Les startups françaises abordent l’examen du budget 2026 dans un climat de vigilance. Les effets du précédent budget se font encore sentir : trésoreries contraintes, ralentissement des recrutements et prudence accrue des investisseurs

"Le mois de septembre, c’est le premier depuis deux ans où il y a eu plus de destructions que de créations d’emplois dans les startups françaises" alerte Yann Boulay, Public Policy Lead chez France Digitale. La diminution des levées de fonds est elle aussi très marquée, avec un montant levé au premier semestre à 2,78 milliards d'euros, selon les derniers chiffres du cabinet EY : "Moins 35% au premier semestre, et cela se poursuit au troisième trimestre. S’il n’y avait pas eu la levée de Mistral, ce serait catastrophique".

Trois articles du budget au cœur des inquiétudes

Dans le projet de budget 2026, trois dispositions concentrent les critiques de France Digitale, qui y voit un risque d’affaiblissement durable de l’écosystème de l’innovation.

La première source d’inquiétude concerne le relèvement du seuil d’éligibilité au statut de jeune entreprise innovante (JEI). Pour rappel, le statut de JEI permet à 4500 startups d’obtenir des exonérations sociales et fiscales. L’article 9 du projet de loi de financement de la Sécurité sociale prévoit de porter de 20 % à 25 % la part minimale des dépenses de recherche et développement nécessaires pour en bénéficier. Une évolution qui pourrait, selon France Digitale, exclure plusieurs centaines de startups du dispositif. "On va se retrouver avec plusieurs centaines de startups exclues du statut. Pour celles qui espéraient le réintégrer après l’ajustement de 2025, c’est une double peine" prévient Yann Boulay. L’impact est immédiat : "Cela va entraîner des gels de recrutement, voire des licenciements."

Ce changement interviendrait un an seulement après une précédente modification du seuil, qui le faisait le taux de dépenses de R&D de 15 à 20% alors que nombre de jeunes pousses venaient d’ajuster leurs budgets de R&D pour s’y conformer. 

"Tous les ans, on rehausse le seuil. On perd toute visibilité. Or, la visibilité, c’est la clé pour investir, recruter, planifier" insiste Yann Boulay, qui rappelle que les JEI sont "des TPE-PME, pas forcément rentables, mais qui prennent des risques".

Autre point sensible : la fin programmée de l’avantage fiscal IR-PME à 25 % pour les investissements réalisés via les fonds communs de placement dans l’innovation (FCPI). Ce dispositif, rétabli en 2025 après validation par la Commission européenne, doit expirer le 31 décembre prochain. Le projet de loi de finances 2026 ne prévoit pas sa prorogation. Pour France Digitale, cette absence de prolongation risque de freiner la mobilisation de capitaux privés dans les startups et de tarir une partie du financement en amorçage ou en croissance. "En période de hausse de taux, ce sont surtout les particuliers qui prennent le relais de l’investissement. Supprimer cet avantage, c’est asphyxier l'amorçage", prévient l’organisation, qui demande la prorogation du dispositif "au moins jusqu’à 2028".

Enfin, la création d’une taxe sur le patrimoine financier des holdings patrimoniales, inscrite à l’article 3 du projet de loi de finances, suscite également des réserves. Si le gouvernement souhaite mieux taxer les revenus passifs, la mesure pourrait selon l’écosystème avoir un effet collatéral sur l’investissement productif. "Une holding, c’est un outil d’investissement dans l’économie productive. La taxer sans distinction, c’est dissuader la prise de risque", estime Yann Boulay. France Digitale appelle à la plus grande vigilance pour que les exonérations nécessaires soient prévues.

Un écosystème déjà éprouvé par le budget 2025

Avant même la présentation du budget 2026, les jeunes entreprises innovantes évoluent dans un cadre budgétaire déjà resserré. La loi de finances pour 2025 a réduit d’environ trois milliards d’euros les soutiens à l’innovation, à travers plusieurs ajustements désormais en vigueur. L’avantage "jeune docteur" a été supprimé du crédit d’impôt recherche, mettant fin à une incitation ciblée sur le recrutement de chercheurs. Le taux du crédit d’impôt innovation (CII) a été abaissé à 20 %. Parallèlement, les crédits de paiement du plan France 2030 ont reculé d’environ 30 %, limitant le lancement de nouveaux appels à projets.

Ces mesures ont contribué à ralentir l’investissement privé et public dans la recherche, entraînant des reports de projets technologiques et un gel de certaines embauches. "L’écosystème a déjà pris sa part dans l’effort budgétaire" souligne Yann Boulay.

Un appel à la stabilité et à la cohérence

France Digitale dit mesurer les efforts nécessaires pour redresser les comptes publics, mais juge indispensable de préserver un environnement fiscal stable pour les jeunes entreprises innovantes. "Quand vous pensez une innovation de rupture, vous avez besoin de visibilité pour recruter et faire les investissements nécessaires. Sinon, cela déséquilibre tout" explique Yann Boulay. "Aujourd’hui, on fait des économies de court terme, mais on compromet la croissance de long terme".

L’organisation plaide pour quatre ajustements majeurs :

Le maintien du seuil JEI à 20 %, en supprimant l'article du PLFSS qui propose de le relever. France Digitale rappelle que ce seuil permet à des entreprises innovantes, mais non deeptech, de continuer à bénéficier d’un soutien essentiel en phase de décollage.

La prorogation du taux IR-PME/FCPI jusqu’à 2028, pour garantir la visibilité des investisseurs particuliers qui soutiennent massivement l’innovation quand les taux d’intérêt dissuadent les institutionnels.

La réintroduction ciblée du dispositif Jeune Docteur dans le crédit d’impôt recherche, en le limitant aux TPE, PME et ETI, avec une prise en charge moins importante afin d’en réduire le coût.

La réintégration des dépenses de brevets dans le crédit d’impôt recherche, pour permettre aux entreprises de mieux protéger leurs innovations face à la concurrence internationale.

Le projet de budget 2026 sera discuté dans les prochaines semaines à l’Assemblée nationale. Pour France Digitale, ces arbitrages seront décisifs : "Si on prive nos entreprises innovantes de créer de la valeur et des innovations, on se prive du peu de croissance qui nous reste aujourd’hui en France".