27ème licorne française, EcoVadis continue de croître. Avec plus de 2300 nouveaux clients par mois dans 185 pays, l’aventure EcoVadis fait rêver. Mais quelle est la vision de ses fondateurs pour l’avenir ? À l’occasion de l’événement annuel de l’entreprise, Sustain, Maddyness a rencontré l’un de ses deux discrets co-CEO, Frédéric Trinel.

Maddyness : Avec Pierre-François Thaler, vous avez fondé EcoVadis en 2007. On ne parlait pas encore autant d’impact, de RSE et de protection de l’environnement qu’aujourd’hui. D’où vous est venue cette vision de développer un outil pour noter l’impact des entreprises ?

Frédéric Trinel : Tous les deux, on voulait monter une société dans le développement durable. Pierre-François venait du monde de la logistique, moi du monde du logiciel et de l’évaluation de la performance des candidats dans le cadre du recrutement. On voulait avoir de l’impact et en explorant les différentes possibilités, quand vous combinez la supply chain et l’informatique, il y avait une opportunité de produire une évaluation qui soit suffisamment fiable pour que les sociétés puissent prendre des décisions business basées sur le résultat de cette évaluation, pour avoir un impact positif. 

On est parti du principe que tout ce qui peut être mesuré peut être managé. Mais à l’époque, il y avait très peu d'informations sur la performance des entreprises sur le développement durable. On a mis en place cette méthodologie qui évalue les entreprises sur l’environnement, le social et l’éthique, de manière très industrialisée. On évalue des centaines de milliers d’entreprises très internationales.

Pressentiez-vous l'ampleur que cela allait prendre ?

Non, bien sûr que non ! Même si l’ambition était à l’époque d’emmener le plus d’entreprises possibles vers le développement durable, c’est notre mission, cette ampleur on ne pouvait pas l’imaginer. Mais on en est très contents ! On pense que beaucoup d’entreprises ont compris l’importance d’avoir ce cadre d’évaluation, ce standard international sur lequel elles peuvent ancrer des décisions au travers de leurs process, souvent au travers de l’approvisionnement. Mais pas que, aussi dans la finance.

« Le prochain défi : la décarbonation »

En 2018, vous avez lancé CyberVadis, un outil pour évaluer les risques cyber, là aussi vous étiez précurseur. Quel est le prochain outil d’EcoVadis ? Le prochain défi des entreprises ?

Le prochain défi est clair : la décarbonation. C’est un énorme challenge d’une complexité incroyable. Vous imaginez toutes ces entreprises qui ont des dizaines de milliers de fournisseurs partout dans le monde ? 

Il se trouve que 80% de leur empreinte carbone se trouve dans leur chaîne d’approvisionnement. C’est ce qu’on appelle le scope 3. Et donc, mesurer avec précision, produire de l’information qui soit suffisamment fiable, normalisée, vérifiée à grande échelle, c’est un challenge énorme. 

On a lancé, il y a déjà deux ans, le “carbon action module”. C’est la première étape de notre plan pour contribuer à la décarbonation globale. Cela permet à nos clients de comprendre quel est le niveau de maturité de leurs fournisseurs sur la décarbonation. La deuxième étape est maintenant de collecter des données sur l’empreinte carbone des entreprises afin que les grands comptes puissent réconcilier le calcul qu’ils effectuent aujourd’hui sur leur empreinte carbone scope 3 au travers de leurs partenariats avec des logiciels de comptabilité carbone avec la donnée primaire, c’est à dire celle qui vient des fournisseurs. C’est celle-là que nous apportons, en la vérifiant, en la normalisant, au bon niveau de qualité. 

Il y a d’autres sujets sur lesquels on creuse en profondeur : les droits de l’homme, la biodiversité. Nous avons fait des gros efforts sur les “living wages”, les salaires minimums pour vivre décemment. Tout ça sont des sujets importants pour lesquels notre département de méthodologie est en train de renforcer notre capacité à évaluer la performance des sociétés. Elles sont poussées par la réglementation mais aussi par leurs volontés à couvrir ces sujets.

À partir de 2014, EcoVadis grandit vite, avec l’arrivée de plus de 100 collaborateurs par an. Comment avez-vous géré cette croissance ?

C’est un travail d’équipe. Cela commence par s’entourer des bonnes personnes, on a une chance incroyable. On est dans un secteur qui attire énormément de talents. On reçoit plus de 40 000 candidatures spontanées par an dans le monde entier. On a déjà 14 bureaux dans le monde. Presque 2 000 collaborateurs. Grâce à tous ces talents, on arrive à accompagner la croissance. C’est quelque chose qui nous est familier, l’air de rien, on a quand même maintenant 17 ans d’ancienneté ! 

Tous les ans on a recruté beaucoup de monde, donc on a mis en place tous les process, les équipes qui vont bien, pour être capable d’absorber cette croissance.

« On est en permanence en phase de discovery »

EcoVadis devient la 27e licorne française en 2022. Aujourd’hui, vous êtes encore une startup ?

C’est une vraie question ! Et c’était un de nos plus gros soucis avec mon associé, quand on a dépassé les 200 personnes. On s’est dit qu’on ne pourrait pas garder cette culture très entrepreneuriale avec des valeurs très fortes. En fait, on passait 400 et on s’apercevait que ça continuait, on passait 800, 1 000 et on s’est rendu compte que nous n’étions pas à l’origine de la pérennité de cette culture entrepreneuriale et de startup. Ce sont les équipes elles-mêmes qui veulent la protéger et la promouvoir en interne avec les nouveaux arrivants ! 

Il y a un autre point : tous les ans, le métier change. Notre métier change en tant que dirigeant et pour nos équipes de managers, parce que la société grandit tellement. On est en permanence en phase de “discovery” et en phase de startup. 

On a évidemment un certain nombre de process… On est obligés de structurer l’organisation. Potentiellement, si on veut aller un jour en IPO, cela va être absolument critique. Quand on atteint des tailles comme la nôtre aujourd’hui, un peu de structure c’est sain. Mais ce n'est pas incompatible avec l’esprit startup et nos valeurs de départ.

Vous avez un process de recrutement magique ?

On a un process qui est très très bien ajusté. Je viens moi-même du monde du recrutement. On a une chief people officer extrêmement performante sur ces sujets-là, entre autres. Effectivement, c’est une machine de guerre ! On est parfois obligés de former 30 analystes à la fois. Par exemple, dans la quête d’efficacité, on arrive à former 30 personnes en quatre mois et elles sont complètement opérationnelles. C’était 6 mois, il y a quelques années. Il y a 10-15 ans, c’était un an. Les choses vont beaucoup plus vite. Et les process nous aident effectivement à choisir les bonnes personnes.

Et l’IPO ?

Ce n'est pas une option sur laquelle on va absolument partir. Disons qu’on est en train de s’assurer qu’à terme, d’ici 2-3 ans, l’IPO fera partie des options auxquelles nous pourrons prétendre. 

S’il se trouve que l’IPO est la meilleure option, on aura tout fait en interne pour que ce soit possible. On est passé de mono-produit à multi-produits pour avoir plusieurs leviers et anticiper quel pourra être le revenu à venir. L’IPO est une option possible, mais ce n’est pas forcément celle qu’on choisira. On décidera de ce point lorsque l’opportunité se présentera d’ici 2-3 ans. Mais cela pourra avoir du sens pour renforcer le standard EcoVadis.

Avec Pierre-François Thaler, vous êtes tous les deux depuis le début. Vous êtes devenus un vieux couple ?

Alors oui, on est vraiment un vieux couple ! On ne peut pas faire mieux ! Cela fait 34 ans qu’on se connaît, on a fait beaucoup de bateau ensemble… On a l’habitude de travailler, d’être ensemble. On a une complémentarité qui est incroyable. On a des responsabilités différentes à l'intérieur du business, et des personnalités différentes, des compétences différentes. On est vraiment, au niveau professionnel, un couple où 1+1=3.

Vous vous disputez ?

Non jamais ! Je ne me rappelle même pas la dernière fois où on s’est disputé. On a des discussions qui vont en profondeur mais on ne se dispute pas. D’ailleurs on se dispute plus dans un couple en fait !

« On fait de l’IA depuis 2016 »

EcoVadis fête ses 20 ans en 2027…. C’est une vieille dame dans la tech ?

On se sent hyper jeunes ! Et puis nous cela fait des années qu’on innove. Ça fait 8 ans qu’on fait de l’IA. Aujourd’hui tout le monde en parle, mais on a eu l’opportunité dès 2016 de créer notre propre algorithme et d’aller le peaufiner nous-mêmes avec nos données collectées depuis 9 ans dans nos systèmes. Aujourd’hui, on passe évidemment sur de l’IA générative. On n’arrête pas d’innover donc je sais pas si on peut dire qu’on est une vieille dame ! 

Il y a une bonification de l’entreprise sur la partie innovation technologique mais aussi sur la partie impact. On signe quand même 2350 clients par mois dans 185 pays, c’est quand même énorme ! On a un impact qui continue à s’accélérer. Au contraire, je pense qu’on a un niveau de maturité du business, du standard, de la marque qui nous aide grandement à continuer notre développement.

Aujourd’hui, à combien est valorisée EcoVadis ?

On ne parle pas trop de valorisation, mais bon ça a beaucoup augmenté depuis la dernière fois - entre 1,7 et 1,9 milliard d'euros en 2023, ndlr -, on a une croissance très très forte. L’année dernière, on a cru de 47%. Le chiffre d’affaires augmente de manière très très significative. On ne communique pas tous ces chiffres car, finalement, on ne regarde pas trop toute cette partie-là. Nous, on regarde notre impact. Comment on peut aller aider le maximum de boîtes à se rendre compte de l’importance du sujet et à engager des démarches d’amélioration.

Quelles sont les différences entre le marché américain et le marché français ?

Ce sont des marchés très très différents. Déjà les États-Unis, c’est immense ! Il faut bien comprendre que quand on arrive d’Europe, on ne se rend pas compte, sans avoir habité aux Etats-Unis, de la taille réelle de ce marché. Tout est plus grand. Les investissements sont plus importants, le nombre de clients est plus important. La taille des clients est plus importante. 

Au niveau de la RSE, ce ne sont pas du tout les mêmes contextes. Les US sont un pays qui est plus “consumer driven”, qui va agir par rapport à la demande de ces clients. Alors qu’en Europe, on a eu très tôt de la réglementation. Les Européens pensent que pour régler le problème du développement durable dans son ensemble, il faut, en plus de la volonté des dirigeants, mettre en place des réglementations. Ce n’est pas tout à fait le cas aux US. 

Je fais une généralité, il y a quelques exceptions, comme la Californie, qui ont mis en place certaines réglementations. Mais au niveau national, ce n’est pas vraiment la tendance. Donc c’est un marché très très différent. La communauté américaine business est très engagée, pour la plupart en tout cas. Pour les très grosses sociétés, c’est indéniable.

« Continuer à driver l’impact »

Pour vous, qui sont les champions français de demain ?

J’espère simplement que les champions de demain auront totalement intégré le développement durable dans la plus basse couche de leur ADN. Que ce soit imbriqué à l'intérieur de tous les business, pris en compte, et non plus quelque chose qui vient à côté, qui doit être poussé par les réglementations. Cette révolution, sur la transition énergétique, sur l’environnement en général, sur le développement durable, crée des opportunités incroyables de business.

Je pense que les futurs champions, ceux qui vont performer dans le futur, vont être très très proches de tous ces sujets et ça sera vraiment inclus dans leur stratégie dès le départ de leur société.

C’est quoi l’avenir d’EcoVadis demain ?

Pour nous, c’est vraiment de se concentrer sur la mise en application de notre stratégie qui consiste à aider les entreprises et leur chaîne d’approvisionnement sur leur décarbonisation. C’est un énorme challenge. On a aussi l’accompagnement de nos clients sur l’évolution de nos réglementations, qui est très forte dans certains pays, en Europe en particulier. Et continuer à driver l’impact. C’est notre objectif premier.