Article initialement publié le 12 juillet 2021
Entre les fermetures de frontière, les confinements et autres restrictions sanitaires, le secteur touristique a été mis à rude épreuve en 2020 et 2021. Evaneos en a d'ailleurs fait les frais et a dû supprimer des postes en raison de sa baisse d'activité. Malgré ce contexte peu engageant, Explora Project, créateur d'expéditions bas carbone en France et en Europe, a réussi à attirer des investisseurs. Stanislas Gruau, co-fondateur de l'entreprise avec Alix Gauthier, revient pour Maddyness sur cette année écoulée, les changements opérés et le socle de sa marque.
La pandémie a profondément touché le secteur du tourisme. De quelle manière la pandémie vous a-t-elle affecté ?
Nous avons eu 100 000 membres inscrits en un an. Ce sont des comptes gratuits mais il est nécessaire de s’inscrire pour avoir accès à nos offres. Cela prouve déjà que notre marque parle aux gens et que nos offres correspondent à leurs envies. Il y a toujours des facteurs endogènes et exogènes à prendre en compte mais le Covid a sans doute joué un rôle de catalyseur de questionnements. De nombreuses personnes ont recentré leur priorité autour de trois piliers -retrouver du sens et une mission, se reconnecter à la nature, se dépasser- parce qu’elles ont été privées de liberté, de sortie et ne pouvaient pas se projeter. Avec nos offres d’expédition bas carbone, nous sommes au carrefour de tous ces besoins. Dès que la limite des 10 kilomètres a été abolie, nous avons vu nos réservations bondir. Nous sommes quasiment passés de 0 à 100 000 euros de réservation sur le mois.
Et comment avez-vous géré les annulations de réinscription ?
En raison des confinements, nous avons dû rembourser certaines personnes, c’était compliqué. Nous avons fait des chèques pour environ 30 ou 40 000 euros au moment du second confinement. C'était dur mais 78% d’entre eux sont revenus deux mois plus tard pour réserver d’autres expéditions. En 2020, nous avons eu 20% de clients qui sont venus deux fois et 30% qui avaient déjà réalisé une première expérience auparavant. Cela signifie que l’expérience est qualitative sur le terrain puisqu'ils reviennent. On remarque aussi qu’une personne sur trois voyage à deux et donc les ⅔ voyagent seules.
Ce qui me rend confiant après cette année 2020, c’est que nous sommes rentables sur nos coûts d’acquisition, ce qui n’est pas le cas de tous nos concurrents qui paient un SEO bien trop cher. Leur panier moyen est parfois à 12 000 euros, ce qui signifie qu’ils sont prêts à payer 42 euros le clic. C’est un puits sans fond. Nous souhaitons avoir une acquisition saine qui ne soit pas une fuite en avant nécessitant de lever sans cesse des fonds. En général, lorsque nous lançons une campagne marketing, elle devient rentable sous 1 à 4 mois.
Malgré des conditions compliquées vous avez réussi à lever des fonds à l'été 2020. Quels grands chantiers avez-vous pu financer avec cette somme ?
Nous avons utilisé cet argent pour réaliser des recrutements et poursuivre le développement de notre technologie. Il faut savoir qu’Explora est née en 2018 mais la première année nous avons surtout posé les bases. Nous avons débuté la commercialisation de nos offres en 2019. Durant nos deux premières années d’exercice, 2019 et 2020, nous faisions tout à la main avec des Google Sheet et quelques applications. La partie la plus complexe était celle de la logistique et de la mise en musique des expériences commercialisées, car nous gérons tout : le matériel du groupe, le transport, les guides, les activités, l’hébergement. Rien qu’en 2021, nous avons 800 départs prévus partout en Europe. Cela fait 800 fois 5 nuits à booker mais aussi 800 navettes. En réalité, nous sommes une grosse boite de logistique.
Notre levée nous a servi à automatiser une grosse partie de ces tâches. Notre "explora hub" comme nous le surnommons est notre outil de back office qui permet d’interagir avec nos guides, les hébergeurs et tous les prestataires liés à l’expérience. Une date est mise en ligne et dès qu’une pré-réservation est faite, l'information est envoyée à tous les prestataires concernés. Cela facilite le pré-booking en Europe. Notre deuxième gros investissement a porté sur le recrutement. Au moment de la levée, nous étions 12 et nous serons une trentaine d’ici la fin de l’année.
Comment développez-vous vos expéditions ?
Nous avons une communauté de guides qui grossit, ils sont environ 200 aujourd’hui. Nous faisons un point avec eux tous les trimestres. Lorsque nous souhaitons créer un nouveau voyage, nous travaillons directement avec le guide pour élaborer un parcours et vérifier qu’il corresponde bien à notre matrice : expérience, niveau, coût, etc. Il faut aussi que la randonnée soit accessible, si tout le monde est obligé de prendre sa voiture, ça ne convient pas. Nous devons aussi vérifier qu’il est possible de s’approvisionner localement avec des produits en vrac avant de partir.
Nous avons choisi de ne vendre qu’en ligne pour éviter les intermédiaires et nous ne cherchons pas à faire toujours plus. On m’a dit à plusieurs reprises que pour vendre, il fallait offrir le plus d’expériences possible pour que chaque visiteur trouve son bonheur. Nous avons choisi d’en proposer moins mais de faire un vrai travail de mise en valeur. Nous poussons toutes les offres de la même manière : home page, post organique, sponsorisation, newsletter. Si l’offre ne prend pas, nous retravaillons le pricing, la description, la photo. Nous ne voulons pas laisser d'offres dormantes sur le site.
Vous parlez d’impact carbone faible pour vos voyages. Le vôtre est-il calculé en interne pour chaque expédition ?
Pendant le premier confinement, nous avons fait un gros travail sur la production d’expérience en France. Nous avons réfléchi à l’incidence de nos expéditions dans des zones éloignées et nous en avons conclu que ce n’était pas cohérent avec nos valeurs. Si tu exploses ton budget carbone avec un seul voyage, ça ne va pas. Nous avons dû faire des choix en arrêtant de travailler avec certains prestataires. Nous nous concentrons donc sur la France et l’Europe car c’est accessible en train. Il y a des projets de déploiement de trains de nuit en Europe aussi donc ce serait parfait.
Économiquement, nos choix -comme la nourriture bio et en vrac- coûtent très cher. C’est pour cette raison que nous ne réalisons pas de promotion, nous ne mettons pas en place des bons de réduction non plus. Nous ne voulons pas pousser à la consommation mais être cohérent et inspirer de la confiance à nos clients.
Nous notons nos expéditions avec des feuilles et les calculs sont réalisés en interne. Nous avons recruté une personne pour travailler sur l’impact de chaque expédition sur la biodiversité et en termes d’émissions carbone. Nous sommes en train de faire valider nos chiffres par carbone 4.
Le tourisme "durable" a le vent en poupe. Pensez-vous que des labels sont nécessaires pour aider les consommateurs à faire le tri ?
C'est une question très complexe comme dans tous les secteurs. Je ne veux pas tirer sur l'ambulance et, dans le secteur touristique, je ne sais pas personnellement faire le tri entre le vrai tourisme durable et le greenwashing. Certaines entreprises s'engagent à reverser une partie de leur chiffre d'affaires à des associations mais cela ne signifie pas pour autant qu'elles sont vertueuses. Il y a beaucoup d'auto-déclaratif.
Nous avons lancé Explora Care en 2020, une association loi 1901 pour porter plus loin les engagements d'Explora Project, qui vise la neutralité carbone aujourd'hui. C'est un projet que nous suivons dans le temps pour réussir à avoir un impact positif sur l'environnement en voyageant. Je suis convaincu qu'à l'avenir, voyager consommera moins de carbone que de rester chez soi car nous utilisons énormément de technologie très consommatrice aujourd'hui chez nous. Nous envisageons aussi de créer notre propre label.