Déjà victimes de la crise de financement qui frappe la tech, les fintechs s’apprêtent-elles à vivre une année 2024 particulièrement mouvementée ? La mise en vente de Shine par Société Générale donne de l’épaisseur à cette hypothèse. Surtout qu’il s’agit d’une décision loin d’être isolée dans le secteur bancaire. En effet, Orange chercherait également à se séparer d’Anytime, racheté en 2021, après avoir acté l’arrêt d’Orange Bank il y a quelques mois. Ce n’est guère mieux du côté de la Banque Postale, qui a décidé de stopper les frais pour sa banque mobile Ma French Bank lancée en 2019.

La multiplication des initiatives d’innovation dans les groupes bancaires, en misant sur des projets internes ou des acquisitions, s’était accélérée ces dernières années dans le sillage du rachat de Compte-Nickel par BNP Paribas. Face au succès des néobanques auprès des consommateurs, les banques historiques avaient fini par s’y intéresser pour dépoussiérer leurs services. Le rachat de Shine en 2020 était emblématique de cette approche, surtout que le montant de l’opération était loin d’être négligeable : Société Générale aurait ainsi déboursé 100 millions d’euros pour intégrer la fintech tricolore à son écosystème, selon la presse à l'époque, et ce alors que Shine n’avait levé que 10,8 millions d’euros auprès de Daphni, Kima Ventures, XAnge et quelques business angels pour se développer.

Cependant, le contexte économique s’est depuis fortement dégradé et l’heure n’est plus franchement à la fête dans les groupes bancaires. Il est davantage question de rationaliser les coûts plutôt que de se livrer à une diversification tous azimuts. Dans ces conditions, faut-il s’attendre à une vague de cessions dans la fintech durant les prochains mois ? Shine pourra-t-il se relever face à ce changement de paradigme ? Quels enseignements faut-il tirer de la situation actuelle ? Autant de questions sensibles à aborder que nous avons évoquées avec Patrick Amiel, entrepreneur français à l’origine du corporate startup studio 321. A l’aide de ce dernier, il a notamment lancé la fintech Panto avec BNP Paribas l’an dernier. Le signe que tous les groupes bancaires n’ont pas forcément prévu de réduire à néant leurs projets d’innovation impliquant la création ou le rachat de fintechs.

A noter que Shine n'a pas donné suite à notre demande d'interview, indiquant préférer «ne pas alimenter les rumeurs de marché».

MADDYNESS – La mise en vente de Shine (ainsi que celle d'Anytime) signe-t-elle la fin de la stratégie d'acquisition des groupes bancaires ?

PATRICK AMIEL – Les groupes bancaires ne vont pas mettre un terme à leur stratégie d’acquisition, mais plutôt la réorienter vers des cibles dont le business model est viable, comme le leasing automobile (acquisitions de LeasePlan et de Reezocar par exemple). Il n’est plus possible pour de nombreux acteurs de miser sur des business models fragiles comme celui des néobanques avec un produit net bancaire faible par client, et des coûts importants de marketing et mise en conformité (KYC). C’est aussi le cas dans le secteur de l’assurance avec Luko qui a dû s’adosser à l’assureur allemand Allianz.

Quelles ont été les limites de cette innovation par l'acquisition ?

Il faut remettre cette opération dans le contexte. En 2020, le marché bancaire français voyait l’arrivée de nombreux nouveaux pure-players français et étrangers, dont certains se sont octroyé assez rapidement une part du gâteau comme Qonto et N26 Business. Les établissements traditionnels ont dû réagir via des créations in-house, à l'image de Blank par Crédit Agricole, ou des acquisitions comme l'ont fait Orange ou Société Générale.

Les études montrent que deux tiers des acquisitions rencontrent des difficultés notables d’intégration. Choc des cultures, prises de décisions lentes et compliquées, absence de synergies suffisantes au niveau de la distribution par le réseau traditionnel, etc. Et au final, beaucoup d’efforts pour des résultats inférieurs aux attentes initiales.

«Il pourra y avoir un repreneur mais à des conditions financières très défavorables pour la Société Générale»

Quelles conséquences pour Shine ? Cette décision peut-elle être fatale pour son avenir ?

Shine a été créé en 2017 par des serial-entrepreneurs qui devaient être conscients de ces risques au moment de l’acquisition en 2020. Le changement de CEO du groupe SG accélère très probablement cette prise de décision, d’autant que le contexte boursier pour la Société Générale est à la rationalisation des coûts. On a bien vu les difficultés pour Luko pour trouver un repreneur. Il pourra y avoir un repreneur mais à des conditions financières très défavorables pour la Société Générale. Quant à Shine, reste à savoir qui pourra assurer le financement pour lui permettre d’atteindre une taille critique et s’assurer un avenir pérenne.

Quels types de candidats vont se positionner pour reprendre Shine ?

La majorité des banques françaises sont plutôt en train de se désengager de leurs activités de néobanques. Par contre, un pure-player qui voudrait soit conforter sa position de leader, soit un acteur étranger qui voudrait accélérer son développement commercial en France, pourrait se positionner. Mais reste à évaluer la valeur du capital client de Shine qui revendique 150 000 clients.

Peut-on dire que nous sommes au début d'une ère de liquidation des pépites fintech acquises par les groupes bancaires ?

Plus généralement, dans un contexte économique assez tendu, tous les VC ou les groupes ayant acquis des participations font légitimement l’exercice de rationaliser leurs portefeuilles d’investissement afin de concentrer leurs moyens sur les startups les plus prometteuses, quitte à sacrifier celles qui sont loin de l’équilibre et/ou vont nécessiter un important effort de financement et de risque. C’est ainsi le cas pour de belles acquisitions qui ont de beaux jours devant elles comme Compte-Nickel ou Worklife par Crédit Agricole.