Depuis la création du co-avionnage, qui permet de voyager aux côtés d'un pilote privé à moindre coût, les startups qui se sont lancées sur ce créneau essuient de nombreux revers, réglementaires pour la plupart. Retour sur les véritables montagnes russes qu'ont vécu les fondateurs de Wingly, qui ont bouclé leur première levée de fonds en mai.

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Il y a un an et demi, en nous lançant dans le coavionnage avec Wingly, nous prenions un billet sans retour pour vivre les montagnes russes de l’aventure startup. Jamais aurions-nous imaginé que l’administration française tente de nous interdire par deux fois, alors que dans le même temps l’Union Européenne, l’Allemagne et l’Angleterre nous donnaient leur feu vert et que nous commencions à démocratiser l’aviation légère !

Depuis le lancement, plus de 2 500 pilotes privés ont proposé des places libres sur leurs vols et plus de 1 000 passagers ont pu réserver un siège pour une ballade aérienne ou leur prochain voyage. Le partage de frais a permis aux pilotes d’économiser plus de 100 000 euros qu’ils ont pu réinvestir dans le secteur de l’aviation légère. Néanmoins, 90% de notre activité a actuellement lieu en Allemagne alors que nous avons initialement lancé Wingly en France. Si nous souhaitons dénoncer certains abus de pouvoir, Wingly est avant tout une incroyable aventure qui nous a rappelé à de nombreuses reprises que le métier d’entrepreneur ne ressemble à aucun autre.

Un décollage réussi pour Wingly ! Buzz : check. Premiers utilisateurs satisfaits : check.

Nous lançons Wingly le 9 juillet 2015. Après 3 mois de travail intense tout est réuni pour faire du coavionnage une belle histoire. Nous constituons une équipe de choc passionnée d’aviation: un pilote polytechnicien, un ingénieur aéronautique de Supaero et  de Polytechnique et un développeur web berlinois de talent. En quelques jours nous avons un article dans Le Point, passons sur BFM Business radio et télé et atteignons les 1 000 utilisateurs très rapidement. Un mois plus tard, le premier vrai passager s’envole grâce à  Wingly. Il réserve un deuxième vol dans la foulée. Nous comptons alors plus de cinquante autres réservations pour les jours suivants.  

Au même instant, un puissant syndicat de pilotes commerciaux envoie un dossier à la ministre Ségolène Royal sur le coavionnage. Le syndicat dénonce une concurrence déloyale et exige la fermeture de Wingly. Heureusement, la fièvre médiatique continue. C’est le rêve de l’aviation légère à la portée de tous qui convainc. Les utilisateurs Wingly sont filmés au-dessus de la Corse et de Fort-Boyard par les plus grandes chaînes. En deux mois, le lancement du coavionnage est réussi et beaucoup d’hypothèses du business model sont vérifiées. Mais que devait devenir l’attaque du syndicat de pilotes commerciaux ?

Le ciel s’assombrit pour le coavionnage avec le cumulonimbus DGAC

Sous la pression syndicale, la Direction Générale de l’Aviation Civile, la DGAC, décide de réduire les gaz du coavionnage. La DGAC appelle dans un communiqué de presse la communauté aéronautique à la prudence et annonce la création d’un groupe de travail pour encadrer le coavionnage. Les conclusions du groupe de travail semblent déjà décidées et le 3 décembre la DGAC prononce son verdict:  le partage de frais en avion est considéré comme une activité commerciale. Les pilotes devraient donc se doter d’une licence commerciale. C’est comme si l’on exigeait des conducteurs Blablacar de posséder une licence de taxi. A cette même date, 6 mois après le lancement, la communauté Wingly représente alors 10 000 membres dont 1 000 pilotes. Nos advisors nous conseillent de contourner le problème. Mais comment ?

Eclaircie sur l’Allemagne et l’Angleterre: changement de cap !

La réponse arrive quelques jours plus tard : la DGAC allemande nous indique que le coavionnage est 100% légal de l’autre côté du Rhin. Nous nous préparons donc à une internationalisation rapide. Nous lançons Wingly en Allemagne en février 2016. En deux mois nous dépassons notre concurrent local sur son propre territoire grâce à une forte présence médiatique. Ce sont ensuite les britanniques qui autorisent le coavionnage. Les Anglais indiquent, dans une logique très libérale, que le coavionnage permettra même d’améliorer la sécurité : grâce au partage de frais, le coût de l’heure de vol diminue, les pilotes volent donc davantage et deviennent plus expérimentés.  

La puissance de l’Union Européenne : plus un nuage à l’horizon, c’est la tempête de ciel bleu !

Dix jours plus tard, nous recevons un courrier du directeur de l’Agence Européenne pour la Sécurité Aérienne: le coavionnage est 100% légal selon un règlement européen qui doit entrer en vigueur dans l’ensemble de l’UE le 25 août. Le coavionnage doit donc devenir légal en France dans 6 mois. Il faut préciser que l’administration française n’a jamais rendu le coavionnage illégal et s’est contentée d’effrayer la communauté aéronautique par un communiqué de presse. Attaquer la DGAC était possible à l’époque, mais peu stratégique.

Recherche de kérosène auprès des investisseurs : notre croissance séduit

En mai 2016 l’Allemagne représente 80% de notre activité. Plus de 100 passagers découvrent l’aviation légère chaque semaine grâce à Wingly. Notre croissance convainc alors plusieurs business angels de renom et nous clôturons notre première levée de fonds fin mai. Début juin, lors du salon du Bourget allemand, la secrétaire d’État à l’économie germanique nous remet le prix de l’innovation de la Fédération pour l’Industrie Aérospatiale allemande. Une seule amertume : pourquoi la France ne nous soutient pas de la même manière ? Début juillet nous lançons Wingly en Angleterre. Nous devons maintenir notre avance sur nos concurrents et asseoir notre position de leader européen du coavionnage.

La France sort les aérofreins réglementaires fin août pendant que tout le monde est en vacances

Le 13 juillet dernier, la DGAC française décide de déroger au cadre européen. Selon la DGAC, l’UE, l’Allemagne et l’Angleterre sont incompétents. Ils sont donc obligés de faire le travail à la place de tout le monde. La DGAC construit donc un cadre franco-français en un mois pendant que tout le monde est à la plage. Le 22 août, la DGAC dépose sa dérogation à la Commission Européenne, nous coupant ainsi de plus de 85% de notre marché potentiel en France. Nous avions pourtant proposé plusieurs mesures sécuritaires construites avec des experts de renom du secteur. Ces propositions sont malheureusement restées sans retours.

Le lendemain de la mise en application de la dérogation, les pilotent nous soutiennent à l’image de ce pilote, ingénieur travaillant dans un grand groupe aéronautique : “C’est clair qu’avec des conditions comme ça, il restera deux pilotes en France pouvant proposer du coavionnage. [...] La DGAC a vraiment un problème avec la modernité. En tout cas MERCI Wingly car grâce à vous je suis un meilleur pilote. J’ai pu faire plus d’heures que normalement et j’ai vraiment ressenti une amélioration dans mon pilotage. Et ÇA, c’est la sécurité!”  Ce pilote n’a pas tort, depuis 1990 le nombre d’heures en aviation légère a chuté de 40% en France.

Un cercle vicieux de sur-réglementation en accord avec le principe de précaution est en place. Tout le secteur de l’aviation légère en pâtit. Sur l’aspect sécuritaire les pilotes Wingly indiquent avoir un comportement 30% plus sécuritaires en coavionnage qu’à l’habitude. L’apport de l’intermédiation électronique permet de rappeler des messages de sécurité, de vérifier la licence des pilotes et leurs certificats médicaux. Wingly créé une communauté de confiance autour d’une passion d’exception: l’aviation. Si la France refuse ce cercle vertueux du coavionnage, c'est justement lui qui motive les Anglais et les Allemands.

L’Allemagne et l’Europe appuient sur la manette des gaz tandis que la France est à court de kéro

Le 8 septembre, nous sommes partis à Berlin pour un programme d’accélération au sein du Plug & Play Axel Springer de renommée mondiale. Nous choisissons de développer le potentiel de notre marché allemand en forte croissance en attendant que la situation se décante en France. Nous avons laissé une partie de l’équipe en France pour continuer d’y faire fonctionner le coavionnage malgré un plafond de verre qui sera vite atteint. L’Europe doit se positionner d’ici fin septembre sur la pertinence de la dérogation française et nous sommes optimistes : il y a 6 mois la DGAC souhaitait nous imposer le même cadre légal qu’à Air France, aujourd’hui l’administration reconnaît la légitimité de notre activité, dans 6 mois… nous espérons faire du mythe de David contre Goliath une réalité.