4 février 2022
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Temps de lecture : 6 minutes
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Employeurs, voici comment aborder le sujet du cancer en entreprise

[INNOVER CONTRE LE CANCER 4/5] Les affections de longue durée concernent, en France, de plus en plus d’actifs. Une catégorie dans laquelle entrent les cancers. Pourtant, les dirigeants d’entreprise sont peu sensibilisés quant à l’accompagnement qu’ils peuvent apporter à leurs salariés concernés. Et contrairement à la croyance populaire, adaptation des rythmes ou postes de travail ne rime pas avec pertes économiques.
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Article initialement publié le 23 novembre 2021

15 % des actifs français souffrent d’une affection de longue durée (ALD). Un chiffre amené à progresser de 10 %, pour concerner le quart des travailleurs, d’ici à 2025, selon le Conseil économique, social et environnemental (Cese). Les modes de vie modernes et les progrès de la médecine sont deux facteurs expliquant cette hausse de la proportion de malades au sein de la population active. Pourtant, les entreprises n’ont pas toutes mesuré les effets de ce changement. Elles sont moins nombreuses encore à avoir mis en place un plan d’action pour accompagner leurs collaborateurs souffrant de pathologies chroniques et adapter leur organisation en conséquence. À la clé : moins d’absentéisme… et donc, in fine, moins de pertes financières. L’association Cancer@Work, fondée en 2012, fédère les entreprises autour de l’emploi des malades du cancer et guide leurs dirigeants en ce sens.

Libérer la parole en entreprise

"Il faut mettre un terme à la vision manichéenne qui veut que quand on travaille on va bien parce que, sinon, on est en arrêt maladie" , lance Anne-Sophie Tuszynski. La fondatrice de Cancer@Work faisait partie du comité de direction du spécialiste néerlandais de l’intérim Randstad quand on lui a diagnostiqué un cancer du sein, en mars 2011. Si ses traitements l’ont amenée à "s’éloigner de ses missions pendant un an" , elle a immédiatement adopté "un ton très libre à ce sujet" vis-à-vis de l’entreprise et de ses clients. En menant quelques recherches, elle s’aperçoit que les recommandations à l’intention des dirigeants sont rares et décide de dédier un club d’employeurs au sujet. Celui-ci réunit désormais une centaine d’entreprises – issues du tertiaire, mais également de l’industrie ainsi que de l’agriculture.

Premier constat de l’association : il faut sensibiliser à l’échelle de l’entreprise. "80 % des actifs avançaient, en 2013, ne pas pouvoir prononcer le mot ‘cancer’ au travail. Cela reste un salarié sur deux, en 2021, relève Anne-Sophie Tuszynski. Si les malades n’ont aucune obligation légale de faire savoir qu’ils le sont, le dire permet de faire prendre conscience aux employeurs qu’ils doivent démontrer leur engagement à leurs salariés." Les dirigeants doivent ainsi mieux prendre en compte les besoins des collaborateurs, de façon spécifique selon le secteur d’activité. Ils peuvent favoriser l’écoute active ou encore établir des profils émotionnels – deux techniques en psychologie. Cancer@Work a, par ailleurs, mis au point un outil barométrique permettant de sonder les équipes. "Aucune entreprise n’est à l’abri d’un collaborateur malade. On n’échappe pas aux statistiques" , assène ainsi la fondatrice.

"Le travail est un pilier de guérison"

Appelant à apporter une réponse "créative" afin d’adapter le poste d’un titulaire malade, Anne-Sophie Tuszynski incite à "discuter des modalités du maintien du lien avec le salarié sans délai dès que celui-ci fait part de sa maladie". Il ne faut pas perdre de vue que, pour de nombreuses personnes, "le travail est un pilier de guérison, même à temps partiel". Faire appel à un ergonome ou à la médecine du travail peut alors être utile. La cadence de production ou bien la répétitivité des gestes sont deux facteurs à interroger, quand le malade est fatigué. Un reclassement temporaire est, cela dit, possible : "On peut basculer un salarié sur une fonction plus administrative, le temps qu’il regagne son poste. Et, si on est déjà capé à ce niveau en interne, on peut envisager un mécénat de compétences pour soutenir d’autres structures" , illustre la fondatrice de l’association Cancer@Work, insistant sur le fait qu’il ne faut "surtout pas donner l’impression au salarié d’être mis au placard".

Alors que chacun vit sa maladie différemment, une des erreurs à ne pas commettre est de "plaquer une recette unique sur tous les cas de figure". Selon Anne-Sophie Tuszynski, une telle ligne de conduite revient à "détruire de la valeur au sein de l’entreprise". Les solutions doivent remonter, au cas par cas, du terrain. Et plus particulièrement des collaborateurs qui sont en contact direct avec le salarié concerné. "Ce sont eux qui ont les clés en ce qui concerne l’organisation, note la fondatrice, qui pousse les employeurs à porter attention à ces derniers. L’équipe entière peut être fragilisée, après une telle annonce. Les dirigeants peuvent, sans le vouloir, créer une détresse collective en ne remplaçant pas le poste ou en omettant de répondre à l’inquiétude." Cancer@Work a constitué "une plateforme de solutions" afin de permettre aux employeurs de trouver l’accompagnement qu’il leur faut.

Réduire les coûts induits par l’absentéisme

Le retour au travail d’un salarié ne signifie pas, pour autant, que la maladie est derrière lui. "Pour ma part, dix ans après, j’ai toujours des difficultés à me concentrer, j’ai des accès de fatigue et le bras sensible, témoigne Anne-Sophie Tuszynski, qui a été reconnue en tant que travailleuse handicapée. Là aussi, il s’agit de prendre conscience qu’un lien existe entre maladie et handicap." Et donc, quand on est dirigeant, de penser son organisation à long terme en conséquence. Ce qui ne signifie pas, contrairement à la croyance populaire, que le rendement de l’entreprise va baisser. "L’absentéisme au travail est un fléau, qui coûte 108 milliards d’euros par an. En adaptant les rythmes, entreprises comme salariés ont tout à y gagner" , assure la fondatrice. Ainsi, sur les 1 200 personnes à qui l’on diagnostique un cancer chaque jour en France, 400 continuent de travailler dans les mois qui suivent.

De quoi maintenir un certain équilibre du système de santé, selon Anne-Sophie Tuszynski : "Si l’on met au ban les personnes malades, c’est le système de santé qui s’éteint. On ne fait plus entrer une partie des cotisations, or les chiffres doivent alerter quand on sait qu’un quart des actifs souffriront d’une ALD dans quelques années." Bras armé de l’association, WeCare@Work est la startup qu’a fondée Anne-Sophie Tuszynski en 2019 pour dispenser des conseils en matière de qualité de vie au travail (QVT) aux dirigeants. Cette dernière table sur le "savoir expérientiel" de ses salariés, qui sont nombreux à avoir été ou être malades. Dans l’objectif d’enfin construire des ponts entre santé et travail, "deux mondes qui, en ne se parlant pas, débouchent sur l’isolement des patients" à en croire la néo-entrepreneuse.

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