De retour de San Francisco après l’AI Engineer World’s Fair 2025, une impression mitigée s’impose. Cette édition a doublé sa fréquentation par rapport à 2024 – plus de 2500 participants venus du monde entier pour ce qui s’affirme comme le rendez-vous incontournable des ingénieurs IA. Un succès qui témoigne de l’effervescence technologique, mais révèle aussi deux réalités parallèles préoccupantes.

La course aux buzzwords dans la bulle

D’un côté, la Silicon Valley s’emballe dans une fuite en avant technologique. Les démonstrations d’IA générative se succèdent, promettant de révolutionner chaque aspect de nos vies professionnelles. Le vocabulaire technique évolue à vitesse grand V : on n’entend presque plus parler de RAG, le terme “agent” est devenu la norme absolue, et MCP (Model Context Protocol) fait figure de nouveau graal. Chaque startup présente son “game changer”. Chaque investisseur évoque la “prochaine disruption”.

De l’autre, les discussions avec les (rares) participants européens révèlent un fossé grandissant. L’adoption réelle en entreprise reste timide. Beaucoup d’organisations demeurent prudentes, confrontées à des défis concrets : ROI incertain, questions de sécurité, complexité d’intégration, formation des équipes. Les chiffres parlent : seules 23 % des entreprises françaises ont déployé l’IA au-delà du stade expérimental.

L’angoisse existentielle des développeurs

Plus troublant encore : la peur palpable qui traverse chaque conversation avec les ingénieurs présents. Cette crainte d’être remplacés par les outils qu’ils développent eux-mêmes crée un paradoxe saisissant. Comment innover sereinement quand l’innovation menace votre propre emploi ? Cette anxiété questionne la soutenabilité sociale de cette révolution technologique.

Nos atouts français face à la nouvelle donne de l’IA

Cette dualité – euphorie technologique versus anxiété humaine – illustre parfaitement les enjeux actuels. L’IA progresse, certes, mais à quel prix humain ? Et pour quelle adoption réelle ? C’est là que la France peut jouer ses meilleurs atouts. Exit le tout-technologique. Place à une approche humaniste de la transformation. Nous devons nous appuyer sur notre culture d’ingénierie et notre exigence méthodologique. L’enjeu : définir comment l’IA sert la stratégie globale de nos entreprises. Il faut accompagner la mutation des équipes techniques – de développeurs d’outils à orchestrateurs de systèmes IA – en plaçant l’humain au centre. Cette approche multi-niveaux, alliant ambition technologique et intelligence humaine, permettra de franchir le fossé entre les promesses californiennes et une mise en œuvre concrète.

Car l’AI Engineer World’s Fair nous rappelle une évidence : derrière chaque révolution technologique se cachent des questions profondément humaines. Il nous faut les adresser avec lucidité. Avant qu’il ne soit trop tard.