Un bon shot d’optimisme en plein marasme économique et politique, c’est ce que veut insuffler Atomico avec la 11e édition de son rapport annuel «State of European Tech» qui permet de dresser l’état des lieux dans la tech européenne. Mais plutôt que de simplement faire le constat de la situation actuelle, le fonds londonien, lancé en 2006 par Niklas Zennström, co-fondateur de Skype, propose une feuille de route ambitieuse pour l’écosystème tech du Vieux Continent, en mettant l’accent sur la mobilisation du capital, le soutien des talents, la mise en place d’un environnement réglementaire plus souple et un état d’esprit plus conquérant.

En ligne de mire, Atomico érige un objectif qui fait figure de fantasme : avoir un jour une entreprise tech européenne valorisée à 1 000 milliards de dollars. Des hauteurs vertigineuses, surtout quand on sait qu’OpenAI, la société non-cotée la mieux valorisée au monde, en est aujourd’hui à 500 milliards de dollars de valorisation.

En attendant d’atteindre de tels sommets, la tech européenne poursuit sa route pour continuer à structurer son écosystème. Aujourd'hui, la tech européenne pèse 4 000 milliards de dollars, soit environ 15 % du PIB du continent. Elle est portée par 40 000 entreprises qui ont levé des fonds, contre seulement 13 000 en 2016. En 2025, ce ne sont pas moins de 27 700 entrepreneurs qui ont créé des startups sur le Vieux Continent, relève Atomico dans son rapport annuel réalisé en partenariat avec AWS, Orrick, HSBC Innovation Banking et Slush, célèbre conférence tech qui se tient actuellement à Helsinki, en Finlande.

Il s’agit d’une belle dynamique (20 400 en 2024) alors que seulement 17 200 entrepreneurs avaient sauté le pas en 2022, deux ans après un pic à 22 600. En dehors de l’Europe, on observe également une croissance importante du nombre de fondateurs en Inde et aux Émirats arabes unis, deux écosystèmes qui ont connu un développement spectaculaire au cours de la décennie écoulée.

44 milliards de dollars levés en Europe cette année

Si le nombre d’entrepreneurs explose, c’est notamment grâce aux nouvelles opportunités offertes par l’intelligence artificielle, qui permet de grandement faciliter la création de sites et d’applications. Surtout qu’il n’est plus essentiel de savoir coder pour lancer son projet. Cette appétence pour l’IA se retrouve dans les montants investis par les fonds européens. Ainsi, les technologies deeptech de pointe et l’IA représentent désormais 36 % du capital-risque européen, contre seulement 19 % en 2021. Face à la menace russe, les investissements dans les technologies de défense ont également le vent en poupe : ils ont bondi de 55 % sur un an pour atteindre 1,6 milliard de dollars.

Plus globalement, ce sont 44 milliards de dollars qui ont été levés par les startups européennes cette année, contre 41 milliards en 2024 et 43 milliards en 2023. Une croissance timide mais assez logique compte tenu de la crise du financement qui frappe la tech depuis trois ans. Le débit du robinet à cash s'était fortement réduit en 2022 dans la foulée de la remontée des taux d’intérêt des banques centrales. En pleine bulle post-Covid, un pic de 96 milliards de dollars levés avait été ainsi atteint en 2021.

Lovable et Mistral AI, les stars de ces derniers mois

Sans grande surprise, le Royaume-Uni fait toujours la course en tête sur le Vieux Continent, avec 14,4 milliards de dollars levés par les startups britanniques en 2025. Ces dernières devancent largement les startups allemandes (7,4 milliards) et françaises (6,1 milliards).

Sur la troisième marche du podium, la France peut se targuer cette année d’avoir donné naissance à toute première décacorne : Mistral AI. La société dirigée par Arthur Mensch est désormais valorisée à 11,7 milliards d’euros après une levée de fonds de 1,7 milliard d’euros. L’Hexagone a également accueilli une nouvelle licorne avec Zama, entreprise spécialisée dans la cryptographie open source. Il s’agit de la 48e licorne française, relève Atomico.

Néanmoins, l’année 2025 aura surtout été marquée par l’essor express de Lovable, pépite suédoise qui n’aura eu besoin que de huit mois pour devenir une licorne. Au total, l’Europe héberge désormais 413 licornes, dont 28 nouvelles en 2025, soit la meilleure année depuis 2022.

«L'Europe se trouve aujourd'hui à la croisée des chemins»

Tous ces éléments participent à un optimisme croissant au sein de la tech européenne. En effet, environ 50 % des personnes interrogées par Atomico dans l’écosystème du Vieux Continent se sentent plus optimistes qu'il y a 12 mois, contre 34 % en 2024. «C'est l'un des niveaux d'optimisme les plus élevés observés au cours de la dernière décennie», soulignent les auteurs du rapport. Une bonne nouvelle alors que l’inflation galopante, l’instabilité politique dans certains pays comme la France ou encore la menace russe constituent autant d’éléments négatifs susceptibles de plomber le moral des troupes européennes.

Cependant, tout n’est pas rose. Les entrepreneurs se sentent en effet frustrés par l’environnement réglementaire européen. A tel point que Bruxelles vient d’ailleurs de décider d’assouplir sa régulation sur l’IA. Mais au-delà de l’aspect réglementaire, les entrepreneurs européens interrogés par Atomico sont surtout agacés par la fragmentation du marché européen. Il est en effet plus aisé pour une startup française de déployer ses ailes aux États-Unis qu’aux Pays-Bas ou en Italie. Mais les choses pourraient prochainement changer avec l’introduction d’un 28e régime pour poser les bases d’un marché unique européen. La Commission européenne devrait se pencher sur le sujet au début de l’année prochaine. «L'Europe se trouve aujourd'hui à la croisée des chemins. La volonté est là, mais la législation nécessaire pour aplanir les difficultés suivra-t-elle ?», s’interrogent les auteurs du rapport d’Atomico.

Face à ces difficultés, environ 8 % (contre 6 % en 2016) des entrepreneurs européens choisissent d'établir leur siège social sur le marché américain. Une proportion qui grimpe même à 10 % parmi les entrepreneurs dans l'IA. Mais plus globalement, les fondateurs de startups en Europe sont de plus en plus tentés par une délocalisation de leur siège social quand ils atteignent un certain plafond de maturité. A partir des levées de fonds en série C, 30 % des entreprises européennes s’installent en dehors du Vieux Continent.

L'Europe n’a capté que 10 % de la valeur des exits mondiaux

La flexibilité de certains écosystèmes, notamment aux États-Unis, et un meilleur accès à des capitaux pour se développer sont souvent les arguments avancés pour justifier un départ de l’Europe. Les méga-tours de table (plus de 100 millions d’euros) sont ainsi très fréquemment menés par des poids lourds américains ou asiatiques. «Lorsque les entreprises atteignent leur maturité, elles se heurtent à des marchés publics fragmentés, manquant de profondeur, de liquidité et de sophistication pour soutenir les champions européens aux ambitions véritablement mondiales. L'Europe a capté 10 % des 608 milliards de dollars de valeur des exits à l’échelle mondiale dans le secteur technologique en 2025», notent les auteurs du rapport d’Atomico.

Pendant que l’Europe ne capte que 10 % de la valeur des exits mondiaux, les États-Unis s’arrogent la méga-part du lion avec 81 % de la valeur absorbés de l’autre côté de l’Atlantique ! Un chiffre inquiétant car en pleine croissance : la part européenne atteignait 16 % en Europe et 62 % aux États-Unis en 2024. Il faudra donc rapidement stopper l’hémorragie pour revenir dans la course. La clé pourrait venir notamment de fonds de pension plus fournis, Atomico soulignant qu’il s’agit pour l’instant d’une «opportunité manquée» pour la chaîne de financement de la tech européenne.

Par ailleurs, l’open innovation peine à vraiment décoller sur le Vieux Continent, malgré des initiatives comme «Je choisis la French Tech» dans l’Hexagone. Ainsi, seulement 20 % des grandes entreprises européennes collaborent activement avec des startups, contre 50 % aux États-Unis. Et de manière plus globale, l’Europe investit seulement 9 % de ses marchés publics dans l’innovation, contre 20 % aux États-Unis. Difficile de créer dans ces conditions un contexte favorable aux exits.

«L’Europe laissera-t-elle les autres définir la prochaine ère technologique ?»

Depuis le début de l'année, on ainsi enregistré à peine une quinzaine de transactions d'une valeur supérieure à 1 milliard de dollars en Europe, dont 11 opérations de fusion-acquisition, à l’image de la plateforme de livraison de repas britannique Deliveroo absorbée par le géant américain Doordash pour 3,4 milliards d’euros. «Il convient de noter que l'Europe a connu sa meilleure année en matière d'introductions en Bourse depuis 2021», souligne cependant Atomico, en citant la cotation de Klarna, qui est toutefois intervenue à Wall Street, aux États-Unis. «Nous nous attendons à en voir davantage arriver sur le marché l'année prochaine», assure le fonds londonien.

A la lumière des enseignements de son rapport annuel, Atomico estime donc qu’il y a de bonnes raisons de croire à un réveil européen pour rivaliser avec les États-Unis et la Chine sur la scène technologique mondiale. «Le talent, l'ambition et les idées sont tous présents. Ce qui manque, ce sont les conditions nécessaires pour concrétiser ce potentiel : une réglementation simplifiée, des capitaux plus patients et un engagement public. Le rapport de cette année est notre feuille de route pour le changement, car la prochaine décennie sera déterminante : l'Europe sera-t-elle à la pointe de la prochaine ère technologique ou laissera-t-elle les autres la définir ?», s’interroge Sarah Guemouri, associée chez Atomico et co-auteure du rapport. Début de réponse l’an prochain.