13 décembre 2021
13 décembre 2021
Temps de lecture : 4 minutes
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Chauffeurs et livreurs des plateformes : bientôt tous salariés ?

Offrir davantage de protection aux chauffeurs et livreurs des plateformes, c’est l’ambition de la directive que la Commission européenne tente de pousser aux Etats membres. Elvira Martinez, Counsel chez FTPA -cabinet d’avocats indépendants-, fournit quelques explications.
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Crédit : Paul Hanaoka by Unsplash

Dans le viseur de la Commission européenne depuis quelques temps, le statut des chauffeurs et livreurs des plateformes pourrait bien évoluer au niveau de l’Union européenne. Une directive instaurant une re-qualification automatique en salariat -en fonction de la relation de subordination existante- est en train d’être proposée aux 27 qui n'accueillent pas tous le texte de la même manière. 

Divergences de points de vue 

Si l’Espagne a récemment instauré une présomption de salariat, la France freine des 4 fers pour imposer ce type de contrat, préférant plaider pour un renforcement des protections offertes aux indépendants. Car c’est bien là que le bât blesse : ces travailleurs se retrouvent souvent dans une situation de grande précarité. Elvira Martinez le confirme, “en  tant qu'auto-entrepreneurs, ils n’ont pas de protection sociale, pas de mutuelle, pas de ticket restaurant, ni de prime de transport” alors qu’un certain nombre d’entre eux entretiennent une véritable relation de dépendance vis-à-vis de la plateforme pour laquelle ils travaillent

Pour le moment, la loi française s’est montrée plutôt souple. “Nous avons eu un premier mouvement” avec des juridictions qui “ne sanctionnaient pas par la re-qualification en statut de salarié” suivi d’un second mouvement - "poussé par les décisions de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE)” - qui allait dans le sens inverse. Aujourd’hui, les choses doivent changer et se structurer car “les plateformes répondent à un besoin de la société” . “D’un côté ces entreprises ont besoin de flexibilité et de l’autre, on a des Français qui ont besoin d’indépendance, notamment ceux qui exercent plusieurs emplois”, développe la Counsel de FTPA. La condition reste de savoir quelle forme prendra cette protection. Craignant de voir de nombreux travailleurs tomber dans la dépendance sociale, les représentants syndicaux des livreurs et VTC ont dénoncé -en novembre dernier- un projet du gouvernement visant à permettre aux plateformes employeurs de leur proposer une complémentaire santé.

Proposer davantage de protection

Le sujet n’est pas nouveau : à travers sa cour de justice, l'Union européenne a tenté à plusieurs reprises de donner une ligne directrice commune qui s’exprime aujourd’hui par une directive. L’ambition de ce texte est d’apporter plus de protection aux chauffeurs et aux livreurs, ce qui fait écho à la volonté affichée par Ursula Von der Leyer dès son arrivée : construire une Europe plus sociale. Pour autant, “la proposition de la Commission européenne ne coupe pas court au statut actuel proposé par les plateformes” , souligne Elvira Martinez. En effet, pour re-qualifier un auto-entrepreneur en salarié, un lien de subordination devra être prouvé. Seront pris en compte l’interdiction de travailler avec un autre donneur d’ordre, l’imposition d’une rémunération, la dépendance à un algorithme, l’obligation de faire une course sous peine de sanction, etc.

“Il faut que les indépendants qui travaillent sur ces plateformes soient de véritables indépendants. S’ils ne peuvent pas développer leur propre clientèle et qu’ils dépendent d’une plateforme, il faudra une sanction. Avec ce texte, on laisse la porte ouverte aux personnes qui exercent vraiment cette activité en tant qu’indépendant” . Ce qui est différenciant dans ce texte, c’est la charge de la preuve. “En France, on a une présomption d’indépendance si on a immatriculé sa société. Avec ce texte, la charge de la preuve incombe à l’entreprise et non plus à l’auto-entrepreneur. Ce sera à elle de prouver qu’il n’y a pas de lien de subordination” . 

De la responsabilité des plateformes 

L’idée est vraiment de pousser les entreprises à réfléchir à l’évolution que peut prendre ce statut. Si elles ne changent pas leurs pratiques, elles pourraient voir le statut de leurs chauffeurs requalifié, c’est une vraie insécurité” . Car les sanctions pourraient être diverses : amende pour travail dissimulé, re-qualification avec rétroactivité, majorations, etc. 

Avec la directive européenne, les plateformes devront sans doute prendre davantage leur responsabilité. "Elles pourraient demander aux candidats de déclarer certaines informations sur leur situation et leur mise à jour si celle-ci évolue” afin de mieux appréhender leur dépendance à la plateforme. Le risque ne serait-il pas, alors, de voir les plateformes limiter leur choix à des personnes qui ont un autre emploi en parallèle ? “Pas forcément, cela dépendra de la demande. Certaines sociétés proposent déjà un statut de salarié, d’autres choisissent des intérimaires”

La directive a davantage pour but d’être un moteur de changement qu’un outil de sanction. Le modèle permettant d’offrir plus de sécurité aux chauffeurs et livreurs des plateformes n’existe pas encore et doit faire l’objet d’une participation de toutes les parties prenantes. Certains chauffeurs ont, eux, d'ores et déjà choisi de se tourner vers une coopérative.