Après moult rebondissements, Luko est enfin fixé sur son avenir. En effet, le tribunal de commerce de Bobigny a retenu l’offre du géant allemand Allianz, d’un montant de 4,3 millions d’euros, pour reprendre les activités du spécialiste français de l’assurance habitation. Dans le détail, toutes les équipes (113 collaborateurs) et les actifs (la holding Luko et sa filiale opérationnelle Luko Cover, ainsi que les 230 000 contrats d'assurance habitation représentant 400 000 assurés) vont rejoindre Allianz Direct, qui s’est relancé dans l’assurance directe en France l’an dernier. Allianz l’a emporté face aux offres de Leocare et Magnolia, qui s’étaient positionnés pour respectivement 10 euros et 40 000 euros, ainsi que celles de Lovys et Laka, qui prévoyaient une reprise avec un périmètre plus restreint.

Il s’agit du clap de fin d’une invraisemblable saga entamée au printemps 2023, avec le lancement d’une procédure de sauvegarde accélérée afin d’exécuter rapidement un accord trouvé avec les créanciers. L’assurtech, endettée à hauteur de 45 millions d'euros (dont 12 millions d’euros à verser aux actionnaires d’Unkle dans le cadre de l’acquisition de la société spécialisée dans les loyers impayés), pensait avoir fait le plus dur en annonçant son rachat par l’assureur britannique Admiral Group. Mais rien ne s’est passé comme prévu…

Le coup de Trafalgar d’Admiral Group

Et pour cause, Admiral Group avait finalement décidé en octobre dernier de renoncer à mettre la main sur Luko, ne laissant ainsi qu’une poignée de jours aux dirigeants de l’entreprise tricolore pour trouver un autre repreneur avant l’expiration de la procédure de sauvegarde. «Fin octobre, un nouvel œil sur les comptes du côté d'Admiral découvre une dette vis-à-vis des assureurs qui n'avait pas été remontée précédemment, comptes pourtant audités avec l'aide de KPMG. C'était la première fusion-acqusition de leur histoire», estime une source proche du dossier, quand une autre fait part d'un «sentiment d'amateurisme» face à l'attitude de l'assureur britannique.

Finalement, Luko a rapidement trouvé un nouveau repreneur : Allianz. Mais alors que l’entreprise pensait une nouvelle fois avoir fait le plus dur, les choses ne se sont pas passées comme prévu. Selon nos informations, le tribunal de commerce de Bobigny avait en effet estimé que les conditions n’étaient plus réunies pour qu’une reprise s’effectue dans le cadre du régime de la procédure de sauvegarde, notamment en raison d’une trésorerie insuffisante aux yeux du juge. Par conséquent, c’est un placement en redressement judiciaire qui avait été décidé. Tout était donc à recommencer pour Luko… «Il y avait le sentiment d’un acharnement du destin», confie un fin connaisseur du dossier.

En décembre, Allianz est revenu à la barre avec une offre de 4 euros, avant de revoir son offre à la hausse (2,5 millions d’euros, puis 4,3 millions d'euros), à un niveau cependant inférieur à l'offre initiale de 14 millions d'euros (8 millions pour le prix d'achat + 6 millions correspondant à la reprise des dettes laissées par la société à l'issue de l'abandon de l'acquisition par Admiral), pour rafler la mise face aux concurrents de la startup française qui se sont également positionnés sur le dossier. La marque Luko va donc perdurer dans le giron de l’assureur allemand après de longs mois de bataille aux allures de montagnes russes vertigineuses.

«Si la société avait atteint la barre des 100 millions d'euros de primes par an, cela aurait été rentable»

La reprise de l'assurtech française témoigne des difficultés traversées par de nombreuses startups depuis 18 mois. Après l'euphorie post-Covid, où l'argent coulait à flot dans l'écosystème tech, le retournement de marché a pris par surprise de nombreux acteurs, qui n'ont pas eu le temps de s'adapter à la nouvelle donne privilégiant la rentabilité par rapport à l'hypercroissance. Dans ce contexte, Luko, qui a mis la main en 2022 sur son concurrent allemand Coya et Unkle, s'est retrouvé dans une situation délicate.

Dans l'impossibilité de boucler une série C à la fin de cette même année, la société française a alors vu les nuages s'amonceler au-dessus de sa tête. «Ils étaient à la fin du runway, ils avaient 3 mois pour se transformer», relève une source proche du dossier. «Luko faisait 50 millions d'euros de primes par an à son apogée, mais si la société avait atteint la barre des 100 millions d'euros, cela aurait été rentable, et même bien plus qu’un assureur traditionnel, car Luko coûte moins cher, avec un meilleur niveau de service et un faible niveau de sinistralité parmi les assurés. Il a simplement manqué de temps pour atteindre cette masse critique», ajoute-t-elle.

Si Luko n'a pu aller au bout de ses idées en raison d'un retournement de marché fatal malgré 51 millions d'euros levés en capital et 18 millions d'euros en dette, la société aurait néanmoins dépoussiéré le secteur de l'assurance habitation pour le faire entrer dans l'ère du numérique. Elle aura ainsi réussi à capter près d'un quart du marché en ligne dans son périmètre d'action. Luko sera désormais le bras armé d'Allianz Direct dans la vente directe dans l'Hexagone. Le cas de l'assurtech devrait servir d'exemple à de nombreuses startups en difficulté dans les prochains mois alors que la France a enregistré l'un des pires quatrièmes trimestres de son histoire pour les défaillances d'entreprises en 2023. Celles-ci vont désormais au-delà de l'effet de rattrapage post-Covid et le phénomène ne devrait que continuer à s'amplifier en 2024.