L’ancien député, qui avait co-fondé en 1983 Infogrames Entertainment, une société devenue leader de l’édition et la distribution de jeux vidéo, se qualifie lui-même de “Méliès du jeu vidéo”. Passionné par l’innovation et ses répercussions économiques et sociales, Bruno Bonnell a été choisi par Matignon pour piloter France 2030, un ambitieux plan d’investissement de 54 milliards d’euros lancé début 2022, qui, dans un contexte de crise climatique, de concurrence internationale et de crise sanitaire, a pour ambition d'engager le pays sur la voie de la transition écologique et de l'indépendance stratégique.

L’objectif du plan est de faire émerger les futurs champions technologiques français : « Ces 30 dernières années, avec l’arrivée des ordinateurs portables et des smartphones, nous avons connu une évolution phénoménale de notre société. Entre 2020 et 2050, nous allons connaître une évolution encore plus vertigineuse. Une myriade de nouveaux outils et de nouveaux usages vont arriver dans notre quotidien et, après 40 ans de désindustrialisation, la France ne peut se permettre de rester passive. C’est le fondement de France 2030 », explique Bruno Bonnell.

Une France compétitive sur le quantique ou la cybersécurité

Pour lui, les effets de l’urgence climatique sont similaires à ceux d’une guerre : déplacements massifs de la population, destruction de biens naturels, problèmes de circulations des biens ou encore crises géopolitiques. Des conditions qui créent des environnements propices aux innovations de rupture. Tout comme les années d’après-guerre ont vu arriver des bouleversements tels que le TGV, le téléphone, la voiture pour tous, l'aviation commerciale ou encore les réacteurs nucléaires, les années qui arrivent devraient être le lit d’innovations majeures et d’évolutions sociétales.

Une véritable révolution technologique est donc en marche et Bruno Bonnell a été chargé de piloter cette enveloppe de 54 milliards d’euros pour que la France puisse être souveraine et compétitive sur des domaines tels que le nucléaire, l’hydrogène décarboné, les petits réacteurs nucléaires, le quantique, la bioproduction, la cybersécurité, le newspace, l’intelligence artificielle ou la décarbonation de l’industrie.

Bruno Bonnell voit son rôle comme celui d’un sélectionneur et d’un entraîneur, qui sélectionne les meilleures initiatives françaises et leur donne les moyens de leurs ambitions. La récente levée de 2 milliards d’euros de Verkor, dans lequel l’État français et l’Europe ont apporté plus de 1,2 milliard d’euros de capitaux, est pour lui l’archétype de ce que cherche France 2030 : un projet qui voit le jour grâce à l’effet de levier de l’argent public. « Nous sommes sélectifs, nous choisissons environ un dossier sur trois. Mais aujourd’hui, 2.500 projets portés par France 2030 fleurissent sur le territoire et ce nombre pourrait être porté jusqu’à 4.000, d’ici à la fin du plan. C’est un succès qui dépasse nos espérances, et qui nous permet de montrer une France qui bouge », s’enthousiasme Bruno Bonnell.

21 milliards consommés sur une enveloppe de 54 milliards

France 2030 est un plan de 54 milliards d’euros, mais Bruno Bonnell alerte sur les comparaisons avec les dépenses des plus grosses puissances économiques. « Proportionnellement à notre Produit Intérieur Brut (PIB), la France réalise le plus gros effort d'accompagnement d'innovation. Si les Américains voulaient faire le même effort que nous, ils devraient rassembler 1.000 milliards de dollars plutôt que 450 », relève-t-il.

Sur les 54 milliards d’euros prévus pour une période de cinq ans, 21 milliards ont déjà été consommés et le secrétaire général prévoit d’atteindre la moitié, soit 27 milliards d’ici le mois de décembre. Des investissements qui devraient être rapidement rentables, selon le rapport du Comité de surveillance des investissements d'avenir, alors présidé par Patricia Barbizet et rendu au gouvernement en juin dernier. Il indique que France 2030 devrait augmenter le PIB de 40 milliards à 80 milliards d’euros et créer 288.000 à 600.000 emplois à l’horizon 2030. Le rapport montre également que le plan se démarque par sa volonté d’allier l’exigence des investissements à la prise en compte des équilibres territoriaux. Une volonté qui se traduit d’ores et déjà par l’émergence de champions en régions, comme Biose, le spécialiste de la fermentation à Aurillac, ou Genvia à Béziers, un fleuron de l’hydrogène décarboné.

L’acceptabilité, une dimension clé du plan France 2030

« Je vois la France comme une chenille qui se transforme en papillon et sort de la chrysalide, non sans douleur », partage Bruno Bonnell, qui souligne l’importance d’un volet, peu visible, mais pourtant clé, du plan : l'acceptabilité. « C'est la grande difficulté de la planification écologique et de l'innovation. Pour l’instant, les changements sont vus comme une privation de liberté, alors qu’au contraire, l’innovation va apporter beaucoup de confort », explique-t-il.

Pour encourager cette acceptabilité, France 2030 multiplie les essais et les prototypes, pour ne lancer que des initiatives qui auront un réel avenir. L’équipe en charge réfléchit aussi au long terme et aux impacts sur l’éducation et le monde du travail. Sur les petits réacteurs nucléaires, par exemple, les appels à projets viennent d’être lancés, mais des écoles dédiées au nucléaire sont déjà en train d’être créées en Normandie, en anticipation des besoins de personnel estimés à 42.000 personnes, pour les 14 réacteurs nucléaires qui vont ouvrir d’ici 2050.

La bataille des normes aura lieu

Autre enjeu du plan, la souveraineté. « La souveraineté n’est pas un sujet de position, mais d'action. Il y a, par exemple, une bataille intéressante dans la technologie, qui est celle des normes. Celui qui tient les normes, tient généralement la souveraineté. Sur l'hydrogène vert par exemple, j’espère que nous définirons les normes. Ce qui signifie que si les Chinois veulent rentrer sur le marché européen, ils devront s’accommoder de nos normes », partage Bruno Bonnell qui pose la question d’un équivalent de marquage CE pour les nouvelles technologies. « La France ne pourra être souveraine dans tous les domaines, tant pour des raisons de moyens que de territoire. Mais au sein de l’Europe, nous pourrions devenir l’équivalent de la Californie », avance-t-il.

Tout aussi important que la souveraineté aux yeux du pilote de France 2030, la protection de la culture française. « L'innovateur se nourrit de l'artiste et des imaginaires qu’il construit. Les infrastructures culturelles, pour protéger l’exception culturelle française, font donc aussi partie du plan, explique-t-il. Si on se laisse nourrir que par des bases de données anglo-saxonnes, nous deviendrons anglo-saxons, et ce n’est pas souhaitable pour l’innovation », ajoute-t-il.

« Si le rapport Barbizet dit juste, le plan France 2030 devrait être remboursé dès 2028 », avance Bruno Bonnell. En effet, qui dit nouvelles activités, dit nouveaux revenus potentiels pour l’État : taxes, TVA, impôts, charges sociales. « C’est un modèle vertueux. Est-ce qu’il doit s'arrêter un jour ? Est-ce que l’État peut cesser de jouer ce rôle d’animateur ? C’est en effet une logique bien différente de celle des anglo-saxons. Mais, la France a donné les droits de l’homme, puis le droit à l’éducation, puis le droit à la santé, et aujourd'hui, elle a son rôle à jouer dans le droit à la qualité de la vie. Cette qualité de vie sera notre signature française », conclut Bruno Bonnell, pour qui France 2030, est un programme aussi économique que politique.