L'annonce de la mort de Take Eat Easy a jeté la semaine dernière un pavé dans la mare de la livraison à domicile. Si la nouvelle en a surpris plus d'un, elle a pointé la difficulté des startups qui se sont lancées dans ce marché ultra-concurrentiel. Mais toutes les startups concurrentes de Take Eat Easy sont-elles vouées à disparaitre ? 

Mardi dernier, Take Eat Easy annonçait son placement en redressement judiciaire. En cause : des revenus inférieurs à ses coûts, mais aussi l’impossibilité de trouver des investisseurs pour mener une troisième levée de fonds. Des raisons qui, dévoilées publiquement par Adrien Roose, fondateur de la startup, ont permis de mettre le doigt là où ça fait mal : le secteur n'est pas rentable, et ne le sera peut-être jamais.

Deliveroo, de son côté, a déposé le 26 juillet un acte de "Poursuite d'activité malgré un actif net devenu inférieur a la moitié du capital social". Les associés ayant décidé d’écarter la dissolution, la société dispose alors d’un délai de deux ans pour régulariser sa situation. Une régularisation qui devrait s'opérer grâce à l'augmentation de capital tout juste réalisée par le groupe. Celui-ci, qui revendique une croissance de plus de 400%, a en effet bouclé un cinquième tour de table de 275 millions de dollars, menée par Bridgepoint, General Catalyst et ses investisseurs historiques DST Global et Greenoaks Capital.

deliveroo_fr-300

Mais alors pourquoi le business model de ces jeunes pousses de la livraison à domicile n'est-il pas viable ? Comment faire pour qu'il le soit ? Les concurrents de Take Eat Easy sont-ils tous voués à l'échec ? Pas vraiment. Pour comprendre pourquoi certains s'en sortent mieux que d'autres, il est nécessaire de comprendre les différences entre les acteurs du marché de la livraison à domicile.

Trois modèles co-existent

Les nouveaux restaurateurs

Actifs sur le marché depuis moins de trois ans, ceux-ci sont spécialisés dans la livraison de repas faits maison. Ils proposent chaque jour une sélection de plats, cuisinés en interne avec des produits de saison, livrés ensuite par leurs soins.

Acteurs en France : Frichti, Foodcheri, PopChef, Le Zeste, Nestor

Les marketplaces

Celles-ci prennent une commission de 10 à 15% par commande et apportent des commandes aux restaurants en gérant toute la digitalisation du point de vente, de la carte au site internet en passant par les push sur les réseaux sociaux, les relations clients et l'application mobile, en laissant cependant les restaurants s'occuper de leurs propres livraisons.

Acteurs en France : Les historiques Alloresto (racheté par Just Eat en 2014) et PagesJaunes Resto (ex-Chronoresto).

allo resto

Les Delivery

Ceux-ci prennent une commission de 25 à 30% pour assurer les échanges entre restaurateurs et clients, c'est-à-dire en centralisant et en gérant les commandes, puis en les faisant livrer eux-mêmes. Chaque course est assurée par un livreur auto-entrepreneur, à vélo, en scooter ou même en voiture.

Les acteurs en France : Take Eat Easy, Deliveroo, Foodora, et UberEats.

Pourquoi le modèle des Delivery n'est-il pas rentable ?

Pourtant pour ces derniers, tout n'est pas si simple. Si Deliveroo, Take Eat Easy ou encore Foodora connaissent un succès incontestable depuis quelques années, aucun de ces acteurs ne génère une marge contributive positive. En clair, les coûts qu'ils engrangent sont supérieurs à leurs revenus, et à chaque vente réalisée, ceux-ci perdent de l'argent. Un problème qui s'explique, selon William Robert, CEO de PagesJaunes Resto, par le prix trop peu élevé des paniers commandés.

" Sur un panier à 30 euros, la startup gagne 10 euros, sauf que ses coûts variables sont beaucoup plus élevés "

William Robert

Il faut ainsi, pour chaque startup, intégrer dans ses frais la logistique (les livreurs), le service client, mais également les frais liés aux "dispatcheurs" chargés de répartir les livreurs selon les commandes, au recrutement de livreurs, au matériel, etc. Des coûts qui, mis bout à bout, dépassent de loin les gains réalisés par la startup.

" Sans parler même du coût d'acquisition de clients, qui est traditionnellement le plus gros poste de coût variable d'un acteur e-commerce, et qui dans le cas de la commande avec livraison, a littéralement explosé au cours des dernières années, avec la multiplications des acteurs investissant dans le secteur "

William Robert

Résultat : une marge contributive négative très importante, si importante que même en envisageant des économies à l'échelle, le temps, la diminution de l'intensité concurrentielle, ceux-ci semblent voués à l'échec, en tout cas sans investisseurs pour les appuyer.

take eat easy

Pourquoi les investisseurs continuent à s'y intéresser ?

Et justement, les investisseurs, sont bien ce qui a manqué à Take Eat Easy pour continuer à se développer. Si les investisseurs sont nombreux sur le secteur depuis sa création, et les sommes injectées importantes, ces derniers semblent aujourd'hui recentrer leurs investissements. C'est ainsi que le fonds GFC (Rocket Internet), qui avait investi 6 millions d'euros en avril 2015 dans Take Eat Easy, a ainsi décidé de ne pas réinjecter d'argent.

" Les investisseurs parient aujourd'hui sur un futur leader "

Gilles Raison, directeur général France d'AlloResto

Foodora, racheté par Rocket Internet et ensuite cédé à Delivery Hero, est de son côté loin de mettre la clé sous la porte, nous affirme Boris Mittermüller, son CEO. La startup, qui revendique aujourd'hui 20 à 40 % de croissance par semaine pour 1 000 restaurants partenaires à Paris, 250 restaurants à Lyon et maintenant 100 restaurants à Bordeaux, a déjà recruté plus de 100 livreurs issus de Take Eat Easy et récupéré sous son aile plusieurs restaurants français. Et malgré une croissance exponentielle, elle concède être, elle aussi, déficitaire.

" Aucun des acteurs n'est profitable et on travaille sur des marges très faibles voir négatives, mais c'est quelque chose qui va changer avec le temps, le volume et l'utilisation des coursiers, et c'est ça qui intéresse les investisseurs "

Boris Mittermüller

foodora

Foodora profite ainsi des investissements de Rocket Internet pour évoluer et construire son business model, mais également du cash de Delivery Hero, à qui elle appartient. Ce dernier, considéré comme l'un des plus gros acteurs de la livraison à domicile, est de son côté profitable.

" Sans eux, on ne pourrait pas avoir de succès dans un marché aussi concurrentiel "

Boris Mittermüller

Et les autres ?

Si le modèle des Delivery est aujourd'hui bien loin d'être le meilleur, celui d'AlloResto et PagesJaunes Resto semble être le plus à même de perdurer. En refusant de s'encombrer de la livraison, les deux sociétés sont aujourd'hui rentables. Et puisque tous les restaurants ne peuvent assurer la livraison eux-mêmes, AlloResto propose depuis peu les services de Stuart, spécialiste sur ce marché avec qui il s'est récemment allié. Une manière efficace de toucher un plus grand nombre de restaurants sans pour autant augmenter ses coûts.  Just-Eat, actionnaire d'AlloResto, revendiquait ainsi 105 millions de commandes en 2015 et annonce pour l'année 2016 un EBITDA de 100 millions de livres.

PagesJaunes Resto, qui compte près de 1 200 établissements partenaires en France, prévoit de son côté de lancer une nouvelle application d'ici le mois de septembre.

pages jaunes resto

A lire également : 4 leçons sur la fin de Take Eat Easy