital?

Je suis convaincue qu’on n’a pas besoin d’être ministre de la santé pour transformer ce système. Créer une communauté mixte de startups en e-santé, de médecins, de laboratoires et de citoyens permet de phosphorer et de faire émerger des projets très utiles. Pour ce qui est des entrepreneurs, il n’y a pas non plus besoin d’avoir une expertise pointue sur un sujet pour innover, au contraire cela peut constituer un frein à l’innovation. Prenons l’exemple de Guillaume Rozier -créateur des outils CovidTracker et ViteMaDose, ndlr-, il n’est pas du tout issu du monde de la santé, mais on veut plein de talents comme lui pour avoir de l’impact.

Mais je veux souligner un point d’attention pour les entrepreneurs qui se lancent dans ce secteur : attention à ne pas tomber à côté du besoin. Dans le domaine de la santé, il est très important de comprendre les enjeux et subtilités de cet écosystème complexe. Il ne faut pas arriver en se disant qu’on va entreprendre en un claquement de doigts et en faisant fi de ces questionnements. C’est le meilleur moyen d’échouer. On le voit avec nombre d’applications de e-santé qui débarquent à l’hôpital sans avoir pris en compte la question de l’interopérabilité ou celle de la sécurité des données par exemple. Il en va de même pour les solutions de gestion quotidienne des maladies chroniques : si on ne va pas voir les patients en amont, on ne peut pas savoir quelles informations vont réellement leur apporter de la valeur, ni même le fait qu’ils n’ont peut-être pas envie de recevoir une notification tous les matins pour leur rappeler qu’ils sont malades.

Alors comment les entrepreneurs doivent-ils faire pour innover en harmonie avec les attentes concrètes des cibles concernées, patients ou soignants ?

Il faut prendre le temps. C’est un conseil simple mais essentiel. Les entrepreneurs ont souvent un réel talent de transformateurs, si tant est qu’ils soient guidés pour que leur potentiel s’exprime. Ils doivent donc se retrousser les manches pour aller échanger directement avec les patients et les soignants pour comprendre la réalité du terrain. Il faut aussi s’entourer de bons experts qui peuvent aider à orienter les solutions et à les faire  matcher avec cet écosystème si complexe.

Pour accompagner les bonnes volontés, Lowpital organise des "créathons" : comment se déroulent ces événements ?

Nous considérons cette activité comme un laboratoire autour de l’innovation pour améliorer le parcours de soin. Ce n’est pas un hackathon classique : l’idée est d’aller sur le terrain, de réfléchir à des solutions pour répondre aux problématiques identifiées et de retourner sur le terrain pour les expérimenter. Ces événements sont ouverts à tous les citoyens et entrepreneurs en devenir, et permettent de leur donner une méthode, une expertise pour calibrer leur projet. Chaque année, nous nous concentrons sur une thématique précise, souvent peu abordée ou mal comprise : en 2019, nous nous sommes penchés sur le sujet de la santé mentale, et cette année sur la santé sexuelle des femmes.

Quels exemples de projets ont émergé de ces événements ?

Lors du dernier créathon, nous avons notamment travaillé avec des structures comme le Centre de Santé Sexuelle de l’Hôtel-Dieu, l’APHP, le planning familial et la Maison des Femmes de Saint-Denis, pour ne pas survoler le sujet, mais s’en emparer réellement. Le premier prix est revenu à Va Bene, une solution de matching entre les bénévoles volontaires et la Maison des Femmes  pour gérer cette masse de compétences au mieux. Un autre projet récompensé s’appelle L’amazone : le but est d’aider les femmes migrantes ayant subi des violences à restituer leur récit de vie, démarche nécessaire pour obtenir un titre de séjour, mais nécessitant aussi un accompagnement car elle peut faire remonter des souvenirs très traumatisants. Enfin, Immagyne est une solution qui permet aux patientes ayant vécu une chirurgie gynécologique de mieux comprendre les informations qu’elles recoivent au cours de leur protocole de soins via une plateforme de contenus pédagogiques.

En 2020, pendant la pandémie, vous avez également mis en place un projet pour soutenir l’hôpital. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Lors de la première vague épidémique, les citoyens, qui se sont souvent retrouvé au chômage partiel ou sans cours, ont voulu donner du temps pour les hôpitaux. Nous avons donc au départ crée un Google Form sur lequel nous recensions toutes les personnes qui voulaient aider en précisant leurs compétences (code, communication etc.). En une semaine, 10 000 personnes étaient inscrites dessus. On a donc voulu faire évoluer le format et on a donc crée une plateforme sur Slack avec des canaux spécifiques par compétences. Cela nous a permis de faire émerger un outil qui propose un pool de bénévoles disponibles et permet de faire un matching instantané avec les besoins de l'hôpital, en temps réel. En trois jours, la plateforme était fonctionnelle. Au total, 20 000 personnes se sont inscrites sur cet outil, et certains bénévoles sont même devenus managers et modérateurs des autres volontaires.

Ce projet résume l’ambition de Lowpital : permettre aux personnes qui identifient un besoin dans une structure de l’accompagner et de l’orienter pour que cela aboutisse. La question de l’humain est primordiale dans le système de santé, à plus forte raison aujourd’hui, où l’hôpital connait un vrai problème de rétention des soignants, qui quittent leur travail à cause de la dénaturation de leurs missions qui ne correspondent plus à leur vision du soin. Fédérer et accompagner des acteurs de tous horizons pour leur permettre d’innover dans le secteur est un énorme enjeu pour demain, qu’il faut adresser dès aujourd’hui.