Qui aurait cru, il y a quelques années, que la SNCF ouvrirait un jour les négociations avec BlablaCar pour la cession de sa filiale de cars longue distance Ouibus ? Signe des temps – anciens contre modernes, groupe historique contre champion de la plateformisation, l’événement rappelle juste, une fois de plus, combien la transformation des grands groupes est sensible et vitale.

Les approches top-down de la transformation mènent à l’impasse

Pourquoi ? Principalement parce que l’approche classique du changement – top-down, mécanique, fondée sur des plans hérités de l’ère industrielle, ne peut plus fonctionner dans un monde d’agilité, où la transformation n’est plus une " étape ", mais un état permanent. Les premiers agents de l’agilité, ce sont les collaboratrices et les collaborateurs eux-mêmes, ce sont eux qui constituent l’organisation. Or aujourd’hui, ils ne sont pas ou trop peu acteurs de ces dynamiques de transformation.

Dans la plupart des grands groupes, celui-ci suit encore un modèle tayloriste, vertical, dicté par les grands cabinets de conseils. Le changement est découpé en slides : organisation cible, activités et salariés amenés à disparaître, plan de com, plan de formation, plan de réorganisation. Tout est logique sur le papier. Mais sur le terrain, les entreprises s’épuisent. L’effort est colossal - les résistances et les frustrations aussi. Combien de groupes gèlent toute activité, investissement, innovation, le temps de " réussir " cette réorganisation à marche forcée ? Sauf qu’au final, le monde ne les attend pas : au bout de deux ou trois ans, quand l’entreprise à bout de souffle s’est enfin réorganisée, le marché, les clients, les attentes ont changé. Et tout est à refaire.

Dans ce modèle, la fonction RH joue un simple rôle de relai, de courroie d’exécution du " plan ". Elle applique des protocoles de masse-mobilité et d’évaluation : il s’agit de faire " à la place " des salariées et salariés, au service d’objectifs dictés d’en haut avec souvent très peu de moyens par rapport à la demande d’accompagnement des salariés dans ce contexte.

Pas de transformation possible sans des salariés proactifs et en mouvement

Or pour qu’une entreprise évolue, s’adapte sans cesse à son marché, il faut que les collaboratrices et les collaborateurs participent à ce mouvement. Et cela passe nécessairement par le fait qu’ils soient eux-mêmes en mouvement sur leur propre trajectoire professionnelle. Conscients de leurs forces, de leurs envies, de l’évolution de leurs métiers et de leurs environnements professionnels ; capables de se repositionner dans l’entreprise à chaque nouvelle étape.

C’est cela l’accompagnement au changement. Permettre aux salariés d’être en phase avec eux-mêmes, informés et ouverts au devenir stratégique de l’entreprise, pour pouvoir penser leur travail dans le nouveau contexte, le construire plutôt qu’y résister, en identifiant, dans la dynamique de l’entreprise, les opportunités de changements qui conviennent à leurs propres objectifs et aspirations.

L’empowerment des collaboratrices et collaborateurs est une étape très concrète. C’est une politique de l’entreprise qui fait le choix de développer chez ses collaborateurs une capacité de faire par eux-mêmes en matière de gestion de carrière. C’est leur permettre d’avoir une connaissance des enjeux et évolutions business de l’entreprise. Et leur donner la possibilité de se connaître, de se positionner et de manoeuvrer par rapport à cette transformation.

Les clés de l’empowerment : la culture...

Dès lors, la fonction RH doit relever un enjeu business capital dans la transformation. Elle doit monter en compétence dans cette logique d’autonomisation des salariés. C’est d’abord une question de culture : l’autonomisation des collaborateurs requiert de la confiance et peut faire peur. Mais il faut faire la part des choses entre les risques hypothétiques (peut-être vont-ils partir, travailler moins, me demander des solutions que je n’ai pas...) et les risques bien réels, avérés en l’absence d’autonomie : fuite des talents, désengagement, départs brutaux, frustration latente de part et d’autre, transformation bloquée, tensions business. À chacun de voir ce qu’il préfère.

Plus d’autonomie dans la gestion de sa trajectoire requiert à la fois une culture d’organisation prête à évoluer, une nouvelle posture RH et des outils mis à disposition permettant concrètement aux personnes d’être actrices de leur parcours. Pour avancer vers cet empowerment dans la carrière des collaboratrices et collaborateurs, cette culture qui encourage une plus grande prise d’autonomie, par où commencer ?

Et les outils des collaboratrices et collaborateurs

Voici quelques actions, chantiers qui peuvent être lancées, ou outils qui peuvent être mobilisés :

  • La formation on demand : permettre aux collaborateurs de votre entreprise de faire eux-mêmes des choix de formation alignés avec leurs envies d’évolution et mettre à disposition les outils de learning qui le permettent
  • Les coachs de carrière : équiper chaque collaborateur d’un coach digital de carrière lui permettant de prendre du recul sur sa carrière et de construire le moment venu sa prochaine étape dans l’entreprise.
  • Une visibilité sur les opportunités d’évolution internes : mettre en place des outils permettant au collaborateur de connaître le champ des possibles en matière d’opportunités.
  • Développer une culture de la rupture négociée à l’heure de la “rétention des talents” : savoir laisser partir ses collaborateurs pour avoir plus de chances qu’ils puissent un jour revenir enrichis d’une expérience extérieure- les salariés “boomerang”
  • Opter pour une souplesse dans la dynamique contractuelle pour intégrer le freelancing avec une approche du management plus proche d’un membre de l’équipe que d’un fournisseur
  • Être flexible avec le télétravail : permettre aux collaborateurs d’avoir la souplesse de travailler de chez soi ou d’un coworking.

Pour que les collaborateurs puissent être en mouvement, proactifs, leaders de leur trajectoire, chacun a son rôle à jouer. C’est un nouveau deal à passer. Les organisations s’engagent à proposer le bon équipement à leurs collaboratrices et collaborateurs, et ceux-ci s’engagent à être les premiers acteurs de leur évolution de carrière. Les fonctions RH, elles, s'engagent à mettre au mieux en perspective les attentes de leurs collaborateurs. Dans un monde du travail dans lequel plus rien n’est écrit, chaque personne devra être capable de rebondir d’étape en étape, pour trouver la place dans laquelle s’engager. Et ceux qui auront cette aptitude deviendront les partenaires de la transformation des entreprises qui doivent elles aussi muter. 

À propos de l'auteure : Julie Coudry est la CEO et fondatrice de Jobmaker - premier coach de carrière digital qui accompagne les salariés dans leur mobilité professionnelle grâce à une digitalisation du processus RH.