Derrière OpenAI et son agent conversationnel ChatGPT utilisé par des centaines de millions de personnes à travers le monde, Anthropic est l’un des autres géants mondiaux de l’IA avec ses modèles Claude qui s’adressent principalement aux développeurs. Et pour cause, les modèles de l’entreprise américaine sont particulièrement adaptés à la conception d’agents IA et au codage.

Fondée par d’anciens cadres d’OpenAI en 2021, la startup californienne a pu compter sur une pluie de milliards de dollars provenant d’Amazon et de Google pour s’imposer comme l’un des acteurs majeurs de l’IA. Plus tôt cette année, Anthropic a encore levé 3,5 milliards de dollars à une valorisation de 61,5 milliards.

Pour monter en puissance en Europe, la société a recruté en début d’année Guillaume Princen, ancien patron de Mooncard et ex-directeur général en charge de l’Europe et du Moyen-Orient chez Stripe. Chez Anthropic, il aura le même terrain de jeu, avec l’Afrique en plus, pour accélérer l’expansion internationale de la licorne américaine.

A l’occasion de VivaTech, nous avons pu le rencontrer pour discuter du développement de la société et de ses ambitions sur le continent européen.

MADDYNESS – Anthropic évolue sur un marché ultra-concurrentiel. Face à des acteurs comme OpenAI, Mistral AI ou encore DeepSeek, comment se positionne l'entreprise ?

GUILLAUME PRINCEN – Aujourd'hui, Anthropic est en très forte croissance. C'est une entreprise d'IA dont la priorité est la sécurité des modèles. Anthropic fait des modèles qui sont sûrs, responsables, éthiques et à la frontière de l'innovation. C'est vraiment là-dessus qu'on se différencie.

Avoir des modèles qui sont les plus sûrs du monde, c'est quelque chose qui résonne beaucoup sur le marché européen. On sait qu'il s'agit d'une région dans laquelle des entreprises, startups ou grands groupes, ont la volonté d'avoir une IA qui soit à la fois sûre et quelque part qui soit positive pour l'humanité. Et c'est quelque chose qui est très important à nos yeux.

«Aujourd'hui, on voit que plus de la moitié de l'utilisation de Claude est destinée à augmenter les humains, pas à les remplacer»

Lors de son passage à VivaTech, Emmanuel Macron a rappelé que l'Europe est le berceau de l'humanisme et qu'il ne faut pas se détourner de cette vision...

Absolument ! En fait, il y a quelque chose de profondément européen dans la façon dont Anthropic lance des produits et souhaite, quelque part, que cette question de l'IA et de son impact sociétal donne lieu à une discussion publique. Dans ce cadre, nous essayons vraiment d'amener l'ensemble des acteurs de la société dans ce débat, car nous sommes persuadés que l'IA peut avoir un impact sur la société dans de nombreux domaines.

C'est pourquoi nous avons rendu public ce qu'on appelle l'Anthropic Economic Index pour dévoiler de manière évidemment anonymisée les usages de Claude et d'Anthropic pour alimenter cette réflexion sur la façon dont c'est utilisé et comment cela tend à être utilisé. Aujourd'hui, on voit que plus de la moitié de l'utilisation de Claude est destinée à augmenter les humains, pas à les remplacer. Et ça, c'est quelque chose, quelque part, d'assez humaniste.

Après, comment cela va évoluer ? C'est une question que l''on veut continuer à poser. Dans cette perspective, nous avons d'ailleurs créé un Economic Advisory Board avec des économistes du monde entier pour mettre ces questions-là sur la table et pour aider à la réflexion sur ce que ça peut avoir comme impact.

Vous avez rejoint Anthropic il y a quelques mois après avoir été longtemps chez Stripe puis Mooncard. Est-ce que vous retrouvez dans l'IA l'effervescence que vous avez connue dans la fintech en Europe il y a une dizaine d'années ? 

Oui, c'est vrai que c'est assez incroyable ce qui se passe en ce moment dans l'IA. Je pense qu'on assiste à des histoires de startups et de croissance qui n'ont jamais été vues, notamment en France. La French Tech a connu une première vague dans le milieu des années 2010-2020, avec notamment le machine learning et les marketplaces. Clairement, nous sommes en train d'assister à une deuxième vague dans laquelle Paris est extrêmement bien positionné sur l'échiquier mondial et avec des startups de niveau mondial. Mistral AI est un exemple formidable. Et c'est remarquable de voir à quel point la conjonction du talent, de l'investissement, du financement et de l'écosystème fait naître des champions de ce type.

Par exemple, une startup avec laquelle on travaille, comme Dust, utilise Anthropic pour développer un assistant virtuel pour les cadres dans les entreprises, afin de les augmenter. Et ça, c'est ce type de startup qui résout des vrais problèmes, qui permet d'augmenter les travailleurs, etc. C'est quelque chose qu'on voit beaucoup ces derniers temps, et en particulier en France. Je trouve que c'est une excellente nouvelle.

Bientôt un bureau à Paris ?

Pour rebondir sur Mistral AI, qui s'est allié à Nvidia, est-ce que vous aussi vous travaillez avec le groupe de Jensen Huang ? Ou est-ce que vous mettez vos œufs dans plusieurs paniers ?

Nous n'évoquons pas trop notre stratégie sur les puces. C'est quelque chose qui relève un peu de notre cuisine interne. En revanche, on voit que les entreprises, notamment les startups mais aussi les grandes entreprises, selon ce qu'elles essaient de faire, selon le cas d'usage qu'elles veulent mettre dans l'application et selon l'application qu'elles veulent, elles vont faire appel à différents modèles, différents fournisseurs, différents agents...

Par conséquent, tous ces acteurs se croisent. Cela signifie quelque part que le marché est en train de s'établir sur les cas d'usage spécifiques, ce qui est une très bonne chose.

Concernant le marché français et européen, quelle est votre approche pour vous étendre ?

Récemment, nous avons annoncé un plan de recrutement très important en Europe. L'objectif est de recruter plus d'une centaine de personnes d'ici la fin de l'année sur le continent. Quant à la stratégie locale, c'est quelque chose qu'on travaille encore.

Aujourd'hui, nous avons des bureaux à Londres et à Dublin, ainsi qu'un bureau de recherche à Zurich. Est-ce qu'on pourrait imaginer un bureau à Paris ? C'est quelque chose auquel on pourrait effectivement réfléchir dans les prochains mois.

«Ce n'est pas le moment de parler d'un nouveau tour de table»

Vous devez faire face à une concurrence largement financée, à l'image d'OpenAI avec Microsoft. A la fin, est-ce la règle du "winner takes all" qui l'emportera à vos yeux ?

Nous observons une énorme traction sur le code, notamment avec le lancement de nos derniers modèles Claude 4 il y a trois semaines. Opus 4 est le meilleur modèle aujourd'hui sur le marché du code, il n'y a pas de débat. Et Sonnet 4 est le meilleur modèle sur la couche d'en-dessous.

De la même manière, on observe une grosse traction avec tous les types d'entreprises. En France, on travaille avec SNCF, Peugeot et de nombreuses entreprises. Aujourd'hui, il n'y a pas une entreprise qui n'est pas en train de se poser la question de quelle roadmap IA elle doit choisir. Donc la traction n'est pas prête de faiblir.

Pour amplifier cette traction, un nouveau tour de table est-il envisageable ?

On peut imaginer plein de choses, mais là-dessus, ce n'est pas le moment d'en parler. Nous n'avons rien à annoncer sur ce sujet-là pour l'instant.

«Des entreprises comme Lovable enregistrent des taux de croissance record avec un nombre d'employés qui reste relativement faible»

Une dernière question un peu plus ouverte. On voit qu'il y a un énorme blocage sur le monde du travail. Avec des fonctions qui sont toujours plus optimisées, Sam Altman estime que nous sommes peut-être très proches de la première startup “one-person” à un milliard de dollars. Pensez-vous également que c'est possible ou fantaisiste ?

Avec l'IA, on atteint des taux de croissance et des niveaux de revenus impressionnants dans des laps de temps extrêmement faibles. Et clairement, on voit actuellement des entreprises qui enregistrent la plus forte croissance de l'histoire de l'humanité. C'est une réalité.

Est-ce que demain, il y aura des agents qui construisent des entreprises d'eux-mêmes ou qui décident eux-mêmes d'ailleurs de construire telle ou telle entreprise ? On peut imaginer tout un tas de choses, c'est assez futuriste, mais on s'intéresse plutôt à ce qui se passe aujourd'hui.

Aujourd'hui, des entreprises comme Lovable enregistrent effectivement des taux de croissance record avec un nombre d'employés qui reste relativement faible. Alors c'est spécifique au secteur du code, et ce ne sera pas forcément le cas pour tous les secteurs, mais c'est effectivement assez remarquable.