Pourquoi un tel engouement communicationnel autour du « sans CV » ? Cette innovation RH répond à la pénurie de compétences - et non de talents - selon Laurent Arnaud, cofondateur #jenesuisPASunCV, un cabinet expert du sujet. « En 2022, alors que l’on observe une augmentation de 31% d’offres d’emploi diffusées, les candidatures ont baissé de 51%. L’une des raisons invoquées est l’auto-censure des candidats pensant ne pas remplir tous les critères. Or, les compétences sont bien présentes sur le marché de l’emploi : l’enjeu du recrutement sans CV est de décloisonner les aptitudes dites transférables. »

En levant la barrière d’entrée qu’est le CV, notamment au moment de la présélection des candidats, l’objectif est aussi d’amenuiser les biais. « Un recruteur passe en moyenne moins de 10 secondes sur un CV.  Il est très probable qu’il passe à côté d’aptitudes moins visibles. » En filigrane, ce type de recrutement ouvre ainsi la voie à une approche plus inclusive, élargissant le vivier de talents potentiels. Mais à quoi ressemble un processus d’embauche sans CV ? Quels outils facilitent la détection des compétences transversales ? Quels sont les points d'attention à prendre en considération ?

Recruter sans CV : comment se lancer ?

Laurent Arnaud insiste sur un point : « Il n’existe pas de déploiement universel : tout dépend du contexte de l’entreprise, de ses métiers et de sa culture. » Cinq piliers sont donc à prendre en compte avant d’envisager cette option : 

  • Bien identifier l’objectif : il est important de s’interroger sur la raison pour laquelle l'entreprise souhaite innover avec l’approche sans CV. Au sein de Yuzu, startup qui conçoit des serious game RH, Léo Fichet, l’un des cofondateurs, a décidé de revoir le processus de recrutement car ils ne parvenaient pas à embaucher des talents tech : « À la place d’une candidature traditionnelle, nous nous sommes appuyés sur notre propre solution d’assessment de soft skills pour évaluer les personnes. Résultat : nous avons reçu 21 profils et on vient d’embaucher un développeur backend. »
  • Revoir ses prérequis : c’est la pierre angulaire pour bâtir un processus efficace. « Il faut s’interroger sur les compétences indispensables à la prise poste, puis distinguer celles qui peuvent être acquises lors de l’onboarding. L’employeur doit donc prendre une part de responsabilité en formant le candidat », souligne Laurent Arnaud. 
  • Parier sur les outils d’évaluation de l’aspect comportemental : s'appuyer sur de l'intelligence artificielle est une alternative intéressante pour objectiver la présélection. À cet égard, l’entreprise Bowld a créé une solution d’entretien vidéo couplée à une IA capable de sélectionner les candidats en fonction de critères comportementaux prédéfinis : « Notre IA s’appuie sur les critères en lien avec le poste ainsi que sur les données internes et externes de l’entreprise afin de proposer une série de questions aux candidats. L’algorithme va ensuite faire un tri en prenant en compte ces paramètres ainsi que le champ lexical, les émotions ou encore l’intonation de la voix », explique Maxime Andro, fondateur de la startup. Dans la même veine, l’outil d’assessment par le jeu vidéo de Yuzu évalue, quant à lui, trois soft skills généralistes : résolution de problème, gestion du stress et adaptabilité. Un score de compatibilité ressort ensuite en fonction de la pondération des soft skills exigée pour le poste. 
  • Repenser le recrutement de manière holistique : s’affranchir de la case CV nécessite de revoir l'ingénierie globale du processus afin qu’il soit cohérent. « Nous avons réorganisé toutes les étapes : les annonces sont disponibles sur notre page carrière, où les candidats postulent sans CV. Ensuite, ils sont évalués via notre assessment center. Nous testons ensuite l’adéquation avec la culture de l’entreprise via un entretien sur les valeurs, puis les compétences en programmation sur la plateforme codingame », explique Léo Fichet. 
  • Opter pour une approche mixte : le sans CV n’est pas une doctrine qui s’applique à tous les postes de l’entreprise par défaut. « Dans les startups, par exemple, c’est pertinent pour les métiers tech en tension mais pas systématiquement pour les autres », explique Laurent Arnaud. Selon lui, le sans CV fait davantage office de canal de recrutement complémentaire plutôt qu’une alternative dans l’absolu. Maxime Andro corrobore : « Le 100% sans CV est très rare. On observe davantage un repositionnement du CV au sein du processus de recrutement : il n’est plus le sésame d’entrée mais plus un élément d’information parmi d’autres qui intervient plus en aval de la sélection. » 

Les évolutions à prévoir pour recruter sans CV

  • Un investissement en formation à prévoir : avec des profils moins capés techniquement, la durée de la montée en compétences peut s’allonger. « Comme on s’extrait du “plug & play” qui consiste à embaucher quelqu’un d’opérationnel immédiatement, il faut se préparer à une période d’onboarding plus longue », insiste Laurent Arnaud.
  • Une culture RH à transformer : « Cette approche exige un lâcher prise de la part de l’entreprise afin de laisser la place à la découverte, à l’étonnement face à des profils inattendus », souligne Maxime Andro. 
  • Des entretiens à réinventer : par cohérence, le déroulé des entretiens en face-à-face doit aussi être revu. « Les questions s’orientent par exemple sur l’expérience de la personne, ses compétences, et non sur des projections qui restent trop abstraites », poursuit Laurent Arnaud.

Le CV est-il vraiment au crépuscule de sa vie ? Pas si sûr puisque l’enjeu serait « de le dépasser plutôt que de l’éradiquer », d’après Laurent Arnaud, laissant ainsi l’espace pour des processus hybrides mêlant diverses modalités.