2021 : Octave Klaba, fondateur, et Michel Paulin, alors directeur général, sonne la cloche à Euronext. OVHcloud entre officiellement en Bourse. Quelques années plus tard, OVHcloud est à un virage, qu'Octave Klaba et son équipe doivent bien négocier.
Michel Paulin a quitté l’entreprise, en bons termes, en octobre 2024, laissant la direction générale à Benjamin Revcolevschi, jusque-là directeur général adjoint. En janvier 2025, la société a opéré une réduction de capital, retirant une partie de la cotation et remboursant certaines investisseurs, comme pour marquer définitivement un changement d’identité. Cette année sera également celle d’un retour à un cash flow positif.
Aujourd’hui, OVH veut devenir un “écosystème” et se dirige doucement vers l’intelligence artificielle et le quantique. Octave Klaba en exclusivité partage sa roadmap pour Maddyness.
Maddyness : Les résultats financiers d’OVHcloud du troisième trimestre ont été publiés, comme l’exige la cotation. Il y a une croissance 7,2% sur le marché français, de 8,4% en Europe et de plus de 11% au global. Êtes-vous satisfaits ? Pensez-vous atteindre les objectifs fixés pour 2025 ?
Octave Klaba : Nous maintenons nos objectifs pour l'année, avec une prévision de croissance comprise entre 9 et 11%, et un EBITDA supérieur à 40%. En 2025, nous anticipons un retour à un cash flow positif, ce qui marquera la première fois depuis plusieurs années.
M. : Entre ces trois marchés, la France, l’Europe et le reste du monde, quelle est votre priorité ? Où prévoyez-vous d’accélérer ?
O.K. : Le cloud ne peut pas être abordé uniquement par pays ou par produit. Il s'agit plutôt d'une multitude de produits déployés à travers différents pays, chacun avec des canaux de commercialisation et des stratégies de go-to-market distincts. Les investissements étant considérables, obtenir un retour sur investissement nécessite une base de clients large.
Pour cela, notre présence va au-delà de l’Europe, avec des opérations aux États-Unis, en Asie, et ailleurs. Actuellement, nous comptons 1,6 million de clients dans le monde et exploitons 44 data centers répartis dans plusieurs pays. Nous avons des équipes locales en France, en Allemagne, au Canada, aux États-Unis, à Singapour et en Inde, où nous générons des revenus.
Notre approche est multi-locale, nous nous rapprochons de nos clients en travaillant avec des équipes locales qui parlent la langue, en signant des contrats locaux, et en facturant dans les monnaies des pays concernés, avec une comptabilité locale. Cela constitue un véritable avantage compétitif.
M. : Êtes-vous encore une entreprise française ?
O.K. : Il y a plusieurs façons de répondre à cette question. Nous venons de Roubaix-Est, près des quais de Sartel, c'est là que tout a commencé. Nous sommes une entreprise française dans la mesure où 50% de notre chiffre d'affaires est réalisé en France. Cependant, nous sommes aussi une entreprise européenne, ayant créé une douzaine de filiales à travers l'Europe entre 2004 et 2009.
À partir de 2011, nous avons élargi notre présence en Amérique du Nord, d'abord au Canada, puis aux États-Unis en 2016. Aujourd'hui, nous sommes une entreprise mondiale, avec 50% de notre chiffre d'affaires généré à l'international, dont un quart hors d'Europe. Ce dernier segment connaît la croissance la plus rapide, notamment avec les États-Unis où nous enregistrons notre plus forte croissance.
M. : Les revirements géopolitiques que nous sommes en train de vivre depuis quelques années et notamment la hausse des tensions commerciales avec la Chine, comment cela impacte votre business ?
O.K. : Cette situation nous renforce. Elle confirme que tout ce que nous avons mis en place et imaginé au cours de ces deux dernières décennies est pertinent. En prenant ces mesures complexes, nous nous assurons d'être prêts à répondre aux besoins de nos clients, tant aujourd'hui que dans les années à venir.
M. : À VivaTech, Jensen Huang, le patron de Nvidia, a annoncé qu’il voulait multiplier par 10 la puissance de calcul de l’Europe en deux ans, pour accélérer le développement de l’IA. Il était sur scène aux côtés du président de la République, invité d’honneur au dîner… Il n’y a pas un double discours autour de la souveraineté ?
O.K. : Il faut considérer les deux côtés de la question. Nvidia est une entreprise commerciale, et il n'est pas étonnant qu'elle cherche à multiplier les contrats pour ses GPU. Elle ne refusera pas des accords à plusieurs milliards, c'est dans son intérêt. Personne ne peut reprocher à Jensen Huang de se déplacer personnellement pour garantir un gros deal.
Effectivement, une des stratégies de NVIDIA est de décentraliser la demande, en intégrant ses puces dans différents marchés comme le Moyen-Orient, la Chine, le Japon ou l’Europe, et pas uniquement auprès des acteurs américains. Ce volet commercial est indéniablement présent, et il est important de ne pas être naïf à ce sujet.
D'autre part, les arguments des acteurs politiques sont également valables. Personnellement, je n'ai pas envie de voir une IA alimentée par 80% de données provenant uniquement de la culture américaine. Il est nécessaire d'inclure ce que nous avons construit, notre propre culture. Derrière cela se cache une question de souveraineté, une approche proprement française et européenne.
Emmanuel Macron a bien réussi cette année, au Sommet pour l’action sur l’IA et à VivaTech, à mettre en lumière des startups françaises et européennes, à montrer qu'il existe une alternative face aux géants américains, à souligner que des initiatives se développent en Europe. Il est évident qu’en dehors de la France, la situation est plus difficile.
La France représente une réelle opportunité pour devenir un leader de l'IA en Europe et rayonnant à l'international. Les politiques ont donc raison dans leur démarche.
M. : Quelle est votre stratégie IA justement ?
O.K. : L'IA joue un rôle crucial pour OVH, à la fois pour nos clients et pour nous-mêmes. Nous travaillons depuis plusieurs mois sur l'intégration de l'IA dans nos processus internes, avec plusieurs millions d'ordinateurs virtuels en jeu. Nous avons la capacité d'accompagner nos clients dans leurs opérations et de les aider à exploiter davantage l'IA. De plus, nous possédons une grande quantité de données propriétaires que nous allons utiliser pour développer des systèmes internes, afin d'améliorer nos performances.
Les produits que nous créons pour nos besoins internes seront ensuite mis à la disposition de nos clients
M. : Peut-on donner des exemples ?
O.K. : Nous sommes en train de construire une plateforme de datasets, fournissant les données nécessaires pour entraîner des modèles d’IA. Ce projet inclut un outil permettant de manipuler des données textuelles, visuelles et vidéo, afin de créer des datasets d’entraînement. Cette plateforme de données sera mise à disposition de nos clients pour les aider à gérer leurs données sensibles, créer leurs propres jeux de données et affiner leurs modèles. En parallèle, nous nous dirigeons vers la création de notre propre modèle.
Dans les prochains trimestres, nous prévoyons de lancer notre modèle, semblable à DeepSeek, Llama ou Mistral. Bien que la date exacte soit encore indéterminée, ce modèle sera open source, avec plusieurs variantes de fine tuning.
Nous constatons qu’il existe encore beaucoup d'expertise à développer dans les domaines du raisonnement des IA, des agents et du fine tuning. La principale barrière reste la gestion des données, leur licence et leur transformation. La plateforme que nous développons pour nous-mêmes servira également nos clients, et nous deviendrons ainsi un fournisseur de LLM
M. : Votre stratégie est de couvrir toutes les couches de l’IA, de l’infrastructure aux modèles ?
O.K. : Nous voulons être une alternative. Je ne pense pas qu’un conglomérat puisse répondre seul aux besoins des clients. À mon avis, il faut présenter un véritable écosystème. Dans cet écosystème, les clients attendent certains fondamentaux, mais leur demande va au-delà de cela. Ils souhaitent également intégrer une multitude de startups.
Ces fondamentaux doivent être enrichis par un écosystème global de produits. C’est là qu’intervient notre rôle. Notre mission est d’adopter une approche écosystémique, en intégrant à notre modèle une centaine, voire deux cent mille autres entreprises, pour conquérir ensemble le marché européen.
M. : Au lancement d’OVHcloud, en 1999, aviez-vous déjà cette vision, que ça pouvait devenir un géant français, européen, et qu'il allait falloir se mettre à l'IA ?
O.K. : Non. Je voulais créer une entreprise différente, dans laquelle j’aurais moi-même aimé travailler. Les valeurs étaient essentielles. Ensuite, je souhaitais développer quelque chose autour des ordinateurs connectés ensemble.
Nous produisons de la valeur avec des produits intelligents, simples, multilocaux, accessibles, réversibles et transparents. Et pour les personnes, nous avons aussi cinq valeurs fondamentales : la confiance, la collaboration, la responsabilité, des éléments essentiels pour permettre à chacun de se retrouver et de performer au travail.
D'un autre côté, il est évident que le cloud est devenu la fondation de l'économie. Cela peut sembler exagéré, mais réfléchissez-y. Aujourd'hui, rien ne fonctionne sans le cloud. Vous ne pouvez pas payer, regarder une vidéo, envoyer un email ou communiquer avec les autres sans lui. Le cloud est devenu l'infrastructure de base de toute l’économie, et cela va se renforcer dans l’industrie et ailleurs. Quand un dirigeant politique se voit confier la responsabilité de guider un pays, mais ne maîtrise pas les fondations de son économie, comment peut-il exécuter sa feuille de route ? C’est justement ce qui s’est passé en début d’année.
M. : Vous êtes engagés également dans le quantique. Pourquoi ?
O.K. : Il y a quatre ans, nous avons cofondé France Quantum avec l’idée que la France possède une expertise, des entreprises et des chercheurs exceptionnels dans ce domaine.
Nous sommes convaincus que le prochain grand mouvement technologique sera le quantique. C’est pourquoi nous avons voulu nous engager pour soutenir l’écosystème en développement. Notre rôle est d’évangéliser la technologie avec deux messages principaux. Le premier, c’est que cette technologie est en train de devenir mûre et qu’elle va arriver, mais elle est tellement différente que les entreprises ne peuvent pas simplement attendre passivement son émergence.
Les grandes entreprises doivent se préparer. Si votre entreprise génère plus d’un milliard d'euros de chiffre d’affaires par an, vous devriez allouer au moins un million d’euros par an pour investir dans le quantique. Cela inclut par exemple le recrutement pour comprendre cette technologie et son impact sur votre secteur d’activité. Il est crucial de commencer à saisir le lien entre votre industrie et le quantique. Comprendre cette technologie prendra trois à quatre ans. C’est notre message. Pour notre part, nous avons investi dans un ordinateur quantique avec Quandela, un choix qui répond à nos besoins, notamment pour renforcer la sécurité du chiffrement.
La technologie quantique est déjà accessible, notamment à travers les émulateurs. C’est ce que nous avons mis en place avec notre cloud quantique, qui propose une interface et un logiciel permettant de coder en quantique et de tester au quotidien.
M.: Pour quels cas d’usage ?
O.K. : Il est évident qu'il n'existera pas une seule technologie quantique, car elle repose sur différentes applications de la physique. Certains ordinateurs quantiques s'appuient sur la photonique, tandis que d'autres utilisent des technologies distinctes. Chaque type de qubit est spécifique et adapté à des usages particuliers.
Prenons l'exemple d'EDF, qui utilise déjà le quantique pour certaines de ses opérations. Pour anticiper la direction du photon et déterminer la taille du câble électrique nécessaire afin de prédire la production d’énergie et de l’équilibrer en temps réel avec l’offre, ils auront besoin d’un ordinateur quantique spécifique. L’enjeu majeur réside dans le passage à l’échelle de cette technologie.
Dans le domaine de la chimie, cependant, la situation est différente. Par exemple, pour prévoir une réaction chimique dans le cadre de la recherche d’un médicament, notamment pour l’étude des protéines, un autre type d’ordinateur quantique est nécessaire.
M. : Ce ne sera pas un marché avec un unique “winner takes all” ?
O.K. : Il y aura bien des “winner takes all”, par verticale.
M. : Quelle est votre stratégie financière dans les prochains mois ?
O.K. : Nous avons effectué une réduction de capital en janvier. En 2021, nous avions levé 358 millions d’euros en Bourse et nous nous étions engagés à exécuter certains produits, dont le cloud public, avec une quarantaine de produits à livrer. Nous avons tenu nos engagements par différentes phases, mais les résultats financiers ont été moins bons que prévu. Nous avons consommé du cash, recruté, et acquis des entreprises, ce qui a réduit notre EBITDA. En 2023, nous avons atteint le point le plus bas, deux ans après l’introduction en Bourse. Depuis, nous avons commencé à augmenter à nouveau notre EBITDA, en mettant en vente certains produits, car nos équipes sont désormais au complet et nous livrons tous nos développements. Nous prévoyons une augmentation des revenus.
Certains de nos investisseurs ont exprimé leur impatience, disant qu'ils n’avaient pas le temps d'attendre davantage. D’autres investisseurs historiques ont également manifesté leur souhait de sortir, notamment après le départ de Michel Paulin et l’arrivée de Benjamin Revcolevschi à la direction générale.
J'ai estimé que c’était le moment opportun pour changer de paradigme et restituer le capital aux investisseurs. J’ai donc rendu les 350 millions d’euros à ceux qui le souhaitaient. OVH a racheté ces parts et procédé à une diminution de capital. Personnellement, ma part d’actionnaire est passée de 67 % à 81 %.