Pour le dire clairement : il semble difficile de trouver une seule bonne raison de ne pas afficher les salaires. Les trois principales objections des employeurs, comme le soulignent d’une voix unie Alexandre Collignon, Chief Operating Officer chez AssessFirst et Virgile Raingeard, CEO de Figures sont rapidement balayées à l’épreuve du terrain.

La première crainte des dirigeants est que le candidat, jugeant le salaire trop bas, ne postule pas. En réalité, c’est exactement le contraire qui se produit : il ne postule pas si on ne lui indique pas de chiffre, expliquent nos experts. Second frein, la crainte de livrer aux concurrents des informations confidentielles. Mais une entreprise qui veut connaître les salaires d’en face y parvient facilement, ne serait-ce qu’en tentant de débaucher ses collaborateurs.

Dernière objection, l’entreprise peut estimer que l’opacité la sert. Elle la place en position de force dans la négociation salariale, que ce soit à l’embauche ou lors des entretiens annuels. C’est vrai. Mais… contre-productif. Car les candidats ne sont pas dupes : au final, vous serez peut-être en position de force, mais avec moins de candidats en face.

Une demande forte des candidats pour l’affichage du salaire

Du côté des bénéfices, la liste s’allonge. À partir de juin 2026, chaque entreprise devra indiquer au moins une fourchette de salaire dans ses offres d’emploi. C’est le sens de la directive européenne du 10 mai 2023, qui sera bientôt transposée dans le droit français et qui vise, notamment, une meilleure égalité des salaires entre femmes et hommes.

Certaines plateformes ont pris les devants depuis longtemps : en septembre 2022, Indeed a ainsi annoncé qu’elle publierait désormais une fourchette pour chaque offre, quitte à l’estimer elle-même. En avril, HelloWork a lancé le label « Super recruteur » : la mention du salaire est obligatoire pour décrocher le badge. La plateforme rappelait au passage que 30 % des candidats ne postulent pas si le salaire ne figure pas sur l’offre d’emploi. Selon Robert Half, ce chiffre monte même à 46% ! Toutes les études plaident en faveur de l’affichage des salaires, mais il reste beaucoup à faire pour « évangéliser » les employeurs et DRH français, encore réticents.

D’autres pays que le nôtre sont en avance - les pays nordiques et les Etats-Unis notamment - et ils tirent le marché. « Si vous pensez que vous êtes tranquilles jusqu'en 2026, vous vous trompez », souligne Virgile Raingeard, le fondateur de Figures (2020), une plateforme de gestion salariale pour une politique de rémunération « juste et efficace ».

« L’effet de levier est très puissant. On le voit bien outre-Atlantique : l’affichage est obligatoire dans une poignée d’Etats, mais les multinationales l’étendent à tous les États, puis à tous les pays du monde. Et les autres entreprises sont tenues de suivre le rythme. »

Commencer par l’interne avant de penser aux offres d’emploi

La question de l’affichage est plus profonde qu’elle n’en a l’air : en effet, il ne suffira pas de « balancer » un chiffre en ligne. « Avant d’en arriver là, l’entreprise aura bouclé une réflexion globale sur sa politique de salaires et a appris à communiquer en interne », souligne Virgile Raingeard.

« Les premiers à qui vous avez intérêt à dévoiler les salaires ne sont pas les candidats, mais bien vos responsables RH, vos managers (toujours en première ligne) et vos employés eux-mêmes, poursuit-il. Si vous ne faites pas les choses dans l’ordre, vous risquez de vous retrouver comme aux Etats-Unis lors de l’entrée en vigueur de la loi sur la transparence des salaires, avec des collaborateurs qui découvrent des inégalités et qui s’insurgent publiquement. »

Dans l’idéal donc, vous corrigez d’abord les écarts, et ensuite vous communiquerez…

Se libérer des vieux réflexes

« Afficher les salaires est infiniment plus efficace que de garder le silence », martèle Alexandre Collignon, Chief Operating Officer chez Assess First (2002), une plateforme qui évalue les soft skills et fait matcher les candidats avec les offres d’emploi et plus finement, avec leur future équipe.

« Hélas sur ces vingt dernières années, le changement n’arrive pas très vite. La culture de l’entreprise tend encore souvent vers l’opacité. Mais il faut réussir à bouger ces lignes-là, qui appartiennent au passé. Même chose pour la lettre de motivation, encore demandée dans 56 % des annonces en 2022… Alors que c’est sans doute ChatGPT qui l’écrira et que personne, pas même le DRH, ne la lira. »

Dernier conseil d’Alexandre Collignon : « Ne mentez pas. Ni sur le salaire - inutile de le surestimer - ni sur vos clients, ni encore sur la manière dont on travaille vraiment dans votre entreprise. Sinon, les nouvelles recrues vous quittent au bout de trois semaines et tout le monde est perdant. »