Scaleway, la filiale cloud d’Iliad, avait mis les petits plats dans les grands pour sa conférence ai-PULSE. Initié par Xavier Niel, l’événement, qui a eu lieu ce vendredi matin à Station F, temple de la Startup Nation tricolore dont le milliardaire est à l’origine, réunissait plusieurs acteurs de premier plan. Aux côtés du fondateur d’Iliad, se tenaient Rodolphe Saadé, le patron de CMA CGM, et Eric Schmidt, l’ex-PDG de Google. De quoi donner de la consistance aux ambitions prônées par ce trio de choc et improbable. «La dernière fois que j'étais là, c'était pour lancer Station F en 2017», n’a d’ailleurs pas hésité à déclarer le père de l’incubateur parisien pour rappeler l’importance de cette journée.

Cette conférence a démarré en douceur, avec un angle très technique, lorsque Damien Lucas, le patron de Scaleway, est monté sur scène pour rappeler les différents partenariats noués par la filiale d’Iliad dans l’IA. Il n’a ainsi pas manqué d’évoquer la récente alliance avec Meta et Hugging Face pour lancer un programme d’accompagnement de startups à Station F autour de l’IA open source, ni celle avec Nvidia pour se doter de la plus forte puissance de calcul en Europe. Les synergies envisagées avec Free Pro et les partenariats avec les principales startups tricolores d’IA générative, comme Hugging Face, Mistral AI et Poolside, ainsi que Quandela pour faire la liaison avec la révolution de l’informatique quantique, ont également été mises en avant, histoire de montrer que Scaleway n’était plus la belle endormie du groupe Iliad.

Le patron de Nvidia favorable à une IA souveraine pour chaque région du monde

Après cette mise en bouche, Jensen Huang, le patron de Nvidia, était attendu sur scène. Mais ce dernier, retenu à San Francisco en raison du forum de la Coopération économique pour l'Asie-Pacifique (Apec), a finalement honoré l’invitation de Xavier Niel à distance, en étant en duplex de la Californie. L’intervention du fondateur de ce spécialiste des micro-processeurs et des cartes graphiques, qui a su se rendre incontournable dans l’IA générative, était particulièrement attendue. Après un «Je t’aime l’IA» lancé dans la langue de Molière, Jensen Huang a estimé que la France et l’Europe occupaient une place majeure sur la scène mondiale de l’IA.

Partisan de l’open source, il a notamment cité Hugging Face en exemple à suivre. «L’Europe a toujours eu une forte expertise en matière d'IA. Nous avons près de 4 000 startups d'IA avec lesquelles nous travaillons en Europe et 400 d'entre elles sont en France. C'est un domaine qui se développe à une cadence très élevée», a-t-il ajouté. Les régulateurs français auront sûrement apprécié quand il s’est prononcé en faveur de la création d’une IA souveraine dans chaque région du monde. Un positionnement loin d’être anodin alors que l’AI Act est actuellement au cœur des tractations à Bruxelles.

Eric Schmidt tacle Bruxelles

La discussion autour de la régulation de l’IA s’est poursuivie dans la foulée avec Eric Schmidt, Xavier Niel et Rodolphe Saadé. L’ancien patron de Google est apparu particulièrement en forme, n’hésitant pas à tacler à la gorge les velléités des autorités européennes pour encadrer le secteur de l’IA. Car si la France possède les meilleures écoles dans les sciences et les mathématiques, il estime que les lois de l’UE constituent un frein d’ampleur pour capter ces talents à la sortie de leurs études. «C’est un problème de régulation, pas d’innovation», a-t-il ainsi tranché devant un parterre d’entrepreneurs et de dirigeants de la tech. Et comme Jensen Huang avant lui, l’ancien dirigeant de la firme de Mountain View n’a pas hésité à déclarer sa flamme pour l’open source, assurant même qu’une approche ouverte était vitale pour toutes les entreprises du numérique.

Terme clé de la conférence, l’open source s’est retrouvé au cœur de la présentation de Kyutai, le laboratoire d’IA initié par Iliad. Doté d’une enveloppe de 300 millions d’euros, cette nouvelle structure scientifique mise sur l’open source et l’open science pour que ses travaux puissent bénéficier à l’ensemble de l’écosystème européen de l’IA. Et pour cause, Xavier Niel et Rodolphe Saadé ont présenté Kyutai comme une initiative de «bien commun», de manière à prendre le contrepied de l’approche mercantile des géants américains. «Agir d’une manière différente des Gafam va nous permettre d’attirer des chercheurs», a estimé le propriétaire d’Iliad.

Emmanuel Macron : «Nous devons faire de l’open source une force française»

Après la vision des entrepreneurs, c’est celle du gouvernement qui s’est invitée dans la conférence. Et que ce soit Jean-Noël Barrot, qui avait le déplacement pour l’occasion, ou Emmanuel Macron, les deux ont tenu un discours passionné en faveur d’une approche open source de l’IA. «Je crois fortement à l’open source et nous devons en faire une force française», a ainsi lancé le président de la République dans un message vidéo diffusé durant la conférence. «C’est important pour stimuler l’innovation et démocratiser l’usage de l’IA», avait déclaré Jean-Noël Barrot quelques minutes plus tôt. «Nous avons perdu des batailles dans le numérique, mais nous n’avons pas perdu la guerre», avait-il également assuré.

Mais pour gagner les futures batailles digitales, et notamment celle de l’IA générative, l’Europe devra trouver le bon équilibre entre innovation et régulation. Or les inquiétudes sont nombreuses dans les rangs des entrepreneurs français quant à l’AI Act, un texte qu’ils craignent d’avoir pour effet d’empêcher le développement d’innovations majeures sur le Vieux Continent. «L'AI Act, dans la version qui en est sortie du Parlement européen, impose aux développeurs de modèles d'intelligence artificielle générative des obligations si lourdes qu'ils seront contraints de fuir l'Europe pour pouvoir développer ces modèles. C'est évidemment quelque chose que nous voulons éviter à tout prix», avait d’ailleurs déclaré Jean-Noël Barrot auprès de Maddyness il y a tout juste un mois.

Dans ce contexte, Emmanuel Macron a fait part de son souhait de «réguler les usages, plutôt que les technologies en tant que telles» dans son message vidéo. Si les négociations sur l’AI Act battent leur plein entre les États membres de l’UE, Bruxelles espère parvenir à un accord final avant la fin de l’année.

Jean-Noël Barrot : «Aujourd’hui marque le jour où la France se place sur la carte mondiale de l’IA»

En attendant, Jean-Noël Barrot se montre optimiste pour l’avenir. Il voit même dans cette journée du 17 novembre à Station F l’acte fondateur de l’envol de l’écosystème français de l’IA. «Aujourd’hui est un jour très important pour la France et l’Europe. Ce jour est aussi important que celui de l’inauguration de Station F, qui avait placé la France sur la carte de l’innovation mondiale. Aujourd’hui marque le jour où la France se place sur la carte mondiale de l’IA», a-t-il ainsi lancé devant une assemblée forcément acquise à sa cause.

Désormais, ce sera le temps qui sera le juge de paix. Mais l'ambition est à la hauteur du défi à relever pour l'écosystème tricolore. Face à la domination d'OpenAI, qui bénéficie du soutien de Microsoft et de financements réguliers de plusieurs milliards de dollars, Kyutai, Mistral AI et Nvidia font le pari de l'open source. Reste à voir maintenant si ce choix s'avèrera payant.