Noël et le Nouvel An à peine digérés, c’est l’heure des bonnes résolutions et des prédictions pour l’année qui débute. Après des dernières années difficiles, marquées par l’inflation et des conflits géopolitiques majeurs, le moral des troupes est loin d’être au zénith, mais Emmanuel Macron promet que «2024 sera un millésime français». Le chef de l’État fait évidemment référence au 80e anniversaire du Débarquement de Normandie et aux Jeux Olympiques de Paris en disant cela. Mais peut-on étendre cet enthousiasme jusqu’à l’écosystème des startups ?

Force est de constater que l’année 2023 n’a pas été de tout repos pour les jeunes pousses tricolores. Après l’euphorie post-Covid qui avait porté les valorisations de certaines entreprises à des valorisations exorbitantes, pour ne pas dire délirantes, le retour sur terre a été rude lors de l’année écoulée, avec des levées de fonds beaucoup moins spectaculaires et la multiplication de plans sociaux (PayFit, Ledger, ManoMano, Ÿnsect…). Ainsi, les méga-levées supérieures ou égales à 100 millions d’euros ont drastiquement chuté en 2023 : on en compte une douzaine contre une trentaine en 2022.

Vers une multiplication des défaillances

Cette tendance de fond ne devrait pas évoluer au cours du premier semestre, où le climat économique devrait rester morose. Au-delà de capitaux qui seront toujours difficiles à capter, sauf pour des startups évoluant dans des secteurs qui ont le vent en poupe comme la greentech, les défaillances devrait considérablement augmenter. La fin d’année 2023 a d’ailleurs donné un aperçu de ces déconvenues, avec des sociétés comme Luko, Carlili, Hopium ou encore Cityscoot qui n’ont pu éviter un placement en redressement judiciaire.

Les difficultés de financement actuelles, conjuguées au débranchage total des perfusions financières de l’État accordées pour surmonter la pandémie, ont accéléré la chute de certaines jeunes pousses, qui ont vu les priorités de leurs investisseurs brutalement changer durant l’année 2022. Après l’ère de l’hypercroissance, où il fallait se montrer agressif pour capter des parts de marché, c’est désormais la rentabilité qui est convoitée. Si ce changement de paradigme se fait dans la douleur, il permet cependant d’assainir l’écosystème en revenant à des fondamentaux moins exubérants.

Si la première moitié de l’année ne s’annonce donc pas forcément plus agréable pour les startups, la deuxième pourrait offrir davantage de motifs d’espoir. Et pour cause, les hausses des taux directeurs de la Banque centrale européenne (BCE), initiées au printemps 2022, devraient enfin cesser. La bataille contre l’inflation étant en passe d’être gagnée selon Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, et François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, les taux directeurs dans la zone euro, qui ont largement dépassé les 4 % ces derniers mois, devraient donc être revus à la baisse au cours de l’année par la BCE. Un mouvement baissier qui devrait permettre de réenclencher la mécanique des investissements dans les startups. Toutefois, pas d’euphorie à prévoir, car il n’est pas question de revenir à des taux négatifs de sitôt. De quoi limiter la création d’une nouvelle «bulle» technologique à moyen terme…

L’IA va doper le marché du capital-risque, mais pas que

S’il faudra donc s’armer de patience dans de nombreux secteurs, notamment dans la fintech, qui souffrent de la crise de financement actuelle, quelques-uns ont l’occasion de tirer leur épingle de jeu. C’est surtout le cas de l’intelligence artificielle, où l’euphorie n’est pas retombée depuis l’arrivée de ChatGPT fin 2022. Si OpenAI semble avoir plusieurs longueurs d’avance aux États-Unis, malgré une rocambolesque crise de gouvernance en novembre dernier, l’écosystème français se montre également particulièrement dynamique avec des pépites comme Mistral AI. Cette dernière, accompagnée notamment par Cédric O, a d’ailleurs récemment levé 385 millions d'euros, preuve de l’enthousiasme qu’elle suscite.

Avec d’autres startups tricolores qui sont prometteuses dans l’IA générative, comme Dust et Poolside, de nouvelles méga-levées de fonds devraient donc intervenir en 2024. Cathay Innovation estime même que tous les ingrédients sont réunis pour faire de la France le troisième écosystème mondial de l’IA. Le fonds dirigé par Denis Barrier prévoit ainsi de mobiliser entre 50 et 100 millions d’euros dans ce sens. Les secteurs de la deeptech et de l’énergie, comme Pasqal (informatique quantique) et Verkor (batteries électriques), devraient également attirer les investisseurs dans les prochains mois. De quoi redonner des couleurs à un marché du capital-risque beaucoup plus calme depuis 18 mois.

Plutôt que de prendre des risques avec des projets trop atypiques, les investisseurs devraient être également tentés de miser sur des entrepreneurs qui ont déjà fait leurs preuves. C’est le cas par exemple d’Antoine Martin, co-fondateur de Zenly, qui est revenu sur le devant de la scène fin 2023 avec Amo, une société avec laquelle il a déjà dégainé trois applications, dont l’une pour faire revivre l’application de géolocalisation entre amis tuée par Snap en début d'année. Pour celle-ci, ce dernier a d’ailleurs réussi à boucler un premier tour de table de 18 millions de dollars.

Avec une application comme Location, qui reprend les codes qui ont fait le succès de Zenly, Antoine Martin et son équipe, constituée d’anciens employés de Zenly, espèrent donner naissance au plus grand réseau social européen, en évitant cette fois de se faire absorber par un géant américain. Pour cela, la chaîne de financement de l’écosystème français devra faire davantage de progrès sur le segment du late-stage. Un impératif pour éviter que les pépites tricolores ne cèdent aux sirènes des ogres américains et asiatiques.

Paul Midy, prochain ministre du Numérique ?

Dans le climat morose qui règne à l’heure actuelle, il y a tout de même quelques bonnes nouvelles pour les startups françaises, puisque les mesures d’aide préconisées par le député Paul Midy et intégrées à la loi de finances 2024 sont officiellement appliquées depuis ce 1er janvier. Parmi elles, figure notamment la possibilité pour les jeunes entreprises innovantes (JEI) de conserver ce statut, avec un seuil de dépenses consacrées à la R&D qui passe à 10 %, contre 15 % auparavant. Une mesure qui pourrait conduire à la création de 1 600 entreprises innovantes chaque année selon Bercy, contre un millier à l’heure actuelle. Autre avancée : l’introduction d’incitations fiscales pour impliquer les particuliers dans le financement des startups et PME innovantes. Paul Midy estime que cela pourrait permettre d’accroître d’un demi-milliard d’euros les fonds levés et de créer 30 000 à 50 000 emplois de plus lors des cinq prochaines années.

En se positionnant comme le principal artisan de ce nouvel arsenal de mesures en faveur des startups, Paul Midy s’est offert une place de choix au sein de l’écosystème. Ses apparitions à des événements tech ont d’ailleurs été de plus en plus nombreuses au fil de l’année écoulée. Par conséquent, de plus en plus d’observateurs lui prédisent même un avenir au sein du gouvernement pour succéder à Jean-Noël Barrot en tant que ministre délégué au Numérique. Une hypothèse qui pourrait prendre de l’épaisseur dans les prochains jours alors qu’un grand remaniement gouvernemental est attendu dans le courant du mois de janvier.

Une résilience qui sera durement mise à l’épreuve

Néanmoins, la partie n’est pas encore jouée et Jean-Noël Barrot aura des arguments à défendre. Il se retrouve en effet en première ligne dans le cadre de la deuxième vague de l’initiative Tibi et pour défendre la position de la France en matière d’IA à Bruxelles. Le ministre a également dépoussiéré les critères du Next 40 et du French Tech 120 pour que ces indices reflètent davantage la vitalité de l’écosystème.

Ce dernier devra briller par sa résilience cette année, même si la perspective des Jeux Olympiques cet été pourra permettre à certains acteurs de briller, notamment ceux évoluant dans la traveltech, qui bénéficient désormais d’un programme dédié, et dans la sportech. Cependant, certains observateurs s’attendent à une année particulièrement difficile au vu du contexte actuel. «Dire que l’écosystème est résilient, c’est du foutage de gueule. C’est une boucherie en ce moment», nous confiait ainsi Pierre Gaubil, entrepreneur français chevronné qui a longtemps vécu au cœur de la Silicon Valley, il y a quelques mois. Les prochains trimestres permettront de vérifier cette perception.