22 décembre 2021
22 décembre 2021
Temps de lecture : 8 minutes
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"Non, le congé parental n’est pas un trou dans le CV"

Souvent déconsidéré, voire méprisé, le congé parental est un droit. Quatre femmes sont revenues pour Maddyness sur cette période de leur vie, trop souvent stigmatisée dans le milieu professionnel.
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© Kenny Krosky

Article initialement publié le 23 août 2021

Droit ouvert à tout·e salarié·e ayant au moins un an d’ancienneté à la date de naissance de l’enfant, le congé parental a encore bien souvent mauvaise presse en entreprise. Perçue comme des vacances, cette période dans la vie de jeunes parents est pourtant tout sauf reposante. Certaines personnes militent d’ailleurs pour éradiquer le mot " congé " pour définir ce moment, pendant lequel un père ou une mère se dédie à son ou ses enfants. 

C’est le cas de "Ma Pause Parentale" , un mouvement citoyen qui milite pour revaloriser la parentalité. "Notre but est de montrer que cette étape ne s’apparente ni à des vacances, ni à un trou dans le CV qu’il faudra justifier lors de la reprise de sa vie professionnelle" , explique Colombe Paland, cofondatrice du mouvement. Ma Pause Parentale propose aux parents qui font le choix du congé parental de l’écrire noir sur blanc sur LinkedIn pour l’intégrer à leur parcours, et de décrire, comme pour un job classique, toutes les compétences mobilisées et acquises pendant cette période. Gestion de crise, communication non-violente, gestion des stocks, suivi des KPIs (alimentation, sommeil, langage, marche)… sont autant de missions et critères énoncés par les plus de 2500 personnes qui ont déjà rejoint le mouvement. 

Quatre femmes ont accepté de revenir pour Maddyness sur les clichés qui pèsent sur le congé parental, l’incessant besoin de justifier son choix et son quotidien mais aussi l’épineuse question du retour en entreprise après cette pause.

Séverine, responsable communication et marketing RH

"À la naissance de mon deuxième enfant, j’ai décidé de prendre un congé parental. Je voulais prendre ce temps pour moi, parce que l’arrivée d’un nouvel enfant est éprouvante physiquement et psychologiquement, et je voulais vivre pleinement ce moment…. C’était peut-être la dernière fois que je vivrais ça. L’idée était de prendre le temps d’accueillir le bébé, mais aussi d’aider l’aînée à prendre ses marques dans cette nouvelle famille. 

Cette période ne s’apparente ni à des vacances, ni à un signe de paresse de ma part, ni même à une envie de faire une pause… Il faut arrêter avec ça ! C’est littéralement un autre job. Il est important de s’occuper de ses enfants et de redémarrer ensuite dans la vie professionnelle sans frustration, parce qu’on en a vraiment profité ! Je peux le dire parce que je l’ai vécu avec ma première fille : à force de vouloir être partout, on n’est plus nulle part. Je ne voulais pas manquer ces expériences uniques pour la deuxième, et donner à ce moment l’importance qu’il mérite. 

Si je ne me suis pas sentie jugée dans ce choix au moment de l’annoncer, j’ai senti des appréhensions à mon retour en entreprise. J’ai demandé un 80% (du temps de travail, ndlr) qui m’a été accordé, mais en me faisant bien comprendre que ce n’était pas de gaieté de coeur. J’en ai culpabilisé alors que j’avais toute la légitimité de faire cette demande ! On se fait trop de noeuds au cerveau sur ces questions… 

Côté vie personnelle, mon entourage m’a souvent dit ah c’est cool, tu fais un break, tu es tranquille à la maison pendant que monsieur va travailler' … Les gens ne savent pas de quoi ils parlent. Je n’ai jamais cherché à me justifier, j’assume ce choix et élever des enfants, au sens propre du terme, est une responsabilité qui doit être considérée avec plus de respect."

Taghried, en pause parentale

"Anticipation des besoins, création d’un projet pédagogique, négociation, gestion de crise… La pause parentale permet vraiment de développer des compétences à re-mobiliser dans le monde professionnel : c’est drôle mais c’est vrai ! Toutes les aptitudes requises dans mon travail de responsable marketing sont appliquées au quotidien avec mes deux filles, sauf que la pause parentale est en fait quatre fois plus fatigante qu’un job classique, duquel on rentre chez soi le soir pour regarder Friends à la télévision ! 

Maintenant que mes enfants ont deux places en crèche pour septembre, je veux reprendre le travail. Je ne me voyais plus rester dans mon ancienne entreprise après mon congé maternité, donc nous avons procédé à une rupture à l’amiable. Mais libérer du temps pour rechercher un nouvel emploi avec ses deux filles toutes la journée, ce n’est pas facile ! Pendant l’un de mes entretiens avec un cabinet de recrutement, l’employeur m’a demandé si je partais en août, ajoutant une petite réflexion : 'de toute façon, vous êtes déjà en vacances' … Maintenant, en entretien d’embauche, j’assume complètement ma pause parentale, il y a un temps pour tout et j’ai voulu profiter de ce moment rare dans une vie." 

Élodie, chargée de recrutements

"En burn-out, j’ai quitté mon entreprise à 28 ans tout en ayant un projet de grossesse. J’ai donc connu des freins avant même d’avoir ma fille : j’avais peur de quitter mon entreprise dans ce contexte, de la façon dont ce serait perçu et du risque que ça freine ma carrière ensuite. Si, quand j’étais enceinte, l’objectif était de trouver un petit boulot, ça ne s’est jamais fait parce que c’est compliqué de dégoter un emploi pendant cette période… 

Ma fille est née en mai 2020, et je reste avec elle jusqu’en septembre, puisque je vais reprendre un travail. Cette pause a été compliquée pour moi à cause du regard et des préjugés que les gens portent sur les personnes qui font ce choix. Si, au départ, j’appréhendais les entretiens par peur de devoir justifier ce 'trou dans le CV' , j’ai compris que c’était une expérience à part entière et à valoriser.

Les commentaires et jugements de la part de proches ont fusé pendant ma pause parentale, et j’en ai beaucoup souffert. 'Comment tu vas retrouver un boulot ? ' , 'plus le temps passe, plus ça va être dur' , 'tu ne trouves pas le temps long ?' … Ce n’était pas malveillant mais la société ne se rend pas compte que c’est un travail à temps plein ! La vision est tellement biaisée que les gens se permettent de te conseiller d’occuper ton temps en faisant autre chose, comme te former à une nouvelle compétence, pratiquer un sport… Pas facile quand on se lève cinq fois par nuit et que la journée n’est pas plus calme.

Dans mon métier, je vois ces discriminations dans le recrutement. C’est pour ça que j’ai toujours incité les parents qui avaient fait cette pause pour s’occuper de leurs enfants à me parler de leur expérience, pour briser la glace, qu’ils arrêtent d’être gênés et de sentir qu’ils ont besoin de justifier quoi que ce soit. Encore trop de managers posent la question de l’âge, du désir d’enfant… Être parent ne remet pas en cause l’implication ou la productivité, il faut que les RH et managers l’intègrent une bonne fois pour toutes et que la parentalité devienne un sujet prioritaire en entreprise."

Pauline*, responsable RH 

"J’étais dans mon entreprise depuis dix ans quand j’ai accouché et pris six mois pour m’occuper de ma fille. Le plus dur pour moi a été le retour en entreprise. Comme je travaille dans les ressources humaines, je sais que les entreprises sont loin d’être exemplaires sur ces questions, qu’elles n’anticipent pas le retour. Donc j’ai pris les devants et tout organisé, pensant être immunisée contre ces problèmes à mon arrivée… Mais les cordonniers sont les plus mal chaussés ! 

Concrètement, on m’a proposé un nouveau poste, et j’ai acceptée parce que j’étais tentée par le challenge. Dans les faits, je me suis aperçue en revenant que le poste était occupé par quelqu’un d’autre, qui était arrivé un mois auparavant. On se marchait clairement dessus… J’ai donc du me battre pour trouver ma place et déterminer les contours d’un poste qui n’existait pas. J’étais mise au placard et on m’a retiré toutes mes responsabilités.

Avant de partir en congé maternité, j’étais très investie et faisais beaucoup d’heures, et ma reprise à temps partiel n’a pas plu. Mes employeurs me faisaient culpabiliser et répétaient constamment cet argument pour justifier qu’on ne me mettait pas sur tel dossier ou tel sujet… simplement parce que je ne travaillais pas le mercredi. C’est ridicule de stigmatiser au nombre d’heures passées au travail. Je ne passais pas mon temps à la machine à café, j’étais hyper-productive, j’optimisais mon temps, je retravaillais le soir, les week-ends, pendant mes vacances… C’était vraiment injuste.

Un jour, mon DRH a dit : 'pour réussir dans cette entreprise, mieux vaut ne pas avoir d’enfant'  . Là, j’ai eu un déclic et j’ai négocié mon départ. Rester m’aurait rendu la vie impossible et on s’était vraiment tout dit."

* Le prénom a été modifié afin de préserver l'anonymat de la personne.