Alors que la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) devait initialement s’appliquer à un large nombre d’entreprises dès 2026, l’Omnibus Simplification Package et le “stop the clock” publiés en février 2025 par la Commission européenne ont suspendu le calendrier initial, réduisant de 75 % le nombre d’entreprises concernées. Cette décision a suscité une vive incertitude, notamment chez celles déjà engagées dans une démarche de reporting extra-financier, certaines ayant même choisi de publier dès 2025 un rapport aligné CSRD à titre volontaire pour se préparer concrètement aux exigences futures. Pourtant, la CSRD conserve un rôle clé : elle peut devenir un catalyseur de performance durable et un outil stratégique au service de la compétitivité, à condition d’être pleinement intégrée dans la gouvernance et la planification des entreprises.

Anticiper la CSRD  : un défi technique aux effets structurants

Même pour des entreprises déjà rodées aux standards GRI, se conformer à la CSRD représente un saut exigeant. L’exercice nécessite souvent plus de 15 mois de travail et mobilise de nombreuses équipes transverses ainsi que des auditeurs externes. La CSRD impose en effet un haut niveau de granularité, un focus renforcé sur les informations qualitatives et une analyse approfondie de la double matérialité.

Cette dernière s’affirme comme la pierre angulaire du reporting extra-financier : elle éclaire   à la fois les impacts de l’entreprise et les risques qu’elle encourt face aux enjeux de durabilité. Une évaluation de double matérialité robuste constitue la base indispensable pour bâtir une stratégie RSE pertinente et résiliente. La révision des normes ESRS, dont un projet sera publié mi-juillet par l’EFRAG, pourrait heureusement simplifier cet exercice, en clarifiant la matérialité et en filtrant les informations réellement significatives.

Aligner stratégie, impact, et création de valeur

Trop souvent perçue comme un simple exercice de conformité, la CSRD offre pourtant une opportunité unique : celle d’intégrer la durabilité au cœur de la stratégie et de la gouvernance. En s’appuyant sur l’exercice de reporting, il devient possible de revoir les systèmes de gestion de la durabilité, d’identifier les écarts avec les ambitions affichées et de recalibrer les objectifs.

Mener une évaluation des risques climatiques, par exemple, permet d’intégrer les enjeux environnementaux dans les registres de risques globaux, favorisant une gestion intégrée et cohérente. L’exercice met également en évidence les synergies et interactions négatives entre thématiques RSE, permettant de les anticiper et de les intégrer aux plans d’amélioration.

Par ailleurs, le reporting CSRD contribue à renforcer le dialogue avec le conseil d’administration, en créant un récit plus aligné entre ambitions d’impact et création de valeur à long terme. L’implication des dirigeants est un facteur déterminant pour inscrire la durabilité dans la prise de décision quotidienne.

Créer une dynamique collective et dépasser la charge réglementaire

Si le rapport Draghi de 2024 qualifie la CSRD de « source majeure de charge réglementaire », avec des coûts estimés entre 150 000 et un million d’euros, ces dépenses doivent être comparées aux bénéfices attendus. Une meilleure transparence et un pilotage plus fin des risques contribuent à renforcer la confiance des parties prenantes et à améliorer la résilience de l’entreprise, des atouts essentiels dans un contexte de transition environnementale et sociétale.

Un des enseignements majeurs de l’exercice de la CSRD est la dynamique collective qu’il suscite. La préparation d’un rapport mobilise finance, RH, juridique, marketing, conformité et équipes RSE, qui travaillent ensemble et créent de nouvelles synergies. Cette transversalité renforce la cohérence du rapport, mais aussi les liens entre performance financière et objectifs de durabilité, ancrant la RSE comme une responsabilité partagée.

La CSRD ne doit pas être réduite à une simple obligation réglementaire. Bien pensée et intégrée, elle peut devenir un outil puissant d’amélioration continue et un levier stratégique pour renforcer la compétitivité. Pour les entreprises, anticiper la CSRD permet d’aligner leur stratégie durable avec les attentes sociétales et environnementales, et de se préparer à l’évolution des exigences européennes.

Alors que l’EFRAG s’apprête à publier un projet de révision des ESRS mi-juillet, il est plus que jamais nécessaire de dépasser une approche centrée sur la conformité. En faisant de la durabilité un enjeu collectif et stratégique, le reporting devient un véritable moteur de transformation et de création de valeur.