Pendant des années, la French Tech a vécu un rêve éveillé. Croissance éclair, levées de fonds records, valorisations stratosphériques : l’économie numérique semblait invincible. Malgré des projets pertinents, nombre de startups se sont réveillées brutalement.
Ces deux dernières années ont marqué un tournant. Tout s’est durci, très vite. Les financements se sont raréfiés, les exigences des investisseurs ont changé et les modèles uniquement portés par la croissance ont montré leurs limites. Dans un environnement devenu plus contraint, la rentabilité est redevenue une boussole. Elle n’a pas refait surface : elle a simplement repris la place qu’elle n’aurait jamais dû quitter. La discipline budgétaire, la rigueur dans l’exécution, la capacité à faire des choix (y compris difficiles) font aujourd’hui la différence. C’est ce qui permet d’avancer quand le marché se tend et ce qui protège une entreprise sur le long terme.
Les exemples de faillites ne manquent pas. Ynsect, après avoir levé plus de 550 millions d’euros, a été placée en sauvegarde en 2024. Pourtant en 2022, l’entreprise affichait 568 000 euros de chiffre d’affaires… pour 90 millions d’euros de pertes. Mais ce n’est pas un cas isolé : Bioserenity, Cityscoot, ou plus récemment Nao Robotics et Plato sont des noms qui incarnaient l’espoir technologique français.
La Banque de France recense 129 start-up matures en cessation entre janvier 2023 et juin 2024. Et selon Scale X Invest, 70% d’entre elles avaient levé dans les trois dernières années. La conclusion est claire : le problème ne vient pas d’un manque d’argent, mais d’un manque de solidité.
Après Vivatech, et si la vraie audace n’était plus d’aller vite, mais de durer ?
En lançant Click & Boat en 2014 avec mon associé Edouard Gorioux, nous avons fait un pari à contre-courant : ne pas courir après les levées de fonds. C’était un choix risqué, parfois inconfortable, mais profondément assumé.
Dix ans après notre lancement, nous sommes devenus leaders européens de la location de bateaux. Une croissance organique, construite pas à pas, et une rentabilité que nous avons toujours placée au cœur de notre stratégie. Entre 2016 et 2020, nous avons racheté quatre concurrents. Non pas en brûlant du cash, mais en misant sur un modèle sain, pensé pour durer.
Pourquoi ce choix ? Parce que la rentabilité n’est pas un frein, c’est un levier stratégique. Là où certaines startups affichent un burn rate mensuel de plusieurs millions, nous avons privilégié un pilotage rigoureux et une maîtrise des coûts, pour créer une entreprise résiliente et capable d’absorber les crises sans vaciller.
Mais lever des fonds n’est pas une erreur, c’est plutôt une dépendance. Car très vite, on ne construit plus pour ses utilisateurs mais pour ses investisseurs. On ne mesure plus l’impact réel, mais la valorisation projetée. Et soyons lucides : seule une faible proportion des startups qui ont levé avaient vraiment besoin de le faire. Une levée n’a de sens que si elle sert un plan stratégique ambitieux, appuyé par des investissements solides. Trop souvent, on a levé pour "gagner du temps", pour "passer dans le Next40", pour coller à la norme. Ce n’est pas suffisant.
Or, le vent a tourné. En 2023, 60 % des startups françaises ne parvenaient plus à sécuriser leur prochain tour de table (EY). La hausse des taux d’intérêt a mis fin à l’argent facile. L’exigence est revenue, et avec elle, une forme de maturité : celle de valoriser à nouveau la preuve plutôt que la promesse.
Ce changement de paradigme appelle un nouveau récit entrepreneurial. Celui d’une ambition plus lucide, plus ancrée. D’une performance qui ne sacrifie ni les équipes, ni la qualité du service, ni la viabilité du modèle.
Certains fonds ont pu encourager des dérives, mais il ne faut pas oublier que chaque entrepreneur reste maître de ses choix. Gardons le cap sur l’essentiel : notre modèle, notre vision, et surtout, nos clients. Et si, au fond, la vraie modernité consistait à valoriser l’entrepreneuriat patient, les croissances organiques et les modèles rentables dès le premier jour ? Le charme discret de la rentabilité mérite sans doute plus d’intérêt.