Il y a quelques mois encore, Tupperware France semblait condamnée : le géant américain des boîtes en plastique avait accumulé les difficultés et même déposé le bilan à l’automne 2024. Pourtant, contre toute attente, la branche française a été rachetée le 18 mars dernier par une équipe d’entrepreneurs emmenée par Cédric Meston. Leur pari audacieux ? Faire renaître Tupperware de ses cendres en France, préserver des centaines d’emplois et sauver un savoir-faire emblématique plutôt que de le voir disparaître. Cette reprise in extremis montre qu’avec de la détermination et une vision industrielle, aucune entreprise n’est jamais réellement perdue – même les marques les plus en difficulté peuvent connaître une seconde vie grâce à des repreneurs passionnés.
Mais le sauvetage de Tupperware n’est que la partie émergée de l’iceberg. Chaque année, 30 000 entreprises disparaissent faute de repreneur, alors que seulement 10 000 reprises d’entreprises aboutissent sur la même période. En clair, pour une entreprise reprise, trois ferment boutique définitivement – et avec elles, ce sont des dizaines de milliers d’emplois et un capital d’expérience qui s’envolent. D’ici 2030, environ 700 000 entreprises seront à transmettre en France du fait du départ à la retraite de leurs dirigeants. C’est colossal : derrière ce chiffre, imaginons 700 000 histoires humaines et économiques – des boulangeries de village, des PME industrielles familiales, des start-ups innovantes – qui risquent de s’éteindre si on ne trouve pas de mains pour reprendre le flambeau.
C’est un enjeu majeur de souveraineté économique et d’aménagement du territoire, parce que chaque PME qui ferme, c’est un service de proximité en moins, un savoir-faire local qui disparaît, et souvent une commune qui se dévitalise.
Heureusement, la reprise d’entreprise commence à attirer l’attention et des initiatives concrètes émergent pour inverser la tendance. Par exemple, France Reprises s’est lancée pour « structurer l’écosystème de la reprise d’entreprise en accompagnant celles et ceux qui veulent reprendre plutôt que créer ». En clair, cette initiative met en relation des cédants (chefs d’entreprise souhaitant passer la main) avec des repreneurs potentiels, et leur offre outils, formation et réseau. C’est exactement le genre d’approche qu’il faut multiplier : faciliter la rencontre entre entreprises à céder et entrepreneurs repreneurs, pour que la fermeture ne soit plus la seule option par défaut. Par ailleurs, des outils fiscaux intelligents existent et doivent être préservés. On pense notamment au Pacte Dutreil, qui permet de transmettre une entreprise familiale avec une fiscalité allégée afin de ne pas décourager les repreneurs. Le Gouvernement vient d’annoncer le maintien de ce dispositif crucial dans le budget à venir – un signe positif pour toutes nos PME familiales qui préparent l’avenir.
Mais il faut aller encore plus loin. Si je mets ma casquette d’entrepreneur, je me dis qu’on ne peut pas laisser 20 000 entreprises fermer chaque année faute de repreneur. Nous devons bâtir un véritable « New Deal » de la transmission des PME : sensibiliser massivement les chefs d’entreprise en âge de partir à la retraite, dès maintenant, à préparer leur succession en amont ; encourager financièrement les reprises (par des prêts avantageux, des garanties publiques, des allègements de charges pour le repreneur la première année) ; simplifier les démarches juridiques pour reprendre une société (les process actuels sont souvent trop longs et complexes pour les non-initiés). Pourquoi ne pas imaginer, par exemple, une plateforme nationale de la transmission regroupant toutes les offres de PME à reprendre, calquée sur le modèle d’une bourse d’échange ? Il s’agit aussi de valoriser le métier de repreneur, d’en faire une voie royale de l’entrepreneuriat : reprendre une entreprise, ce n’est pas moins glorieux que de la créer, au contraire ! C’est sauver un patrimoine économique, donner une seconde chance à une équipe et à une marque, tout en bâtissant sur des bases existantes.
En France, nous avons eu le « soft power » des startups, il est temps d’avoir le « power » tout court des repreneurs. Chaque PME sauvée de la fermeture est une victoire économique et sociale. C’est une usine qui continue de tourner, un commerce qui reste ouvert dans la ville, des salariés qui conservent leur travail. Je veux que plus aucune entreprise viable ne mette la clé sous la porte sans au moins avoir exploré la piste d’une reprise. L’État, les régions, les réseaux professionnels : tout le monde doit se mobiliser pour mettre en relation les bonnes volontés et accompagner ces transitions parfois délicates. C’est de cette façon que nous préserverons notre tissu de PME si précieux et qu’on redonnera vie à nos territoires. Ne laissons plus nos PME sans héritiers : faisons de la transmission d’entreprise un grand chantier national, au service de l’emploi et de l’avenir de nos régions.