« Il y a des annonces et des menaces claires. Nous pouvons voir les prémices d’une guerre froide technologique », assume Christophe Grosbost, chief strategy officer de l’Innovation Makers Alliance (IMA), association qui réunit 150 entreprises, institutionnels et laboratoires, et fédère toutes les personnes qui portent le sujet du numérique en entreprise. Sous l’impulsion de l’IMA, les 150 organisation adhérentes ainsi que 60 startups et quelques organisations dont France 2030, France Digitale, en collaboration également avec Station F, publient un manifeste pour la souveraineté numérique de la France et l’Europe. « Ce n’est pas un plan d’action. L’idée est d’offrir une boîte à outils recensant l'ensemble des choses qui peuvent être faites en Europe, en France et de manière plus pratique au sein des entreprises et des stations », insiste Christophe Grosbost.

La manifeste présente 33 « recommandations stratégiques pour soutenir notre indépendance technologique ». Le but est de proposer « des leviers concrets à mettre en oeuvre par les pouvoir publics européen et français mais aussi directement par les grandes entreprises du pays ». Certaines propositions sont faciles à mettre en place comme créer une plateforme qui réunit tous les besoins technologiques des groupes privés et qui permettrait d'exposer ça aux startups, « aujourd'hui souvent dans une une opacité totale sur les besoins des grands groupes », précise Christophe Grobost. D’autres sont plus complexes et déjà partagées par de nombreux acteurs, comme l’union des marchés des capitaux européens. Le manifeste prône aussi la création d’un « small business act européen » pour réserver, de manière légale, une partie des achats technologiques des grands groupes à des solutions souveraines.

« On ne peut pas attendre que les 27 s’accordent sur une politique de souveraineté »

« Une autre proposition très stratégique est la création d’un data space », enchaîne le chief strategy officer de l’IMA. Le manifeste insiste également sur l’importance de financer des infrastructures IA et de la puissance de calcul ou encore de continuer de développer un cloud souverain européen en fusionnant des initiatives nationales.

Pourquoi publier ce manifeste et ses recommandations maintenant ? L’arrivée de Donald Trump au pouvoir a tout changé et notamment avec ses restrictions quant à l’exportation de GPU, essentielles à la tech, en Chine. « Les menaces sont assez explicites de la part des Etats-Unis, si un jour, nous ne montrons pas patte blanche, de nous bloquer l’accès à leur GPU ou à leur capacité d’IA », analyse Christophe Grosbost. « Nous avons vu aussi ce que Mark Zuckerberg, patron de Meta, par exemple a commencé à faire en changeant la politiques sur ses réseaux et la manière dont, finalement, on se retrouvait avec des outils qui allaient peut-être de moins en moins être alignés avec la culture européenne », dit-il en faisant référence à la suppression d’un programme de fact-checking et l’assouplissement de la modération des contenus sur les réseaux du groupe Meta. « L’intelligence artificielle redéfinit tout. Avoir une IA souveraine, développée sur notre territoire et non-influencée par des acteurs étrangers est vital. »

Il faut donc s’emparer de cette question et vite. « On ne peut pas attendre que les 27 s’accordent sur une politique de souveraineté numérique unifiée. Il sera trop tard», affirme Christophe Grosbost. « La France doit monter l’exemple, que c'est possible de recréer un peu plus d'autonomie stratégique dans nos groupes et dans nos administrations sur le territoire. » En matière d’IA, l’offre des startups françaises est complète et s’affine de plus en plus avec de nouvelles solutions. Pourtant, malgré des grands groupes convaincus de cet enjeu de souveraineté technologique, une large majorité préfère souscrire à Open AI ou Microsoft qu’à Mistral. « Les entreprises françaises dont nous sommes très fiers, nous avons des ingénieurs exceptionnels, sont de taille vraiment plus petites que leurs concurrents américains », conclut le chief strategy officer de l’IMA. Encourager la souveraineté grâce à un cadre légal et à un soutien des pouvoirs publics, oui. Mais certaines initiatives n’ont pas besoin du législatif et notamment les politiques d’achats des grands groupes du CAC40 ou du SBF 120.