Vivatech c'est parti ! L'un des plus grands salon tech du monde ouvre ses portes aujourd’hui jusqu’à samedi, à Paris à la Porte de Versailles. 14 000 startups sont attendues, dont une grande partie issue de la French Tech. L’occasion de prendre le pouls de l’écosystème dans un contexte économique et géopolitique instable.
Les startups françaises ont en effet été touchées par la dissolution, la poursuite de la baisse des levées de fonds et la fin de certaines aides publiques comme le dispositif Jeune Docteur. L’élection de Trump aux États-Unis et ses menaces de droits de douane sur l’économie mondiale ont aussi pesé sur l’écosystème. Sans compter que les exits se font aussi de plus en plus rares
En dépit de ce panorama global, et d'une crainte d’une augmentation des impôts pour les entreprises en 2026, la French Tech tente de résister. Ses bases sont de plus en plus saines. Dans la dernière promotion du Next 40 / FT120 publiée la semaine dernière, près d’une startup sur deux, hors Deeptech, est désormais rentable, contre seulement 30% en 2024. La France peut aussi se targuer d’être en tête des pays de l’Union Européenne, en matière d’IA, avec plus de 1000 startups recensées, et près de 1,6 milliards d’euros de levés par les seules startups de l’IA générative, selon le Baromètre EY du capital-risque en France en 2024.
Maddyness : C’est votre quatrième Vivatech. Comment abordez-vous cette édition 2025 ?
Clara Chappaz : Avec fierté et détermination. Fierté, parce que la France est aujourd’hui championne d’Europe de l’innovation. Paris devance Londres sur plusieurs critères. Nous sommes dans le top 5 mondial des écosystèmes tech. Nous avons des leaders mondiaux comme Mistral AI, Doctolib ou Exotec. Et surtout, cette dynamique profite à tous : plus de 150 000 emplois créés en trois ans, des usines qui rouvrent, des services plus efficaces pour les citoyens.
Détermination, parce que je veux accélérer cette trajectoire. Vivatech n’est pas un salon comme les autres. C’est un point d’étape, un révélateur, et un tremplin.
M : Trump, dissolution, baisse des aides... L’écosystème tech a été secoué. Quel est son état d’esprit aujourd’hui ?
Clara Chappaz : Il est lucide, mais déterminé. L’euphorie des années précédentes a laissé place à une phase plus sélective, plus exigeante. C’est une évolution saine : elle renforce les fondamentaux de l’écosystème.
Et les faits parlent d’eux-mêmes. Paris dépasse aujourd’hui Londres sur certains indicateurs de valorisation. La valeur des startups parisiennes a été multipliée par 5,3 entre 2017 et 2024. Malgré un contexte global difficile, la French Tech a créé plus de 150 000 emplois directs en trois ans. Ce n’est pas un repli, c’est un redéploiement. L’innovation est un moteur puissant de notre économie.
M : Vivatech symbolise la collaboration entre startups et grands groupes. Pourtant, des blocages subsistent. Faut-il s’en inquiéter ? Où en est "Je choisis la French Tech" ?
Clara Chappaz : Oui, il y a des blocages, mais tout d’abord il y a aussi beaucoup de choses dont on peut se réjouir, ensuite il faut se focaliser sur les moyens de les résoudre plutôt que de s’en inquiéter !
La coopération entre startups et grands groupes est un enjeu stratégique pour notre souveraineté économique, notre compétitivité et notre capacité d’innovation. C’est pourquoi j’ai lancé, il y a deux ans, l’initiative "Je choisis la French Tech" : pour passer du discours aux actes et orienter concrètement les achats technologiques des grands donneurs d’ordres vers nos startups.
Les résultats sont là : plus de 500 signataires, des centaines de millions d'euros d’engagements, des contrats concrets signés avec EDF, Orange, le Groupe ADP ou CMA CGM. En 2024, 685 millions *d’achats startups* avaient été promis : l’essentiel a été engagé. Cela montre que les grands groupes jouent le jeu – et qu’ils y trouvent leur intérêt.
Mais il faut aller plus loin. En 2025, l’État sera exemplaire dans ses achats technologiques, et je veux que nous franchissions une nouvelle étape : penser en Européens. Le cap est clair : passer de "Je choisis la French Tech" à "Je choisis la Tech européenne", sans jamais renoncer à nos champions nationaux.
M : Le Next40/FT120 réalise 35 % de son chiffre d’affaires à l’international. Le “28ème régime” européen proposé par la Commission est-il une avancée ?
Clara Chappaz : C’est une avancée majeure, et la France s’en félicite. Nos startups veulent croître, et pour cela, elles ont besoin d’un marché européen unifié, plus simple, plus lisible, plus rapide. Le "28e régime" doit être un levier pour lever les barrières administratives et fiscales, accélérer l’accès au marché, et stimuler les investissements privés.
Mais il ne faut pas s’arrêter à la simplification : l’Europe doit aussi financer davantage ses ambitions technologiques. C’est le sens de notre engagement dans l’European Tech Champions Initiative, ou encore du Scale-Up Europe Fund que nous avons porté au niveau européen. Si nous voulons des géants européens visibles à l’échelle mondiale, nous devons leur en donner les moyens.
M : Les exits se font plus rares. Est-ce un signal d’alerte pour le capital-risque ?
Clara Chappaz : C’est un signal à entendre, mais pas un signal d’alarme. Oui, les sorties sont plus rares, et cela pèse sur la liquidité. Mais ce contexte doit surtout nous inciter à mieux accompagner la croissance longue.
C’est tout l’objet du Scale-Up Europe Fund que nous avons soutenu : permettre aux investisseurs européens de rester au capital plus longtemps, d’accompagner nos scale-ups jusqu’à l’IPO, sans les pousser à des sorties précipitées. La clé, c’est de rendre les marchés européens plus attractifs, plus accessibles, pour que nos entreprises puissent grandir ici, et rayonner partout.
M : Travaillez-vous déjà au budget 2026 ? Quelles seront vos priorités ?
Clara Chappaz : Oui, les travaux ont commencé. Et ma priorité est sans ambiguïté : faire entrer l’intelligence artificielle dans toutes les strates de l’économie française et dans les administrations publiques. Nous avons soutenu l’émergence de champions – il est temps d’accélérer leur adoption.
Je présenterai prochainement un plan structurant, avec une ambition forte : former un million de personnes à l’IA d’ici 2030. Nous mobiliserons tous les leviers : formation, financement, *mises en relation*, *concertation citoyenne*, sensibilisation, avec l’appui de grandes figures de l’écosystème. Et l’État montrera l’exemple : nous lançons un partenariat avec Mistral pour équiper plusieurs milliers d’agents publics d’un agent conversationnel souverain. La puissance publique devient ainsi un accélérateur concret de la transformation technologique du pays.
M : Comment l’intelligence artificielle s’implante-t-elle concrètement dans la fonction publique ?
Clara Chappaz : Nous avançons avec méthode et ambition. Chaque ministère a élaboré sa feuille de route IA – elles seront rendues publiques dans les prochaines semaines. C’est un signal fort : l’État s’organise, se forme, se transforme. Et concrètement, nous passons à l'action : un agent conversationnel souverain, conçu avec Mistral, est en test auprès de plusieurs milliers d'agents publics.
L’objectif est clair : faire de l’administration un terrain d’expérimentation à grande échelle pour des solutions souveraines et utiles. C’est une première étape, mais c’est déjà une rupture culturelle, que je salue et que je veux continuer à impulser.
M : Participerez-vous au dîner de l’Élysée organisé pendant Vivatech ? Quel est l’enjeu de cette rencontre ?
Clara Chappaz : Oui, et c’est un rendez-vous politique important. Le Président de la République y réunit l’ensemble de l’écosystème tech pour réaffirmer une ambition nationale : faire de la France une puissance technologique ouverte, humaine et souveraine. Des figures européennes seront aussi présentes, et c’est un signal fort.
Ce dîner est à la fois un moment de reconnaissance et un moment d’écoute : reconnaissance de ceux qui innovent, investissent, prennent des risques – et écoute de leurs besoins, pour adapter nos politiques publiques en conséquence. Et c’est surtout un moment que j’attends pour dire à nouveau, sans détour, que je serai toujours du côté des entreprises !
M : Enfin, sur les cryptomonnaies : où en est la France, et que change le règlement européen MiCA ?
Clara Chappaz : La France a été pionnière en matière de régulation des crypto-actifs. Aujourd’hui, c’est l’Europe qui prend le relais avec le règlement MiCA, qui offre un cadre clair, harmonisé, et protecteur.
Notre ligne est constante : encadrer pour faire émerger, réguler pour donner confiance. Ce cadre européen est une chance pour nos entrepreneurs, nos investisseurs et nos talents. L’innovation ne se fait pas contre la régulation : elle se fait avec elle.