En France, les transports représentent environ un tiers des émissions de CO2. « Le transport est le mauvais élève. Contrairement à l'industrie ou à l'agriculture, les émissions ont augmenté de près de 5% par rapport à 1990. Or, les objectifs globaux au niveau de l’Union Européenne sont une diminution de 55% en 2030 par rapport à 1990. On est donc loin du compte s’agissant des transports pour la France ! », partage David Pomonti, responsable domaine eco-technologies chez Bpifrance et notamment impliqué dans le programme Demain.

L'État, à travers plusieurs dispositifs et notamment le plan France 2030, a impulsé de nombreuses actions et les concepts de sobriété énergétique et d’efficience sont aujourd’hui largement adoptés. Tout le monde s’accorde à dire qu’il va falloir fonctionner différemment, mais comment ?

Repenser les usages et les énergies

« La mobilité ne se limite pas à la voiture », affirme David Pomonti. « Il est crucial de repenser nos habitudes de déplacement tant sur le plan personnel que professionnel », poursuit-il. La transition implique de reconsidérer l'ensemble de nos habitudes de mobilité. Des solutions multimodales, intégrant vélos, transports en commun et covoiturage, doivent être encouragées pour réduire notre dépendance aux véhicules individuels.

Pour les cas où la voiture reste nécessaire, l'électrification s'impose comme une solution majeure. « L'électrification du parc automobile est une évolution incontournable », souligne David Pomonti. Le passage à l'électrique pour les véhicules personnels et professionnels doit être accompagné d'infrastructures de recharge adéquates et d'incitations économiques pour faciliter cette transition.

Mais cette transition va au-delà du simple remplacement du moteur thermique par un moteur électrique ; elle implique encore une fois un changement de paradigme. « Il y a clairement un biais cognitif. On ne doit pas se reposer uniquement sur le techno-solutionnisme et l'espérance d'une recharge rapide en moins de huit minutes qui ne dérangerait pas plus qu’un plein d’essence. Il faut changer la manière avec laquelle on envisage l'utilisation de la voiture et cela implique deux choses : réfléchir sur l’analyse des usages et mettre en place des actions pédagogiques et de conduite du changement », complète Alfred Richard, CEO et cofondateur de Nelson Mobility, une startup qui vise à faciliter l’électrification des flottes automobiles pour les professionnels

Au-delà, de l’automobile, Les mobilités lourdes, telles que le transport routier, mais également les secteurs maritime et aérien, représentent un défi majeur. Ces secteurs, gourmands en énergie, nécessiteront des solutions innovantes et spécifiques. « L'adoption de carburants alternatifs, comme l'ammoniac ou le méthanol pour le maritime, et le développement de carburants synthétiques utilisant de l’hydrogène décarboné pour l'aviation, sont des pistes prometteuses », partage David Pomonti.

Plus que l’électrification, la nécessité de produire de l’énergie bas-carbone

La décarbonation de la mobilité repose donc en grande partie sur l'électrification, et par ricochet sur la production massive d'électricité bas-carbone. « Si l’on produit l’électricité avec du charbon pour faire ensuite des engins électriques, les résultats espérés ne seront pas au rendez-vous », rappelle David Pomonti.

Parmi les solutions les moins polluantes, on retrouve le nucléaire.« L'énergie nucléaire a le grand avantage d'être l’une des moins émettrices de CO2. En France, nous sommes relativement chanceux, car bien équipés sur le plan nucléaire, même si les ambitions premières des années 70 étaient plus souveraines qu’environnementales », partage David Pomonti. Depuis le discours du président Macron à Belfort, la stratégie sur le plan du nucléaire a été clairement énoncée. « Aujourd’hui, tout l’enjeu est de prolonger le parc existant, et d’avancer de manière efficace sur le renouveau du nucléaire, autrement dit les EPR2 et les small modular reactors », indique David Pomonti.

En parallèle de ce renouveau du nucléaire, il convient de miser dans l’immédiat sur d’autres modes de production d’électricité.« À court terme, les énergies renouvelables doivent être développées à marche forcée. L’éolien offshore commence enfin à se développer en France et c’est une bonne nouvelle », se réjouit David Pomonti. Car au-delà de la mobilité, la décarbonation de notre société va nécessiter d’augmenter sensiblement la production d’électricité bas-carbone, comme expliqué de façon extrêmement documentée par les différents rapports de RTE (Réseaux de Transport d’Électricité). « Là encore, l'acceptation sociale est importante pour envisager une électrification à l'échelle. Les moyens de production seront décentralisés et proches des lieux de vie », alerte Alfred Richard.

Des enjeux environnementaux, mais aussi économiques et souverains

Les experts s’accordent à dire que les choses bougent en France comme en Europe. Mais la transition prendra du temps et ne peut se faire sans tenir compte des enjeux économiques. « Je trouve qu'il y a beaucoup d'énergie et de bonne coordination. Il y a une belle complémentarité entre les start-ups et les acteurs historiques. J'ai la chance de rencontrer énormément de gens passionnés et très compétents qui combinent un engagement sur les questions environnementales et une vraie expertise technique, avec des business plans qui tiennent la route », souligne David Pomonti. « Nous devons être suffisamment patients et conscients que l’inertie n’est pas synonyme d’inaction ou d’immobilisme. Les entrepreneurs doivent être pragmatiques. L'impact n'est pas la réponse à tout, ce que nous construisons doit tenir la route, car si nous voulons passer à l'échelle, il faut une équation économique qui fonctionne », admet Alfred Richard.

Le sujet de la décarbonation des transports est par nature universel. Mais dans cette quête environnementale, les enjeux de souveraineté demeurent et s’expriment via l’établissement des normes. « L’Europe a une carte à jouer. Il faut être solidaires et malins, car nous restons dans une course mondiale contre les États-Unis et la Chine. Par exemple, pour protéger les entreprises européennes de la chaîne de valeur des batteries d’un dumping social ou environnemental, il est nécessaire qu’au niveau de l’Union Européenne soient mis en place des critères techniques et environnementaux stricts. Bref, une forme de réciprocité, à l’instar de l’ouverture par la Commission Européenne d’une enquête sur les subventions illégales accordées aux constructeurs Chinois », partage David Pomonti.

La décarbonation de la mobilité requiert donc une refonte complète de nos habitudes, un engagement fort en faveur de l'électrification et de l'innovation dans les mobilités lourdes, ainsi qu'une production responsable d'hydrogène. « C'est un défi colossal, mais avec la volonté et l'innovation, un avenir de mobilité durable est à notre portée », résume Alfred Richard.