Malgré des annonces spectaculaires, soit 109 milliards d’euros au Sommet de l’Intelligence artificielle (IA), et 17 milliards par la suite, plusieurs zones d'ombre subsistent sur les projets IA concrets en France. À ce jour, la Direction interministérielle du numérique (DINUM) n'a pas publié de détails précis concernant l'organisation ou la répartition des 109 milliards d'euros d'investissements annoncés pour l'intelligence artificielle. Les modalités de financement restent donc floues, et même des acteurs clés semblent en attente de précisions concrètes. De plus, la répartition des fonds entre les infrastructures, la formation, la recherche et les applications industrielles n'a pas été détaillée. Aucune précision n’est connue sur la ventilation des budgets entre les différentes initiatives ou infrastructures.
Ces annonces, bien que significatives, soulèvent la question de savoir si elles constituent une véritable stratégie d'État. L'absence de coordination apparente avec d'autres initiatives gouvernementales et le manque de clarté sur la manière dont ces investissements s'intègrent dans une vision globale de l'IA en France laissent place à l'incertitude.
Singapour, un exemple pragmatique pour la France
Or, il est urgent de sortir des chants incantatoires et de présenter un plan d’actions clair pour tous. Alors que le Président de la République vient de terminer son déplacement à Singapour, dans le cadre de son voyage en Asie du Sud-Est, il est intéressant de regarder les avancées de cet État-nation. Car Singapour déploie une stratégie d'intelligence artificielle claire et pragmatique. Le gouvernement a annoncé un investissement de plus de 1 milliard de dollars singapouriens (environ 688 millions d'euros) sur cinq ans pour renforcer ses capacités en matière d'IA. Ce plan, dévoilé dans le budget national 2024, précise les allocations budgétaires. 500 millions de dollars singapouriens sont dédiés à l'acquisition de ressources de calcul haute performance, essentielles pour le développement de l'IA. Et 20 millions de dollars singapouriens sont investis sur trois ans pour des bourses d'études destinées aux étudiants singapouriens poursuivant des carrières en IA, couvrant les niveaux de licence, master et doctorat.
La stratégie nationale d'IA 2.0 de Singapour, lancée en 2023, identifie cinq secteurs prioritaires pour l'adoption de l'IA : la santé, les villes intelligentes, l'éducation, la sécurité et la logistique. Elle vise également à tripler le nombre d'experts en IA pour atteindre 15 000 professionnels d'ici cinq ans.
En parallèle, Singapour a mis en place plusieurs initiatives pour soutenir l'écosystème IA, comme l’AI Singapore, une agence gouvernementale créée en 2017, qui coordonne les efforts de recherche et développement en IA, en réunissant institutions de recherche, start-up et entreprises. Singapour a aussi instauré l’AI Verify, un cadre de test de gouvernance de l'IA et une boîte à outils logicielle open source lancé pour assurer la transparence et la responsabilité dans le développement de l'IA.
De l’ambition à l’action
Les récents bouleversements à l’échelle mondiale l’ont démontré : la souveraineté numérique n’est pas qu’un sujet industriel. C’est aussi une affaire stratégique, qui touche à la résilience nationale, à l’indépendance économique et à la capacité d’innovation à long terme.
En s'inspirant de modèles pragmatiques comme celui de Singapour, en transformant ses ambitions et investissements en objectifs clairs et transparents, la France peut renforcer sa position dans le domaine de l'IA et garantir une mise en œuvre efficace et bénéfique pour l'ensemble de l'écosystème. Mais elle ne pourra réussir qu’à une condition : passer rapidement du discours à la feuille de route, et du volontarisme politique à l’exécution collective.