L’entrepreneuriat est au cœur de la dynamique économique française. Avec plus de 848 000 créations d’entreprises en 2023, les dispositifs de soutien aux porteurs de projet n’ont jamais été aussi sollicités. Parmi eux, les prêts d’honneur occupent une place centrale : prêts à taux zéro, sans garantie, souvent accompagnés d’un mentorat. Mais derrière cette image séduisante, certains mécanismes peuvent exposer les entrepreneurs à des risques patrimoniaux sous-estimés et créent des incohérences avec les politiques publiques de protection entrepreneuriale. Une réforme ciblée pourrait redonner à ces outils leur pleine vocation : encourager l’initiative sans fragiliser les individus.
Un dispositif aux bénéfices réels mais aux mécanismes problématiques
Les prêts d’honneur sont des prêts personnels accordés aux créateurs d’entreprise, sans garantie ni caution. Ils doivent être intégralement injectés dans la société nouvellement créée. Leur principal intérêt est de renforcer les fonds propres de l’entreprise, facilitant ainsi l’accès à d’autres financements. Pour de nombreux entrepreneurs, c’est une bouffée d’oxygène bienvenue.
Cependant, les entrepreneurs en phase de création se trouvent souvent dans une situation de dépendance qui altère leur capacité d’analyse. Confrontés aux difficultés d’accès au crédit traditionnel et pressés par l’urgence du financement, ils sont enclins à accepter des conditions qu’ils n’auraient pas acceptées en situation normale. Cette vulnérabilité est parfaitement connue des réseaux qui présentent leurs prêts comme des “solutions de dernier recours”.
De plus, ces prêts ont un coût réel sous-estimé. Pour rembourser un prêt personnel sur 5 à 7 ans, l’entrepreneur doit se verser des revenus soumis aux charges sociales (45%) et à l’impôt sur le revenu (14% à 30%). Selon sa situation fiscale, rembourser 30 000€ peut exiger de générer entre 170 000€ et 200 000€ de chiffre d’affaires annuel, soit un coût réel de 70% à 300% sur la durée totale du prêt. Ce mécanisme transforme un taux zéro en un effort économique considérable.
Le paradoxe des politiques publiques
Plus préoccupant encore, ces prêts créent une contradiction flagrante avec les orientations gouvernementales. D’un côté, l’État multiplie les dispositifs de protection du patrimoine entrepreneurial : déclaration d’insaisissabilité, EIRL, statut de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée. Tous les experts conseillent aux entrepreneurs d’éviter les cautions solidaires.
De l’autre, les prêts d’honneur imposent un engagement patrimonial total et illimité. En cas d’échec entrepreneurial, la responsabilité personnelle de l’emprunteur reste engagée, sans clause de sauvegarde ni plafonnement. L’entrepreneur doit rembourser sur ses deniers propres, parfois plusieurs années après la liquidation de l’entreprise.
Le cercle vicieux s’aggrave lorsque certains réseaux exigent l’obtention d’un prêt bancaire équivalent avant de libérer le prêt d’honneur. Les banques demandent alors souvent une caution personnelle pour ce prêt complémentaire, créant une double exposition patrimoniale pour un seul projet entrepreneurial.
Des inégalités de traitement préoccupantes
Bpifrance a commencé à introduire des mécanismes de garantie pour les prêts bancaires associés aux prêts d’honneur récents, pouvant couvrir jusqu’à 70% du risque sur la composante bancaire. L’institution développe également des approches innovantes comme le prêt d’honneur solidaire qui intègre des mécanismes de protection pour les entrepreneurs en situation de fragilité. Ces avancées témoignent d’une prise de conscience des enjeux de protection entrepreneuriale.
Mais cette évolution soulève des questions d’équité majeures. Les bénéficiaires antérieurs restent sans cette protection sur leurs prêts bancaires, parfois exposés à des relances bien après leur échec entrepreneurial. Des témoignages rapportent des négligences dans l’application du dispositif : oublis de souscription d’assurances pourtant disponibles, disparités de traitement selon les réseaux ou les conseillers.
Ces différences créent une discrimination selon la date d’obtention du prêt, le réseau sollicité ou l’entrepreneur, remettant en cause l’équité du dispositif public.
Des solutions pour un dispositif plus équilibré
L’objectif n’est pas de supprimer ces dispositifs, qui conservent une utilité réelle, mais de les réformer pour éliminer leurs dysfonctionnements à travers des mesures immédiates comme l'obligation d’information transparente sur le coût fiscal et social réel, la mise en place d’une clause de sauvegarde en cas d’échec non fautif, le plafonnement de l’engagement personnel à un pourcentage du patrimoine.
Mais il faut également repenser l'harmonisation et l'équité de ces prêts : par l'extension rétroactive des mécanismes de protection Bpifrance, la création d’un fonds de garantie pour égaliser les traitements selon les époques, l'uniformisation des pratiques de recouvrement avec critères publics.
Enfin, il peut y avoir une amélioration systémique avec : la formation des conseillers sur les dispositifs de protection disponibles, un audit des négligences passées et réparation des préjudices, une généralisation des mécanismes de protection développés dans les dispositifs récents et le développement d’alternatives : subventions directes, prêts à l’entreprise avec garantie publique.
Réconcilier aide et protection
La France doit résoudre cette contradiction entre ses politiques de protection entrepreneuriale et ses dispositifs d’aide qui exposent les entrepreneurs. Encourager l’esprit d’entreprise ne doit pas exposer les porteurs de projet à un risque patrimonial démesuré, particulièrement quand des mécanismes de protection existent mais ne sont pas systématiquement appliqués.
L’évolution engagée par Bpifrance montre qu’une amélioration du système est possible. Il faut désormais généraliser cette approche et corriger les inégalités passées.
Une réforme mesurée et co-construite permettrait de préserver la vocation solidaire et économique des prêts d’honneur, tout en garantissant une meilleure protection des individus. L’entrepreneuriat français mérite des outils à la hauteur de son ambition : justes, transparents et cohérents avec l’ensemble des politiques publiques.