Le mépris des faits et des connaissances scientifiques, la désinformation, la manipulation apparaissent aujourd’hui comme les principales menaces au fonctionnement de toutes les organisations, et au-delà de notre système démocratique. Sous l’impulsion de leaders parfois démocratiquement élus, l’indifférence par rapport à la vérité des faits devient une réalité quotidienne et affecte la nature et la qualité des décisions économiques, politiques, sociales et entrepreneuriales. A l’heure où les entreprises et les gouvernements font face à un climat d’incertitude croissante, l’ancrage dans la réalité scientifique et empirique devient une priorité stratégique. C’est justement l’un des thèmes sous-jacents des Rencontres Économiques d’Aix-en-Provence, qui se tiennent du 3 au 5 juillet. 

Pour autant, les défis auxquels font face nos sociétés ne se résument pas à une approche déterministe concernant la « vérité », pour au moins trois raisons : premièrement, la connaissance scientifique et factuelle est incomplète, et n’apporte ainsi qu’un éclairage nécessairement partiel aux actions ou politiques publiques envisagées. Autrement dit, les prescriptions reposant sur les connaissances scientifiques existantes peuvent légitimement donner lieu à des hésitations, non pas sur le message, mais sur sa pertinence au regard de tout ce que l’on ne sait pas et de l’importance relative à accorder à ces zones d’ombre de la connaissance. C’est évidemment encore plus le cas dans des périodes d’innovation générique et rapide, comme le développement de l’intelligence artificielle générative, par exemple, où l’on ne peut encore que spéculer sur son impact sur l’ensemble des activités et des capacités humaines. 

La bonne utilisation des faits requiert de l’humilité 

Deuxièmement, le bien-être et l’intérêt collectifs reposent sur un grand nombre de dimensions, que toute action va affecter de façon différente et parfois contradictoire : certains paramètres s’améliorent, d’autres se détériorent. La justification de l’action ne peut donc être, la plupart du temps, simplement technique et scientifique, elle demande un arbitrage et une pondération entre plusieurs objectifs souvent irréconciliables et une prise de risques. C’est donc un processus social et politique. Autrement dit, le respect des faits et des connaissances scientifiques, tout indispensable qu’il soit, ne suffit pas pour légitimer une action donnée ni pour la rendre possible. 

Enfin, comme nous l’ont rappelé les scientifiques Hugo Mercier et Dan Sperber (The Enigma of Reason, Harvard University Press, 2017), la raison humaine, considérée en général comme la clef de l’accès à toute « vérité », sert plutôt à asseoir les convictions individuelles et à convaincre les autres de les partager.  Dans la masse des connaissances disponibles, chacun choisit donc les éléments susceptibles de développer une argumentation convaincante. Loin de conduire naturellement à un consensus raisonnable, le respect de la science est compatible avec l’entrechoc de vérités partielles, comme si chacun exploitait la complexité de toute chose pour n’en retenir que les éléments confortant sa propre position. 

Au total, la bonne utilisation des faits et des connaissances requiert de l’humilité, la conscience de tout ce que l’on ne sait pas, l’écoute des différents schémas d’argumentation, le débat et enfin la prise de risque, consciente et délibérée. Tout cela est bien loin des échanges de certitudes, voire d’insultes, qui caractérisent les faux-débats qui nous entourent. Autant de raisons d’aller participer aux Rencontres d’Aix, un espace de confrontation fertile et ouvert entre décideurs, chercheurs, entrepreneurs et société civile.