Xavier Niel était de retour à Station F ce jeudi 4 décembre. Et comme il le rappelle régulièrement, quand il fait un crochet par l’incubateur de startups qu’il a initié, c’est souvent pour les grandes occasions. Au cœur de l’automne, le fondateur d’Iliad avait à cœur d’introduire la conférence ai-PULSE organisée par Scaleway, la branche cloud de son groupe. Et pour cause, Yann LeCun, l’un des pères fondateurs de l’intelligence artificielle, était de la partie sous la nef de Station F.
Le chercheur français est l’attraction du moment depuis qu’il a annoncé son départ de Meta il y a deux semaines. Si cette annonce a fait du bruit, puisqu’elle met fin à une collaboration de 12 ans entre Yann LeCun et Meta, elle n’est pas très surprenante. En effet, Mark Zuckerberg et le Tricolore ont des divergences qui paraissaient de plus en plus difficiles à surmonter ces derniers mois sur la stratégie IA du géant américain.
Le fondateur de Meta rêve d’une «superintelligence» artificielle capable de dépasser nos capacités intellectuelles, tandis que Yann LeCun estime que grands modèles de langage, les fameux LLM, ne seront jamais capables d’être à la hauteur de l’intelligence humaine. Le recrutement d’Alexandr Wang, co-fondateur de Scale AI, il y a quelques mois pour prendre la tête du Meta Superintelligence Labs et ainsi rapprocher Mark Zuckerberg de son objectif avait acté cette scission idéologique entre les deux hommes.
«Il s’agissait du bon moment pour créer une autre entité»
Dans ce contexte, la prise de parole de Yann LeCun était très attendue. De manière polie, il a confirmé qu’il n’était plus sur la même longueur d’onde que Mark Zuckerberg au sein de Meta. «Il pense qu’AMI (Advanced Machine Intelligence) représente le futur, mais il a réalisé ces derniers mois que le champ potentiel des applications allait bien au-delà de ce qui intéressait Meta. Il était donc devenu évident pour moi qu’il s’agissait du bon moment pour créer une autre entité», a déclaré Yann LeCun aux côtés de l’entrepreneur néerlandais Pim de Witte, CEO de General Intuition, un laboratoire de recherche qui cherche à développer des agents d’IA dotés de capacités de perception et de raisonnement spatial, et d’Aude Durand, directrice générale déléguée du groupe Iliad. Le lauréat du prix Turing en 2019 a néanmoins précisé que Meta serait un partenaire, mais pas un investisseur, de la société qu’il est en train de créer. Aucun nom n’a encore été dévoilé pour cette dernière.
Alors qu’il s’apprête à lancer sa propre startup, Yann LeCun a confirmé son intention de poursuivre ce qu’il a entamé avec le programme de recherche en intelligence artificielle avancée (AMI). En effet, le chercheur français ne croît pas aux grands modèles d’IA générative qui aiguise l’appétit des mastodontes de la tech américaine, mais plutôt dans les «world models», des systèmes capables de simuler le monde physique qui nous entoure pour prédire les conséquences de leurs actions, de manière à terme de pouvoir prendre des décisions autonomes.
La startup de Yann LeCun basée à Paris ?
Dans ce contexte, Yann LeCun ne s’est pas privé pour fustiger les géants américains qui se livrent une bataille féroce pour atteindre la «superintelligence» artificielle convoitée notamment par Mark Zuckerberg. «La Silicon Valley est complètement hypnotisée par les modèles génératifs. Il est donc plus judicieux de créer une alternative en dehors de la Silicon Valley, à Paris», a-t-il estimé. Une manière de sous-entendre qu’il pourrait installer sa startup dans la capitale française ? Ce serait un retour aux sources pour Yann LeCun qui a monté le laboratoire FAIR (Facebook Artificial Intelligence Research) à Paris en 2015.
Décidément en forme, le Français en a profité pour remettre une couche pour tacler les entreprises américaines engagées dans la course à l’IA. «Les acteurs américains ont pris une mauvais chemin. Si l’IA progresse aujourd’hui, c’est grâce à l’open source. Et les meilleurs modèles open source à l’heure actuelle sont chinois», a-t-il assuré. Une manière de défendre son bilan chez Meta et d’amener DeepSeek dans la discussion sans nommer l’entreprise chinoise. L’arrivée tonitruante de cette dernière en janvier avait été décrite par certains observateurs comme un «moment Spoutnik». Yann LeCun pourra-t-il faire mieux en 2026 avec sa propre startup ?
Enchanted Tools et le premier spin-off de Kyutai également à l’honneur
Pourchassé par l’équipe de Quotidien, le chercheur français ne s’est pas éternisé à Station F. Après son passage sur scène, le robot d’Enchanted Tools et Neil Zeghidour, qui dirige Gradium, le premier spin-off de Kyutai, ont fait le show dans l'ancienne halle Freyssinet.
Ainsi, Aude Durand s’est pliée à un dialogue humoristique avec le robot d’Enchanted Tools, avant que Jérôme Monceaux, le patron de l’entreprise tricolore qui avait tapé dans l’œil de Satya Nadella (Microsoft) lors du CES 2024, ne monte sur scène. Quant à Neil Zeghidour, il a constitué le clou du spectacle en proposant une démonstration des capacités d’IA vocales de Gradium, société lancée il y a seulement trois mois pour développer des modèles de langage audio conçus pour offrir des interactions vocales naturelles, expressives, à très faible latence et à grande échelle. Pour cela, il a échangé avec un petit robot pour lui demander de s’exprimer dans différentes langues et différents accents. Mention spéciale pour l’accent québécois !
C’est une manière de prouver que Kyutai, le laboratoire lancé en grande pompe lors de la première édition de la conférence ai-PULSE il y a deux ans, a permis de belles avancées scientifiques, désormais exploitées en dehors du champ d’action de la structure dirigée par Patrick Pérez. D’autres spin-offs de Kyutai devraient voir le jour dans les prochaines années, selon Neil Zeghidour. Dès la prochaine édition d’ai-PULSE ?