26 janvier 2022
26 janvier 2022
Temps de lecture : 7 minutes
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L’EIC, bras armé de l'Europe pour financer les DeepTech européennes

[INNOVER EN EUROPE 4/4] Dotée d’une enveloppe de 10,1 milliards d’euros, la structure sous l’égide de la Commission européenne a pour but de financer les pépites à l’origine d’innovations de rupture et de faire émerger des géants européens.
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Parce qu’elles s’inscrivent dans le temps long et qu’elles nécessitent d’importants apports en capitaux, les DeepTech européennes peinent souvent à séduire les fonds d’investissement, en quête d’une rentabilité à court terme et d’initiatives moins risquées. Pour combler ce manque et accompagner l’émergence d’innovations de rupture sur le continent, la Commission européenne a décidé de mettre la main au portefeuille en créant l’EIC (European Innovation Council -Conseil européen de l'innovation), doté de différents dispositifs d’investissement. 

En dépit d’initiatives lancées depuis 10 ans, des barrières persistent en Europe pour faire émerger des innovations. Alors que nous comptons d’excellents centres et chercheurs sur de nombreux secteurs, nous avons encore du mal à transformer nos connaissances en procédés innovants, regrette Jean-David Malo, directeur de l’EIC. Nous avons vu naître en 2019 plus de startups technologiques sur notre territoire qu’aux Etats-Unis, mais nous peinons encore à accompagner ces entreprises dans leur croissance, ce qui explique que les Américains et les Chinois comptent beaucoup plus d’entreprises leaders que les pays européens. Un autre frein repose sur la fragmentation de notre écosystème, dans lequel les différents hubs d’innovations ne sont pas assez connectés entre eux ". 

Retenir les projets innovants

Né sous forme pilote en 2018, le Conseil européen de l’innovation a officiellement été lancé dans le cadre d’Horizon Europe, le programme de recherche et d’innovation de l’Union européenne qui a succédé à Horizon 2020, en janvier 2021. " Le but de l’EIC est de mettre en place des solutions pour permettre aux chercheurs et entrepreneurs de donner vie à leurs innovations de rupture en Europe, et de ne pas laisser partir le prochain Moderna" , déplore le directeur de ce Conseil. Créée par le Français Stéphane Bancel, l'entreprise connue mondialement depuis un an avec son vaccin contre le Covid-19 mais, est partie déployer son entreprise aux Etats-Unis.

Pour honorer ses ambitions, l’EIC est doté d’un budget total de 10,1 milliards d’euros et concentre ses efforts sur trois grands piliers. Pour continuer d’investir dans la recherche, " là où nous sommes forts " précise Jean-David Malo, l’EIC Pathfinder (ou " Éclaireur ") finance des projets de recherche menés par des consortiums européens sur les premiers développements de technologies innovantes afin d’établir une preuve de concept. Ensuite, pour accompagner le passage des résultats de recherche à la mise en marché, l’EIC Transition propose des aides afin de valider les concepts technologiques et d’explorer les pistes de commercialisation. Enfin, l’EIC Accelerator est un outil qui s’adresse aux PME et startups à l’initiative d’innovations de rupture, afin de les aider à lancer le développement et la commercialisation de leur technologie.

Pour ce dernier dispositif, le Conseil européen de l’innovation a créé l’EIC Fund, " le plus gros fonds d’investissement européen en early stage à l’heure actuelle, affirme Jean-David Malo. Nous avons déjà investi 640 millions d’euros en un an avec lui, et comptons investir 3 milliards d’euros entre 2021 et 2027 ". Le directeur de l’EIC se défend de vouloir court-circuiter les investisseurs privés ou de perturber le marché, au contraire : " Du fait de leur taille, les fonds privés en Europe ne peuvent pas prendre trop de risques sur des technologies de rupture, qui ont un potentiel énorme mais comportent aussi de grandes inconnues et demandent du temps. Notre fonds permet aux pouvoirs publics de prendre ce risque, avec la volonté d’attirer des capitaux privés en aidant à dérisquer ces investissements ".

Les Français à l’honneur

Cocorico...Les entreprises françaises sont pour l’heure les premières bénéficiaires de ces fonds publics. Lactips, EverZom, Alice & Bob... Les résultats du premier appel à projets de l'EIC Accelerator, lors de la phase pilote, plaçaient déjà la France en pôle position en termes de projets bénéficiaires et de montants reçus. Sur 801 projets déposés, 132 ont été auditionnés et 65 lauréats ont été sélectionnés. Au final, 18% des entreprises retenues étaient françaises, ce qui correspondait à 19% des financements recommandés par le jury, soit 70 millions sur les 363 millions d'euros délivrés au total. 

En parallèle du financement, l’EIC propose des services d’accompagnement aux entreprises financées par la structure. " Même s’ils représentent 3 ou 4% de notre budget total, ces " business accélération services " ont une vraie valeur ajoutée car ils représentent un soutien supplémentaire à nos bénéficiaires ", insiste Jean-David Malo. Les entrepreneurs peuvent, par exemple, échanger avec de grands groupes, rencontrer des investisseurs, participer à des échanges avec des acheteurs publics ou encore à des grandes foires internationales, comme le CES de Las Vegas. " L’idée est de les aider à trouver d’autres partenaires, investisseurs et débouchés commerciaux. Et ça marche : lors des " corporate days ", ces grandes rencontres avec des entreprises internationales qu’on organise régulièrement, un tiers des entreprises participantes en moyenne repartent avec de nouveaux partenariats pour accélérer leur croissance ", se réjouit Jean-David Malo.

Des opportunités de financement inédites

Pour les entrepreneurs français de la DeepTech, l’EIC représente en tout cas une opportunité inédite là où les acteurs traditionnels du capital-risque peinent à s’aventurer. " Des sociétés comme la nôtre sont très dures à financer, on n’est pas comme les startups de la French Tech sur lesquelles les business angels et les VC se précipitent, analyse Philippe Notton, CEO de SiPearl, une entreprise qui développe des microprocesseurs hyperpuissants et basse consommation pour supercalculateurs. À Bruxelles, de qui nous étions déjà proches [la Commission européenne a accordé en 2020 une subvention de plus de 6 millions d’euros à l’entreprise, NDLR], on nous a recommandé d’aller voir du côté de l’EIC. Trouver des investisseurs capables de mettre des gros tickets sur un premier tour de table pour une société comme la nôtre, ce n’est pas courant du tout, c’est une chance pour nous ", poursuit l’entrepreneur, dont le projet va recevoir 2,5 millions d’euros de subvention et 15 millions d’euros en equity de la part de l’EIC.

Un an plus tôt, c’était à CorWave de recevoir un soutien financier de 15 millions d’euros de l’EIC Fund dans le cadre d’une levée de fonds en série C de 35 millions d’euros au total. " Face aux Etats-Unis, un pays ultra-capitaliste, et à la Chine, où l’État actionnaire est présent partout under cover, il faut que l’Europe agisse pour ne pas être à la traîne dans la révolution industrielle et technologique en cours, affirme Louis de Lillers, CEO de la startup spécialisée dans la conception et la fabrication de dispositifs d'assistance cardiaques innovants. La création de l’EIC Fund, qui marque la naissance de l’Europe actionnaire, est une très bonne nouvelle ".

Un " gage de crédibilité "

Pour l’entrepreneur français, recevoir autant de fonds pour une société DeepTech, sans activité commerciale, était une chance unique de financement, mais aussi un atout en terme d’image. " La sélectivité de l’Europe sur les programmes de recherche et projets entrepreneuriaux n’est plus à démontrer, constate Louis de Lillers. Le fait d’être sélectionné par l’EIC Fund est un gage de sérieux en soi, cela montre qu’on est passé sous des fourches caudines particulièrement exigeantes, et cela ne peut qu’entraîner des retombées positives ". CorWave est d’ailleurs convaincu qu'avoir la Commission européenne à son capital a joué en sa faveur lors du recrutement de talents internationaux et des discussions avec des centres hospitaliers, " rassurés par ce gage de crédibilité ".

Pour Jean-David Malo, l’objectif des prochaines années est clair : " comme l’ERC (European Research Council) est la fabrique de savoirs du continent, nous voulons faire de l’EIC une fabrique à licornes européennes, et devenir un symbole d’excellence pour les entreprises accompagnées par notre structure, conclut-il. C’est en prenant le risque d’investir dans ces entreprises à fort potentiel, dont il est certain que certaines vont péricliter, que nous pourrons vraiment faire émerger des champions mondiaux d’origine européenne et asseoir la souveraineté et l’économie stratégique de notre continent ".

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