Étonnant ? Pas tant que cela : sur un marché du travail inversé, les critères des demandeurs d’emploi s’affûtent et s’accumulent. Face à ces comportements, parfois qualifiés de " candidat roi ", certains employeurs sont déboussolés. Comment rebondir et tirer parti de ce nouveau rapport de force quand on n’est ni un mastodonte, ni une entreprise du CAC 40 ?

Exigences des candidats : la nouvelle donne

Une étude récemment menée par Indeed met en évidence les nouvelles attentes professionnelles des Français*. Si la rémunération reste le nerf de la guerre pour motiver un changement d'emploi (48 %), le niveau d'intérêt d'une mission et la quantité de temps libre sont davantage plébiscités. Cette enquête confirme un rapport au travail où le bien-être et l’équilibre de vie sont capitaux : 37 % des salariés affirment que la flexibilité du travail (temps et lieu) est essentielle tout comme le fait de se sentir respectés. Ils sont également très attachés aux opportunités de développer leurs compétences et de progresser dans leur carrière (respectivement 33 % et 21 % aimeraient qu’on leur offre davantage d’opportunités). En termes de politiques RH et de recrutement, les entreprises ont intérêt à prioriser de meilleures opportunités (39 %) et accroître le niveau de bien-être (38 %).

Résignation ou opportunité : comment les entreprises réagissent-elles ?

Kévin Bourgeois, cofondateur et CEO de Supermood, apporte un éclairage sur la situation : " Il existe des demandes légitimes, mais d’autres le sont moins car elles sont construites sur une fausse idée du marché. Par exemple, les prétentions salariales à la sortie d’école sont parfois fantasmées par ce que lisent les candidats dans la presse. Or, cela ne concerne que 0.1 % des startups, surtout, c’est décorrélé du marché de la tech actuel qui connaît un vrai revirement. ". De plus, faute de budget, de service RH très structuré ou même de visibilité, certaines entreprises ne peuvent s’aligner sur cette litanie de demandes. Ont-elles, pour autant, sombré dans la “vallée du désespoir” ?

Chez RS France, distributeur de composants électroniques, Edwige Fernande, chargée de recrutement et de culture d'entreprise, y voit une réelle opportunité : " Ces nouvelles demandes nous challengent car elles nous forcent à nous réinventer. ".

D’autres assument de ne pas opiner du chef à chaque demande candidat malgré des objectifs de recrutement ambitieux : 200 personnes en 2023 pour la scale-up Lucca. " Il est sain que les candidats aient des exigences, et le fassent savoir. En tant qu’entreprise, notre enjeu n’est pas de répondre à toutes, mais de nous positionner sur celles qui sont en phase avec notre culture d’entreprise pour attirer, avant tout, les bonnes personnes ", souligne Charles de Fréminville, DRH de Lucca.

Recruter malgré l’adversité, c’est possible : 4 stratégies payantes

Si toutes les entreprises ne peuvent (ou ne veulent) pas s’aligner sur chacune des demandes des candidats, elles usent de stratégies de contournement pour respecter leurs objectifs et leur culture d’entreprise :

Chez Lucca, on parle de " contrat social " et non de " package social ", insiste Charles de Fréminville. " Nous avons choisi de ne pas être dogmatiques, mais tactiques : une politique salariale alignée avec le marché en faisant un pas de côté par rapport aux startups qui proposent, parfois, des salaires astronomiques. Cette politique est alignée avec l'une de nos valeurs, à savoir, l’entraide. Cela se traduit par une absence de variable pour les commerciaux, par exemple. Nous valorisons la performance collective via une politique d’intéressement très avantageuse. De plus, depuis vingt ans, nous nous inscrivons sur le long terme, la croissance est mesurée et maîtrisée. ". Lucca a aussi fait le choix d’investir sur l’axe équilibre de vie via une solide politique parentale. Résultat : plus de 100 collaborateurs ont rejoint l’entreprise depuis le début de l'année.

RS France, qui est labellisé Great Place to Work, mise sur un développement des compétences et des carrières sur-mesure : " Nous proposons de nombreuses actions de formations, notamment à l’international, un accès à une palette d’outils e-learning et du développement personnel ", explique Edwige Fernande. Le " give back " est aussi un levier d’attractivité face à la demande d’utilité: " Les salariés bénéficient de deux jours de bénévolat rémunérés par an. " .

Supermood a fait le pari de la flexibilité : " Nos avantages doivent refléter notre culture : nous prônons la responsabilisation de chacun. Depuis 7 ans, nous avons lancé une politique de congés illimités. En sondant nos salariés, 50 % nous ont dit que cela avait été une variable dans leur choix lors du processus de recrutement, à entreprise équivalente ", explique Kévin Bourgeois. Pour encourager le développement des compétences, Supermood propose également une " open book policy " : tous les collaborateurs ont carte blanche pour acheter des livres business. Néanmoins, la startup est consciente de l’importance du critère de rémunération : " On essaie de rémunérer dans les deux derniers déciles, à savoir, mieux que 80 % des entreprises. " .

Pour pouvoir embaucher 600 personnes dans le monde, VISEO, une ESN spécialisée dans la transformation digitale, est très à l’écoute des demandes individuelles, surtout sur un marché pénurique. Leur stratégie de recrutement ? Valoriser leur offre de rémunération complète plutôt que le salaire uniquement : " On accompagne la proposition d’embauche d’un BSI, un bilan social individuel : c’est un outil pédagogique qui explicite notre offre employeur. À savoir, les rémunérations périphériques telles que la santé, les places en crèche, le forfait mobilités durables, l’actionnariat salarié… Le document présente aussi notre parcours de développement de carrière, nos engagements RSE (inclusion, diversité…). Notre objectif : chaque candidat, en fonction de ses intérêts, doit pouvoir trouver un élément de réponse ", explique Marie-Clotilde MANGÉ, Vice-Présidente RH & RSE de VISEO.