“Celui qui deviendra leader en IA sera le maître du monde”. Tels furent les mots de Vladimir Poutine lorsqu’il donna une conférence devant une assemblée d’étudiants russes à Yaroslavl, en Russie, en septembre 2017. Presque dix ans après, nous ne sommes pas encore à l’ère où l’IA domine le monde mais où sa démocratisation progresse de jour en jour.
Si bien que son utilisation commence à prendre place dans les communications de nos politiciens, comme en témoigne la dernière campagne des Républicains “La France des honnêtes gens”. L’idée du parti de droite est simple : montrer, grâce à des visuels générés par IA, “des patriotes sincères”, dans le cadre de leur travail, explique le leader du mouvement Bruno Retailleau. Une campagne à moindre coût donc, traduisant au choix les déboires financiers du mouvement fondé par Nicolas Sarkozy, ou le besoin de paraître plus tendance en utilisant les nouvelles technologies.
Donald Trump, maître de l’IA ?
Si l’IA s’impose timidement dans le paysage politique français, elle est entrée avec fracas dans la vie politique américaine. Son leader incontesté : Donald Trump. Pendant l’élection présidentielle de 2024, il n’était pas rare de voir les équipes du président américain charger ses opposants politiques grâce à cette technologie. L’exemple le plus criant étant une deepfake publiée en septembre 2023 en marge de la primaire républicaine visant à décrédibiliser le dernier opposant de Donald Trump, Ron DeSantis. Dans cette vidéo, le gouverneur de Floride expliquait qu’il se retirait de la course à la présidentielle car il “ne se sent pas assez fort pour assumer ce rôle” et s’engageait à soutenir la candidature du futur président des États-Unis. Une vidéo parodique donc, mais qui contribuera à saborder la campagne de Ron DeSantis qui n’ira même pas jusqu’au bout de la primaire.
Depuis sa prise de fonction en janvier dernier, Donald Trump est d’ailleurs de plus en plus friand de ce type de publication. En témoigne sa désormais célèbre vidéo de février 2025, “Gaza Riviera”. Le président américain avait alors publié sur sa plateforme Truth une vidéo illustrant une potentielle reconversion du territoire palestinien en zone touristique, le tout fait grâce à Grok, l’IA générative d’Elon Musk. Tollé général à travers la planète, mais le message était passé et surtout illustré. “Une ultime provocation d’un dirigeant qui abandonne des valeurs telles que l’humanisme et l’empathie dans l’unique but d’imposer ses idées. L’IA lui permet simplement de mettre en image ces idées”, affirme Thomas Huchon, journaliste indépendant spécialisé dans le traitement des fake news.
Les pouvoirs publics en retard ?
Pour cet ancien chroniqueur de LCI, le cœur du problème ne se situe pas dans l’émergence de l’IA, mais bien dans le fait que cette dernière exploite des failles déjà existantes : “Dire que l’IA est un problème parce qu’elle peut propager des fake news revient à dire que le papier et le stylo sont des dangers sociétaux parce qu'ils permettent de rédiger des menaces de mort. L'IA ne fait que mettre en lumière toutes les failles de notre société que l'on a accumulées sur les 15 dernières années, notamment le manque de législation autour des réseaux sociaux et de la diffusion de contenus.”
Si pour ce professeur de Sciences Po, l’IA ne fait que refléter certaines thématiques contemporaines, il pointe du doigt le laxisme et l’ignorance des pouvoirs publics autour des questions digitales. “Il y a un retard de connaissances et de culture numérique chez nos dirigeants. Il suffit de regarder comment les députés français se sont fait humilier par ces influenceurs, il y a quelques semaines”, explique Thomas Huchon. “Avant d’oser l'IA comme le disait Clara Chappaz, il faudrait s'occuper des problèmes existants et contre lesquels les pouvoirs publics ne font rien. D’autant plus que les capacités de progression de l'IA font qu’il est quasiment impossible de détecter le faux à l'œil nu.”
L’IA, principale candidate en 2027 ?
Même son de cloche du côté d’Antoine Levêque, nouveau directeur général du cabinet de conseil en communication The Arcane, ancien conseiller en communication et stratégie médiatique de Michel Barnier à Matignon. « Aujourd’hui, il faut être extrêmement bien armé pour décoder les contenus réalisés grâce à l’IA. Récemment, un montage montrait des cadres de LFI en train de siroter un cocktail à Roland-Garros. Il s’agissait d’un deepfake très réaliste, qui a mis du temps à être démasqué et qui a suscité des milliers de commentaires et de partages d’internautes indignés », assure-t-il. Une désinformation numérique qui devrait s'imposer comme un défi majeur à l’ère des campagnes électorales. « Nous aurons une élection 2027 extrêmement violente, où chacun des protagonistes devra affronter ses adversaires habituels, mais il est également possible qu’ils aient à faire face à leurs propres doubles virtuels, entre deepfakes et fake news. Les équipes de campagne chargées du fact checking auront un rôle central à jouer. »
L’IA, un renfort démocratique ?
Le chercheur Jean-Gabriel Ganascia, président du comité d’éthique du CNRS, se veut, lui, plus rassurant. S’il rappelle que l’intelligence artificielle ne dépend pas uniquement de la responsabilité des utilisateurs, il explique que sa présence en politique est connue de longue date : “En 2008, Barack Obama a fait toute sa campagne avec les réseaux sociaux pour essayer de cibler les personnes en fonction de leurs orientations politiques. Ses équipes ont ensuite choisi, grâce à l’IA, les militants qui avaient des avis proches du camp démocrate, mais aussi ceux dont les profils pouvaient basculer, pour les convaincre. Il a été un des précurseurs dans l’utilisation de l’intelligence artificielle.”
Il dresse également un parallèle entre la démocratisation de l’IA et l’apparition d’Internet il y a maintenant 30 ans : « Le web et l’IA sont tous deux issus du couplage des hypertextes et des réseaux de télécommunications », explique-t-il. “À l’époque, le web était vu comme un renfort de la démocratie, puisque c’était un forum où tout le monde pouvait discuter et où toutes les connaissances étaient à disposition de tous. L’IA ne fait que reprendre les principes du web afin de les exploiter. Donc, on peut imaginer que, dans une certaine mesure, l’IA renforce la démocratie. Encore faut-il qu’elle soit correctement encadrée.”