10 mars 2022
10 mars 2022
Temps de lecture : 7 minutes
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Ces startups françaises censurées par Facebook et Instagram

Les startups de la FemTech et de la SexTech n'ont pas le vent en poupe sur Facebook et Instagram : de nombreux témoignages recueillis par Maddyness confirment la censure de leurs comptes, considérés comme des contenus déplacés, choquants ou inappropriés.
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Article initialement publié le 10 novembre 2021

60% de chiffre d’affaires. C’est ce qu’a perdu Marion Goilav, fondatrice d’Elia Lingerie, après s’être vue supprimer sa page Facebook pendant un mois. En cause ? La publication d’une photo de sa culotte menstruelle (voir ci-dessous), sortie le 1er octobre, en partenariat avec l’Institut Curie, dans le cadre de la campagne " Octobre Rose ". La raison ? Le réseau social a jugé que c'était "une image à caractère pornographique " selon l'entrepreneuse. Quelques heures après sa publication, le compte d’Elia Lingerie a été bloqué et supprimé du réseau social. La marque s’était pourtant engagée à renverser 50% de ses bénéfices sur la vente de ces produits à l’association Marie Curie.

" J’ai ouvert neuf tickets auprès de la conciergerie de Facebook, car je paie en plus un compte publicitaire de quelques centaines de milliers d’euros depuis quelques mois, mais rien, aucun retour ", explique, dépitée, Marion Goilav. Pendant un mois, le compte est tombé dans le noir et a été rendu invisible pour les internautes. Si la page est de nouveau disponible, " j’ai perdu la moitié de mes followers dans la bataille, mes URL et nom de domaine ont changé et ma page créée en back-up a été bannie à son tour ". Contacté à ce sujet, Facebook n'avait pas encore répondu à nos questions au moment de la publication de cet article.

Elia Lingerie

Cette startup n’est pas un cas isolé. De nombreuses autres jeunes pousses de la FemTech -initiatives se référant à la santé des femmes - et de la SexTech voient régulièrement leurs contenus sur Facebook et Instagram supprimés, puisque les algorithmes ont considéré les photos ou vidéos inappropriées, voire pornographiques. " Ces problèmes sont quotidiens quand on entreprend dans nos secteurs, confirme Kenza Keller, fondatrice de la startup Talm, une gamme de soins pour femmes enceintes et mères. Nos sujets de prédilection portent sur la santé des femmes, l’inclusion, la pédagogie et l’information… C’est frustrant d’être tout le temps censuré " , poursuit celle qui a bien cru que les réseaux sociaux ruineraient sa marque dès le début. " Le jour de mon lancement, j’ai sorti une vidéo de campagne avec des corps et de la peau, et mon compte a été supprimé pendant 30 minutes… J’ai cru que mes deux ans de travail allaient partir en fumée, mais j'ai surtout pris conscience du pouvoir de ces acteurs ". 

À armes inégales

Car c’est bien de ça ce dont il s’agit : ces entrepreneuses ne jouent pas à armes égales. Pour exister, elles n"ont pas le choix de promouvoir leurs produits sur ces plateformes mais deviennent de facto dépendantes de ces géants de la publicité. " Les petites marques comme la mienne sont dans une dépendance absolue de ces réseaux, qui ont le contrôle sur tout, confirme Marion Goilav. Ils peuvent faire la pluie et le beau temps et signer la mort d’une boîte en un rien de temps ", s’inquiète celle qui voit aussi Google durcir progressivement ses réglementations en matière de publicité. " C’est une dictature digitale des temps modernes dont on est tous de gentils utilisateurs assidus ".

Même son de cloche avec Anne Kerveillant, fondatrice de My Lubie, une marque de bien-être sexuel. " On reçoit régulièrement des avertissements qui menacent de supprimer notre compte si on continue de partager nos contenus sexo  " , confie l’entrepreneuse qui réussit à faire référencer ses produits sur Instagram Shopping en orientant la communication autour de son produit : " Par exemple nous, dans nos pubs, on ne parle pas de lubrifiant, mais de gel intime, et on n’utilise pas le mot plaisir… Sinon, on ne peut pas diffuser nos publicités sur Instagram et Facebook. Pour eux diffuser du contenu sur le plaisir (mais aussi le CBD) c'est niet ", ironise celle qui n’a jamais réussi à faire sponsoriser la quarantaine de posts qui fonctionnaient le mieux auprès des abonnés de son compte.

talm kenza keller

Depuis 2015, Instagram autorise la publication de photos d’allaitement et de cicatrices suite à des mastectomie. Mais, dans les faits, ces contenus semblent encore filtrés. " Le réseau ne respecte pas cette règle, et mes photos d’allaitement sont encore régulièrement supprimées pour nudité et contenu pornographique… ", se désolé Amélie, plus connue sous le pseudo Tziganette, nom de sa marque de vêtements d’allaitement pour femmes. " À chaque publication ou story supprimée, je me retrouve dans l’ombre, puisque je n’ai plus accès à mes hashtag et que les gens ne peuvent plus me trouver. C’est une perte de visibilité immédiate ". Et, si toutes les entrepreneuses ont tenté plusieurs fois de faire appel de ces décisions comme Tziganette, " aucun support humain ne répond jamais, le réseau pose simplement son ultimatum, sa décision et il est impossible de négocier quoi que ce soit… C’est très opaque ".

" Auto-censure "

Pour ne pas perdre ce canal de communication, " vital pour des petites sociétés qui ne peuvent pas se payer de pubs dans le métro ou à la télévision " , rappelle la fondatrice d’Elia Lingerie, la seule solution est de se plier aux règles de ces réseaux sociaux. Aussi surprenantes puissent-elles être puisque " quand on voit des personnalités de télé-réalité qui font des posts sponsorisés en string et poussent à la sexualisation des jeunes filles, on se demande comment les algorithmes de modération sont conçus ".

Amélie, fondatrice de Tziganette, avoue s’imposer une " vraie auto-censure " en faisant attention à ce qu’on ne voit pas " un sein ou un bout de téton " dans ses posts sur l’allaitement. Même combat pour Kenza Keller, qui aiguille ses shootings photos pour ne faire apparaître que les ventres de femmes enceintes, même si, elle l’admet, cela n’empêche pas le compte de se faire " shadow ban " (être bloqué sans en être averti, ndlr) régulièrement. " J’aimerais que les choses changent, mais pour l’instant, je suis les règles parce que ma survie dépend de ces acteurs ", reconnaît-t-elle.

Pour tenter de limiter cette dépendance aux acteurs comme Facebook et Instagram, les jeunes pousses essaient donc d’activer d’autres leviers de communication pour se rendre visibles. " Notre newsletter et la communication via notre podcast sont de bons outils, et ça marche bien ", avance Marie Comacle, fondatrice de la marque Puissante, qui commercialise le vibromasseur Coco. L’entrepreneuse compte aussi sur des partenariats avec d’autres marques, comme Paulette ou le Passage du Désir par exemple.

Kenza Keller mise sur l’importance du physique pour sa marque Talm. " On met en place une campagne santé à destination des professionnels et praticiens, qui sont de potentiels prescripteurs de nos produits, pour leur présenter la marque et créer une passerelle entre le e-shop et leur cabinet, afin de se détacher d’Instagram ", explique l’entrepreneuse, qui tente d’élargir son réseau de revendeurs. " L’idée est de dupliquer au maximum les canaux pour balancer le risque et pallier de potentielles restrictions plus conservatrices dans le futur ".

Pour Anne Kerveillant aussi, tous les moyens sont bons pour être le moins dépendant possible de ces deux réseaux sociaux. " Il faut être créatif pour contourner les règles des régies de pubs des réseaux sociaux, c’est un bon défi pour tester la résilience de l’entrepreneur ou de l'entrepreneuse, estime-t-elle. On mise sur le bouche-à-oreille, mais aussi un réseau d’ambassadeurs, des événements, des pop-up stores, de l’emailing… On développe également un abonnement à My Lubie et un réseau BtoB le plus dense possible ", même si, elle le concède, " cela demande beaucoup plus d’efforts que de mettre un million d’euros en budget publicité dans Facebook et Instagram. Donc ça créé des barrières à l'entrée pour créer une entreprise dans ce secteur ". 

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