Entre le texte de loi concernant la fiscalité des BSPCE et l’interprétation de l’administration fiscale, les zones de flou se multiplient. L’année dernière, plusieurs recours ont été déposés contre l’administration fiscale, qui établissait que l’exercice de BSPCE ne bénéficiait pas du mécanisme du sursis d'imposition. Alors que la décision du conseil d’État est attendue dans les semaines qui viennent, un autre recours a été déposé, cette fois-ci concernant l’autorisation pour les bénéficiaires de BSPCE à exercer leurs bons dans un PEA. 

Le régime fiscal des BSPCE se veut particulièrement attractif. Derrière cela, une probable volonté de donner un coup de pouce aux startups pour attirer des talents, en compensant des salaires souvent plus faibles que ceux des grandes entreprises. « Avec les BSPCE, la loi fait un double cadeau. D’abord, au moment où le bénéficiaire exerce ses BSPCE, il n’est pas taxé, alors que, même si cela reste virtuel, il s’enrichit. Le même cadeau est fait aux actions gratuites et aux stock options. Ensuite, au moment de la vente des actions, tout le gain résultant de la différence entre le prix de vente et le prix d’exercice est taxé, comme une plus-value normale à 30%. Au contraire, pour les stock options et actions gratuites, la plus-value est décomposée et la fiscalité appliquée est plus proche de celle liée aux gains salariaux qu’aux gains financiers », explique Nicolas Canetti, avocat spécialiste en droit fiscal du cabinet Odessa. Depuis la décision de Bercy concernant le refus du mécanisme du sursis d’imposition pour les BSPCE, un sentiment est partagé par certains acteurs de l’écosystème : cette approche fiscale préférentielle semble être remise en cause. 

Exercer ses BSPCE dans un PEA, est-ce possible ?

Le PEA, est une enveloppe fiscale qui permet d’acheter des actions et de les revendre avec une fiscalité avantageuse. En effet, au bout de cinq ans, le détenteur peut vendre ses actions et clôturer son PEA en ne payant que la CSG. Bercy avait publié une instruction disant qu’il n’était pas possible d’exercer ses BSPCE via un PEA. « Mais cela ne tenait pas la route juridiquement. Pour un de mes clients, qui était l’un des premiers salariés d’une fintech devenue licorne, et pour qui plusieurs millions d’euros étaient en jeu, nous avons donc déposé un recours devant le Conseil d’État », raconte Nicolas Canetti. « L’idée derrière cela était d’améliorer sa fiscalité de sortie, en exerçant ses BSPCE via l’argent d’un PEA, pour revendre à terme les actions via ce même PEA. Une fois passé un délai de cinq ans, mon client n’aurait à payer que la CSG, soit 17,2% au lieu des 30% de la flat tax », explique-t-il.

Le 8 décembre dernier, le Conseil d’État a donné raison à Nicolas Canetti. Interrogé par Maddyness, ce client, qui a aujourd’hui quitté la fintech pour entreprendre à son tour, témoigne : « Pour moi, c’est une très bonne nouvelle, à titre personnel, mais aussi pour l’écosystème.  Cela contribue à rendre les BSPCE encore plus attractives. Cet argument supplémentaire est le bienvenu, car je sais quelles peuvent être les difficultés des DRH de scale-ups ou startups à faire comprendre de manière limpide à quel point les BSPCE peuvent être un outil formidable ».

Les BSPCE, avantage salarial ou financier ?

Mais d’où vient ce flou juridique dans l’interprétation du texte de loi ? Comme pour le sujet du mécanisme de sursis d’imposition, cela pourrait venir de la difficulté à trancher sur la nature des BSPCE : sont-ils une valeur mobilière comme une autre ou un avantage salarial ?

« Pour le moment, le Conseil d’État nous a donné raison sur le fait que l’interdiction d’exercer ses BSPCE via un PEA n’était pas fondée, car cela n’est pas explicité dans le texte de loi. La loi interdit de mettre des bons de souscriptions dans un PEA, mais ne disait pas qu’on ne pouvait pas non plus y mettre des actions résultant de ces BSPCE. En revanche, ni le Conseil d’État ni Bercy ne se sont prononcés sur le fait que les plus-values de BSPCE seront bien exonérées à l’intérieur du PEA, comme le seraient des plus-values d’actions classiques », détaille Nicolas Canetti. Par prudence, le client de Nicolas Canetti demandera donc un rescrit à Bercy, afin d’avoir une position formelle sur le sujet de l’exonération.  « Bercy a trois mois pour répondre, mais compte tenu des textes légaux, je pense qu’il leur sera difficile de dire non », commente Nicolas Canetti. 

« Cette décision est très positive et s’inscrit dans la logique même de l’intention initiale du législateur lors de la création des BSPCE qui était d’aligner leur régime fiscal et social sur celui des cessions de valeurs mobilières », partage Damien Basson, avocat fiscaliste, associé du cabinet INLO. « On peine à comprendre en revanche pourquoi le rapporteur public réserve dans ses conclusions la question de savoir s’il conviendrait d’isoler un gain d’acquisition qui demeurerait imposable "en dehors" du PEA. En matière de BSPCE, il n’existe qu’un seul et unique gain. Il s’agirait là d’une fiction qui ne s’appuierait sur aucun fondement légal et nuirait à ce qui fait la spécificité et l’attractivité des BSPCE par rapport aux autres mécanismes comme les stock-options ou les actions gratuites », poursuit-il.

« En matière de PEA, le législateur est déjà intervenu pour modifier la loi en réaction à des décisions de justice. Il pourrait donc être opportun pour les détenteurs de BSPCE de s’interroger sans attendre sur l’opportunité ou non pour eux (avantage fiscal vs. risque financier lié au paiement du prix d’exercice) de les exercer via un PEA sur le fondement de cette décision avant une éventuelle intervention du législateur », souligne Chris Hannetel, également associé chez INLO.

Plusieurs détenteurs de BSPCE pourraient donc s’engouffrer dans la brèche. « Je pense que cela peut interpeller dans l’écosystème et que des personnes avec des plus valus latentes importantes vont se renseigner », partage Nicolas Canetti. « Personne n’y avait pensé avant, car les BSPCE, et leur fiscalité en particulier, restent un sujet relativement obscur pour la majorité des détenteurs. Je pense que pour ceux qui sont dans mon cas, avec des sommes conséquentes en jeu, modulo le fait de pouvoir bénéficier de la fiscalité du PEA après cinq ans ou de ne pas être pressé, ce mécanisme va être largement repris », ajoute son client.