Il y a ces entreprises dont la performance repose sur une vision stratégique de long terme, et une exécution rigoureusement planifiée sur plusieurs exercices. Et puis il y a les startups, ces structures nées dans un écosystème dense, véloce avec leurs propres règles et nées pour expérimenter. Des machines à tester en temps réel leur produit, leur marché, leur modèle. Elles avancent vite, très vite. Parfois trop vite. Et dans cette vélocité, un paradoxe surgit : les symptômes visibles d'un problème ne sont presque jamais la cause profonde.

Dans un monde idéal, pour évaluer correctement une startup, on élaborerait un diagramme d'Ishikawa méthodique, classant avec précision les indicateurs de performance selon leurs catégories distinctes : finance (trésorerie, fonds propres), produit (adéquation au marché, stabilité technique), clients (acquisition, rétention), équipe (compétences, alignement), process internes (pilotage, outils), stratégie (vision, cohérence des objectifs). Ce serait propre, lisible. Mais ce serait faux.

La vérité, c'est que les startups fonctionnent autrement. Fini l'idée reçue qui prétend qu'il s'agit simplement de jeunes entreprises immatures et faiblement structurées. Ce sont des systèmes dynamiques dont la survie dépend de leur capacité à tester en continu, à évoluer vite sans se désintégrer. Ce n'est pas la nature d'un indicateur qui est critique, c'est sa place dans un tout. Ce n'est pas le symptôme qui importe, c'est la causalité.

Prenons un exemple : un EBITDA négatif dans une entreprise classique serait, en gestion classique, un signal d'alerte rouge. Pourtant, si cet EBITDA est le reflet d'un investissement massif dans un actif technologique différenciant, il peut être la clé d'un modèle futur hautement rentable. À l'inverse, une croissance rapide du nombre de clients, perçue comme un indicateur de succès, peut dissimuler une dette technique croissante entraînant à terme un produit instable. Ce qui semble un moteur peut être un mirage.

Une stratégie révisée tous les trimestres 

La frontière entre une startup en errance et une startup à fort potentiel est mince. La différence ne réside pas dans les indicateurs bruts, mais dans la capacité à les relier à une trajectoire, à une dynamique marché unique, à une compréhension intime du système. Il ne suffit pas de lire les tableaux de bord. Il faut en décoder la logique. Il faut se poser aux côtés de l'entrepreneur, comprendre sa machine de l'intérieur, analyser les interactions entre toutes les dimensions de l'entreprise.

C'est là que réside l'essence d'un accompagnement pertinent : rendre visible l'invisible. Récemment une startup B2B affichant une croissance commerciale impressionnante masquait en réalité un risque majeur de concentration client. Son top 3 représentait 85% du chiffre d'affaires ce qui est alarmant et devrait être compris comme un signal d’alarme. Inversement, une deeptech aux revenus encore modestes mais dont le taux de conversion des POC atteignait 90% révélait un potentiel de scalabilité exceptionnel. L'art de l'accompagnement consiste à détecter ces signaux faibles, à les interpréter correctement, puis à construire avec l'équipe fondatrice les leviers d'action adaptés. Il ne s'agit pas d'imposer une grille de lecture standard, mais d'élaborer ensemble une matrice d'analyse propre à chaque modèle d'entreprise.

Dans les startups les plus avancées, notamment dans les modèles fondés sur l'IA et la data, la stratégie n'est pas révisée tous les ans. Elle l'est tous les trimestres. Voire tous les mois. Cela demande une rigueur extrême dans le pilotage. Et une capacité tout aussi grande à prendre du recul, à questionner les fondements, à reposer sans cesse la vision.

L'évaluation d'une startup exige donc une double compétence : la maîtrise technique des indicateurs financiers et opérationnels classiques, mais aussi une intelligence systémique capable de comprendre les relations de causalité entre ces indicateurs. Dans cet écosystème très dynamique, les entrepreneurs comme les investisseurs doivent développer cette capacité à lire entre les lignes des données, à distinguer les signaux structurels des bruits conjoncturels. Car la croissance durable n'est pas seulement une question de chiffres - elle est avant tout une question de cohérence.