L’année 2024 a démarré avec l’annonce de plusieurs rachats au sein de l’écosystème. Dernier en date, celui de Regate par Qonto. Si depuis l’an dernier, les levées de fonds ont plutôt tendance à diminuer, le nombre d'opérations M&A, lui, est resté élevé. Pour certains, cela s’expliquerait par un pivot vers le M&A comme alternative de financement. Cette tendance va-t-elle se poursuivre en 2024 ? Quelles seront les natures des opérations et quels seront les motifs qui les déclencheront ? Maddyness s’est entretenu avec plusieurs experts afin de décrypter les tendances 2024 pour le M&A tech.

Après une période exceptionnelle de levées de fonds entre 2020 et 2022, le marché du M&A semble avoir pris le relais comme une alternative crédible aux levées de fonds et autres opérations de financements. « C’est une tendance qui s'est progressivement accentuée en 2023 et qui devrait se poursuivre en 2024 », identifie Paul Jourdan-Nayrac, associé chez ​​Gide Loyrette Nouel. « 2023 a été une année en deux temps. Les six premiers mois, il s’agissait plutôt d’une phase d’observation et de préparation des mandats, et les six derniers mois ont été très actifs, avec de nombreuses opérations : tours internes, levées significatives, cessions dans un cadre distressed », précise Guillaume Vitrich, associé chez White & Case. 

Des opérations de M&A de plus en plus précoces dans la vie des entreprises

En 2024, les avocats s’accordent à dire que les choses pourraient encore accélérer. « On a vu d’importantes levées de fonds de sociétés pour lesquelles une part significative des montants est dédiée aux opérations de croissance externe, soit dans l’objectif de se développer dans de nouveaux pays, soit pour acquérir de nouvelles équipes ou de nouvelles technologies », souligne Guillaume Vitrich. Un élément qui pourrait conduire à l’apparition d’opérations de plus en plus précoces dans la vie des entreprises. « Cela va nécessiter des réflexions stratégiques anticipées tant de la part des fondateurs que des investisseurs, parfois dès la série A », commente Paul Jourdan-Nayrac.

Pour Olivier Mathiot, directeur général du fonds 2050, il y a aussi un sujet de cycle thématique. Il prend l’exemple des fintechs, qui ont pullulé ces dernières années. « À part les plus belles histoires qui atteignent des masses critiques, il est difficile pour toutes ces startups de trouver des opportunités de sortie », commente-t-il. Les startups pourraient donc de plus en plus chercher à atteindre cette taille critique via des build-ups, qui leur permettraient aussi de mutualiser les ressources et de réduire les coûts RH en cas de situation financière difficile.

Le nombre d’opérations pourrait donc continuer à croître, mais il est important de comprendre que toutes ces opérations n’envoient pas les mêmes signaux. « On va continuer à voir beaucoup de sorties, parfois très belles, parfois moins belles. Mais elles seront toujours présentées comme de belles opérations, même si les fondateurs ne touchent qu’un euro », confie Paul Jourdan-Nayrac. « Nous distinguons trois grandes catégories d'opérations. La première concerne des actifs de qualité, avec de belles cessions, de beaux projets et beaucoup de concurrence. La seconde représente des sociétés qui n’ont pas trouvé leur modèle, qui sont à court de cash, voire qui n’arrivent plus à lever. Enfin, la troisième concerne des M&A qu’on pourrait qualifier d’opportunistes, où des acteurs industriels ou stratégiques proposent des acquisitions intéressantes à des startups plus jeunes », indique-t-il.

Des startups et des fonds plus enclins à vendre, par prudence ou par nécessité

Côté vendeurs également, les experts constatent un changement de dynamique, avec des propositions d'achat étudiées plus tôt dans la vie des startups et une prudence accrue des fonds d'investissement. « Il y a quelques années, les fonds ne voyaient pas forcément d’un bon œil les propositions de rachat qui arrivaient trop tôt avec des montants qui ne satisfaisaient pas leurs objectifs de multiples, les fondateurs devaient durement négocier s’ils souhaitaient sortir plus tôt. Aujourd’hui, on voit les fonds parfois même encourager les fondateurs à accepter ces offres », partage Paul Jourdan-Nayrac. « Le marché incertain inquiète les LPs et donc les fonds, qui ne veulent surtout pas rater les occasions de sortie. Ces dernières années, beaucoup de fonds ont fait de belles opérations sur du secondaire, mais aujourd’hui, on commence à voir beaucoup de licornes péricliter avant d’être rachetées », abonde Olivier Mathiot.

Quand ce n’est pas par prudence, les ventes pourraient parfois être accélérées par nécessité. « Compte tenu du resserrement des conditions de financement, les sociétés cherchant à lever une série B et ayant un horizon de profitabilité un peu lointain, sont celles qui rencontrent le plus de difficulté. Elles lancent souvent des dual tracks qui permettent de tester à la fois les perspectives de sortie et celle d’une levée, mais la cession est souvent retenue », relève Guillaume Vitrich. « Par ailleurs, le nombre de défaillances de sociétés tech menace de s’accélérer et pourrait augmenter le nombre de transactions d’entreprises réalisées dans un cadre contraint, c’est ce qu’on appelle le distressed M&A », ajoute-t-il. Les exemples dans cette catégorie se multiplient déjà avec le rachat de Luko par Allianz en janvier 2024, et plus récemment encore, l’annonce du rachat de Masteos par Novaxia.

Côté acheteurs, ces startups parfois au pied du mur et aux valorisations diminuées peuvent présenter des opportunités intéressantes. « Je pense que les vendeurs vont faire tout ce qui est en leur pouvoir pour allonger leur runway, même si cela risque d’être difficile, notamment pour aller chercher du non dilutif », note tout de même Olivier Mathiot. « Quand on sait que le marché va fortement baisser, dans un premier temps les vendeurs résistent et préfèrent attendre des jours meilleurs. Seuls ceux qui y sont contraints vendent, même si ce n’est pas en leur faveur, comme les startups qui font face au mur du cash », ajoute-t-il en faisant l’analogie avec le marché immobilier. 

Des situations qui pourraient créer des désalignements d’intérêts entre fondateurs et investisseurs et parfois même entre investisseurs. « Ce contexte va redonner toute son importance au pacte d’actionnaire, notamment aux clauses d’actions de préférences ou de droit de veto », commente Olivier Mathiot.

Qui seront les acheteurs et que rechercheront-ils ?

Les conditions économiques, y compris les taux d'intérêt et la conjoncture internationale, influencent les stratégies M&A. « On pensait qu’en 2022 et 2023, les industriels et stratégiques allaient reprendre le dessus face aux fonds impactés notamment par l’augmentation du coût de l’endettement dans les opérations de LBO. Mais ces premiers ont aussi été impactés par le contexte économique et pourraient rester moins actifs qu’escompté », partage Paul Jourdan Nayrac.

Concernant les motivations des acheteurs, elles semblent rester relativement classiques. « Les acquisitions sont de plus en plus motivées par l'acquisition de talents et de technologies spécifiques, soulignant l'importance des fondateurs et des produits dans les négociations », indique Paul Jourdan-Nayrac. « La plupart des opérations seront certainement transfrontalières, beaucoup de deals M&A reflétant une volonté de s’étendre géographiquement », complète Guillaume Vitrich. Il cite les exemples récents de Malt qui a racheté l’allemand Comatch et de Welcome to the Jungle qui a racheté Otta pour s’implanter en Angleterre et aux États-Unis.

Tous notent que les opérations sont de plus en plus scrutées, reflétant un marché qui privilégie la prudence, la rentabilité et une approche plus stratégique dans les investissements et acquisitions. « Le rapport de force s’inverse. Les deals sont plus longs et investisseurs comme acquéreurs ont à nouveau le temps de faire leur travail de due diligence. On va revenir dans un monde de business normal où on prend le temps de faire les opérations et de savoir ce qu’on achète », conclut Paul Jourdan Nayrac.