Les récentes vagues de licenciements au sein de l’écosystème tech révèlent une facette plus sombre de l'entrepreneuriat : la gestion humaine des départs. Les dirigeants, parfois jeunes et juridiquement peu armés, se retrouvent déstabilisés face à des situations complexes. Comment limiter les bévues et mieux vivre ces épreuves ? Hélène Daher, fondatrice du cabinet d’avocat Daher Avocats, experte en réorganisation depuis plus de 15 ans, souligne l’importance de la préparation :

« Nous recommandons entre 1 à 3 mois en amont pour être au clair sur les règles applicables et la procédure : information des représentants du personnel, catégories impactées, postes supprimés, critères d’ordre de licenciement le cas échéant, plan de sauvegarde de l’emploi, mesures d’accompagnement, etc. »

L’autre volet fondamental est la communication. « Le mot d’ordre est la transparence : il faut communiquer avec les collaborateurs sur les raisons qui justifient la suppression d’un poste ou d’un licenciement économique. Plus la communication est fluide et mieux le projet est compris, donc accepté », souligne Hélène Daher. Concernant la procédure en elle-même, il est important de se faire conseiller car certaines étapes doivent être respectées : « Quel que soit le motif de licenciement, la décision ne doit jamais être prise avant sa notification officielle. » Reste le côté émotionnel : comment les entrepreneurs vivent-ils ces prises de décision difficiles ? Quels sont les enseignements qu’ils retirent de ces expériences ? 

Kevin Bourgeois, cofondateur de Supermood : « Le premier licenciement est un moment extrêmement marquant »

Kevin Bourgeois avait à peine 24 ans lorsqu’il a dû licencier son premier collaborateur. « Le primo licenciement est un moment extrêmement marquant dans la vie d’un entrepreneur ». Il confie humblement avoir commis quelques impairs : « Lors de l’annonce, je me suis excusé, ce qui décrédibilise totalement la décision. De plus, j’ai utilisé le pronom “je” pour expliquer la situation. Or, il est primordial de séparer l’humain, à savoir le relationnel, de l’aspect professionnel, en parlant au nom de l’entreprise. Ça permet de contextualiser l'argumentaire. » D’un point de vue émotionnel, c’est une petite tornade qu'il faut apprendre à gérer : « Dans une startup, lorsque l’on doit se séparer d’un collaborateur “historique”, généralement tout s'imbrique : la distinction entre l’entreprise et le dirigeant s’émousse. ll faut prendre du recul face à la critique personnelle, autant que possible… » 

Ses 3 recommandations pour une gestion plus sereine des licenciements : 

  • Ne pas hésiter à se faire accompagner par un avocat, surtout la première fois : « Ça coûte un peu d’argent mais c’est indispensable pour aller dans la bonne direction et éviter des erreurs encore plus dispendieuses. »
  • Se partager les rôles : « Le manager concerné et le dirigeant doivent endosser des rôles distincts pour ne pas brouiller les messages. L’un se concentre sur l’explication mécanique du processus. L’autre sur les aspects plus humains, les raisons culturelles du licenciement ou liées à la performance, par exemple  », souligne Kévin Bourgeois.
  • Communiquer auprès des équipes restantes : « Il faut juguler très tôt les rumeurs et expliquer les raisons de la décision avec transparence. » Dans cet exercice délicat, le cofondateur de Supermood promeut l’informel : « Nous passons par les managers pour qu’ils informent leur équipe : en cercle restreint, les salariés s’ouvrent plus facilement et posent des questions. »

Thierry Vignal, cofondateur Masteos : « Le rôle d’un entrepreneur est de prendre des décisions difficiles »

Masteos a été durement touchée par une double crise : celle du capital-risque, entraînant une diminution drastique des levées de fonds, conjuguée à la crise immobilière. « Au cours des 18 derniers mois, nous avons été au cœur de la tempête. Nous avions levé des fonds rapidement et en grande quantité : en 2022, notre effectif comptait 400 salariés. Aujourd'hui, nous sommes descendus à 150 personnes », confie Thierry Vignal. Au sein des différentes filiales de la startup, de nombreux départs volontaires ont été organisés. Une véritable épreuve humaine pour le cofondateur : « J’ai ressenti une grande culpabilité car cela est très mal vécu, en particulier par les personnes présentes depuis le début. Elles sont confrontées à un processus RH assez déshumanisé, alors qu'elles avaient rejoint une entreprise qui se voulait initialement familiale. » 

Ses 4 recommandations pour une gestion plus sereine des licenciements :

  • Oser prendre une décision parfois impopulaire est une nécessité selon Thierry Vignal : « Il vaut mieux anticiper et ne pas attendre que la situation empire. Cela demande du courage, car c'est moins facile à justifier auprès des salariés, mais permet une meilleure gestion de la période. »
  • Éviter les licenciements par vagues : « Comme nous restions dans l’expectative face à la situation économique, nous avons préféré procéder par étapes. Or, cela a généré une ambiance délétère auprès des équipes. Il est préférable de les mener sur une période courte, même si, émotionnellement, ça reste challenge. » 
  • Recommander et accompagner les salariés sortants : « Suite au départ, l’accompagnement du CEO est très important pour les rassurer et les soutenir. Je n’ai pas hésiter à prendre mon téléphone, à faire appel à mon réseau et à recommander des personnes. »
  • Budgéter les coûts cachés est un aspect souvent négligé mais crucial lors de l'anticipation des licenciements, selon Thierry Vignal. « L'un des effets collatéraux de ces périodes est la baisse de productivité des équipes. Il est impératif de l'inclure dans le business plan pour éviter les mauvaises surprises », conclut-il.