En 2019, l’État dégainait le plan deeptech dans le cadre de France 2030 pour faire de la France l’un des leaders mondiaux de la deeptech. Doté initialement de 2,5 milliards d’euros avant qu’une rallonge de 500 millions d’euros ne soit accordée il y a un an, il a été conçu avec l’ambition de créer 500 startups par an dans la deeptech d’ici 2030. L’exécutif avait également fixé d’autres objectifs, à savoir faire émerger 10 licornes dans ce secteur d’ici 2025 et faire sortir de terre 100 sites industriels par an à l’horizon 2030. Cinq ans plus tard, un point d’étape s’impose avec Bpifrance, acteur au centre de la stratégie tricolore dans la deeptech.

Depuis 2019, ce sont plus de 1 300 startups deeptech qui ont été créées et 2 100 du secteur financées dans l’Hexagone. Au-delà de ces chiffres partagés par Bpifrance, c’est surtout la traction au niveau du rythme de création de nouvelles jeunes pousses qui est un motif de satisfaction. Ainsi, 340 startups deeptech ont vu le jour au cours de l’an passé. C’est 6 % de plus en un an et surtout le double par rapport à 2018. «Après 5 années, on arrive à mi-chemin de notre ambition», indique Paul-François Fournier, directeur exécutif en charge de l’innovation chez Bpifrance.

4,1 milliards d’euros levés par les startups deeptech en 2023

Une fois lancées, les entreprises du secteur parviennent à capter des capitaux malgré la crise du financement qui frappe la tech depuis près de deux ans. L’engouement pour des innovations de rupture, notamment dans la greentech, et surtout l’euphorie autour de l’IA générative ont largement contribué à séduire les investisseurs qui se montrent plus prudents actuellement au moment de placer leurs billes sur des acteurs de l’écosystème tech.

Ainsi, ce sont 4,1 milliards d’euros qui ont été levés en 2023, soit 38 % de plus qu’en 2022 et quatre fois plus qu’il y a cinq ans. Cela place la France presque au même niveau que le Royaume-Uni (4,7 milliards d’euros), leader en la matière en Europe. Les méga-levées de fonds de Verkor (850 millions d’euros) et Mistral AI (498 millions d’euros en deux temps) ont lourdement pesé dans le calcul final. A noter que 11 des 15 plus grosses levées de fonds dans la French Tech l’an passé ont été effectuées par des startups dans la deeptech, un secteur qui compte aujourd’hui 8 licornes.

Avec un tel montant total, les levées de fonds dans la deeptech ont représenté 50 % du marché du capital-risque l’an passé, contre à peine 23 % en 2018. De manière plus globale, l’Europe s’est affirmée dans le secteur depuis 2018, en passant de 10 % des montants levés à l’échelle mondiale en 2018 à 22 % en 2023.

«L’écosystème est en train de se prendre en charge»

Pour créer cette dynamique, Bpifrance n’a pas hésité à mettre la main au portefeuille. En effet, la banque publique d'investissement dirigée par Nicolas Dufourcq a ainsi injecté 493 millions d’euros dans 76 startups deeptech en 2023, un montant en hausse de 68 % sur un an. Au total, 1,4 milliard d’euros a été investi par Bpifrance depuis 2019 pour soutenir l’essor de cet écosystème. La banque publique a également appuyé son soutien aux acteurs du financement avec 397 millions d’euros fléchés vers des fonds deeptech l’an passé, ce qui porte cet effort à 1,6 milliard d’euros depuis cinq ans. A terme, Bpifrance vise un effet de levier chiffré à 5 milliards d’euros.

Si Bpifrance a joué un rôle moteur dans la structuration de l’écosystème deeptech au cours de ces dernières années, la banque publique d'investissement rappelle qu’elle n’a pas vocation à rester une perfusion durable pour cet écosystème. Dans ce cadre, le lancement de France Deeptech, en fin d’année 2023 pour regrouper les principaux investisseurs deeptech et acteurs de la recherche afin de structurer une communauté engagée autour des entrepreneurs deeptech, est un signal positif. «France Deeptech, c’est le France Digitale de la deeptech pour être tout à fait clair. «L’écosystème est en train de se prendre en charge, il gagne en autonomie. C’est une grande satisfaction de voir que nous ne serons plus la seule voix du secteur désormais», se réjouit Paul-François Fournier.

Les collaborations entre des fonds d’investissement et des acteurs du monde académique constituent également des signaux positifs, à l’image du nouveau fonds de 60 millions d’euros lancé la semaine passée par Elaia en partenariat avec l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL) et d’autres institutions de recherche européennes. «On voit apparaître des leaders, comme Verkor, Pasqal et Amolyt Pharma», note également le directeur exécutif en charge de l’innovation chez Bpifrance. Si Verkor et Pasqal se sont distingués par des levées de fonds conséquentes, Amolyt Pharma est sorti du lot en ce début d’année puisque la biotech lyonnaise a tapé dans l’œil du mastodonte pharmaceutique AstraZeneca, prêt à débourser près d’un milliard d’euros pour se l’offrir. Si l’opération est validée par les autorités réglementaires, elle constituerait l’une des plus grosses ventes jamais enregistrées dans l’histoire de la French Tech.

«On arrive à une forme de palier»

Globalement, le tableau est donc très positif cinq ans après le lancement du plan deeptech, mais il y a encore de nombreux efforts à fournir pour atteindre les objectifs fixés par l’exécutif. «Pour aller plus faut, il faut qu’on industrialise», estime Paul-François Fournier. La dynamique est enclenchée puisque les startups deeptech exploitent 143 sites industriels, dont 26 créés en 2023 (+73 % par rapport à 2022). «Il faut également mobiliser de plus en plus les fonds corporate qui ont un rôle très structurant à jouer dans l’écosystème deeptech. L’enjeu est aussi de stimuler les exits», ajoute Paul-François Fournier. Ce dernier estime que la démarche ne doit pas seulement être française : «On parle avec des Italiens, des Anglais, des Belges.. C’est important de constituer un écosystème paneuropéen.»

Même si la traction est là, le dirigeant de Bpifrance appelle à ne pas se reposer sur ses lauriers. «Dans une période un peu chahutée, on pense qu’on arrive à une forme de palier. D’ou l’intérêt d’initiatives pour remobiliser l’écosystème et éviter un risque de plateau avec les dispositifs actuels. Il faut qu’on accélère. Pour cela, il faut notamment que l’on crée une grammaire commune entre le monde de la recherche et le monde de la finance», assure-t-il.  Dans ce sens, l’annonce ce jour-même du lancement d’un venture builder impliquant le CEA, Supernova Invest et Technofounders fait directement écho aux propos de Paul-François Fournier, qui se montre optimiste quant à un retour des investissements dans la tech européenne avec la perspective de la baisse des taux d'intérêt. Le rêve d’une «Nation Deeptech» française, appelé de ses vœux par Jean-Noël Barrot avant de quitter ses fonctions à Bercy, semble donc sur de bons rails.