Le calcul quantique, longtemps cantonné aux laboratoires de recherche et aux spéculations futuristes, est en passe de devenir une réalité opérationnelle pour les entreprises. Et cette réalité, bien plus proche qu’on ne l’imagine, pourrait transformer en profondeur les industries. Car oui, le calcul quantique n’est pas une simple évolution technique. C’est une rupture. Là où les systèmes actuels peinent à modéliser des scénarios multiples avec des milliers de paramètres, les ordinateurs et algorithmes quantiques ouvrent des perspectives inédites. Imaginez, des molécules simulées en un temps record pour accélérer la découverte de nouveaux traitements, ou encore l’optimisation de recharge de batteries électriques repensés pour augmenter drastiquement leur efficacité. Ces avancées ne sont plus de l’ordre du fantasme : elles sont à portée de main, et entrent en visibilité des business plans à 5 ans des entreprises.

Pour autant, cette révolution n’est pas synonyme d’un bouleversement total des technologies actuelles, mais plutôt une extension de leurs capacités. Les usages quotidiens continueront de s’appuyer sur les outils éprouvés - le machine learning, l'IA, GenAI, l'agentique IA, les HPC / Ordinateurs Haute Performance - que nous connaissons. Mais le calcul quantique viendra compléter à moyen terme cet arsenal analytique dont disposent les entreprises, avec l’opportunité d’offrir un avantage supplémentaire décisif : la capacité de dépasser les limites actuelles et d’explorer des solutions pour le moment inaccessibles. Et c’est bien là que réside l’enjeu. Le calcul quantique ne se limite pas à une prouesse scientifique. Il est un outil de compétitivité et de souveraineté qui, pour les entreprises qui sauront s’y préparer, pourrait se traduire par des gains opérationnels, financiers et métiers sans précédent.

Cependant, pour que les entreprises puissent pleinement tirer parti de cette avancée, elles devront relever un défi de taille : synchroniser leur montée en régime avec l’évolution rapide des technologies quantiques. La complexité réside dans la confrontation de deux horloges. Celle des entreprises, d’une part, car tous les acteurs français du quantique et les acteurs qui testent déjà le calcul quantique sur des cas d'usage confirment qu'il faut entre 3 et 4 ans pour le mettre en place, en menant un marathon d'expérimentation et de mobilisation interne. Et celle des technologies, d’autre part, avec le passage à maturité des ordinateurs tolérants aux fautes (ions piégés, supraconducteurs, photonique, atomes froids, spins, etc. ), c’est-à-dire avec une maitrise acceptable des erreurs, qui rapproche l’horizon 2027-2029, moment où le seuil critique de 100 qubits logiques, point de bascule pour l’industrialisation et le passage à l’échelle de la technologie, sera atteint.

Pour les entreprises, il faut donc définir une feuille de route de montée en régime progressive qui doit être lancée rapidement pour permettre de maitriser l'avantage quantique "computationnel" au moment où la technologie entrera dans sa phase de stabilisation.  Faute de quoi, le risque de décrochage de compétitivité se présentera si un acteur maitrise cet avantage quantique et redéfinit les standards de performance de son industrie.

Pour naviguer cette période clé, il faut mettre en place une feuille de route (une "roadmap" de préparation) sur une dizaine de domaines et commencer ce marathon : identifier les cas d’usage pertinents, mobiliser les talents, former les équipes, nouer des partenariats stratégiques,  cumuler de l’expérience, tester des premières solutions technologiques, préparer les interfaces avec tous les autres systèmes technologiques - autant d’étapes indispensables qui nécessitent du temps, des ressources et une vision claire.

Ne pas l’anticiper serait une erreur. Une erreur stratégique, car les entreprises qui ne se préparent pas risquent de se retrouver face à un « effet falaise de compétitivité » : un moment où, par manque d’anticipation, elles seront incapables de rivaliser avec des concurrents mieux préparés. Une erreur économique, car les opportunités offertes par le quantique – qu’il s’agisse de gains de productivité, de réduction des coûts ou de création de valeur – ne profiteront qu’à ceux qui auront su les saisir. Une erreur, enfin, en termes de souveraineté technologique, car dans un monde où les États-Unis et la Chine investissent massivement dans le quantique, l’Europe, et en particulier la France, qui dispose d’atouts considérables, ne peuvent se permettre de rester à la traîne.

Certaines innovations, bien que discrètes à leurs débuts, finissent par influer durablement sur certains secteurs.  Si le quantique a alimenté fantasmes et débats d'experts, la réalité pour les entreprises est toute autre : la révolution quantique est inévitable. La vraie question n’est plus si, mais quand — et surtout, comment s’y préparer.