« Valoriser une startup d’intelligence artificielle, c’est un acte de foi », se risque à commenter un banquier d’affaires parisien. Aujourd’hui, impossible de monter une jeune pousse tech sans avoir une couche d’intelligence artificielle "by design". Mais l’explosion de l’IA générative et agentique bouleverse la productivité, ouvre le champ des possibles d’une manière inédite. Avec aussi peu de recul sur l’impact économique des solutions à base d’IA, difficile de les valoriser, et ce, du seed à au late stage.
Il faut d’abord redéfinir la chaîne de valeur de l’IA. « Elle commence aux computing plateforms. Ensuite il y a les modèles de fondations, puis tous les outils pour les équipes techniques, ce qu’on peut appeler ‘middleware’ et enfin la couche applicative », explique Nicolas Essayan, investisseur, founding partner du fonds Drsydale. « Ce sont des projets de natures très différentes et qui se valorisent de façon complètement différente. »
Mistral, Photoroom, Dust… Valoriser les modèles de fondation
Les investisseurs en capital-risque veulent faire une plus-value, et leur investissement dans une startup se calcule avec, en ligne de mire, l’espoir d’un exit important. « Si vous levez 100 millions d’euros, on applique un multiple de 10. Cela vous condamne à créer une licorne, vous devez vous valoriser1 milliard, pour dérisquer l’investissement de vos VC », résume un spécialiste de la finance de startups. Les fonds ne soutiennent pas des solutions révolutionnaires comme le Chat de Mistral, mais des potentielles applications commerciales de ces solutions. Mais comment évaluer ce champ des possibles pour des startups d’IA fondamentales souvent encore à la recherche d'un business model stable ?
Aux premiers tours de table, pré-seed, seed, série A, la valorisation de ces modèles repose essentiellement sur des accomplissements scientifiques. Les premières années de développement, 60 à 70% des enveloppes ont vocation à être dépensés en puissances de calcul et GPU. Le deuxième poste de dépense, ce sont les rémunérations des chercheurs, des profils ultra-qualifiés ayant déjà publié des papiers de recherche, etc. « D’un point de vue économique, en réalité, les investisseurs font le pari que ces dépenses de GPU et de talents vont amener au préentraînement de modèles qui sont susceptibles à terme d'avoir une application commerciale qui va générer des revenus exponentiels », confirme Nicolas Essayan.
Concrètement, les équipes d’investissement en capital-risque s’appuie sur la force de l’équipe, la capacité d’exécution et la taille du marché. « À la série B puis aux suivantes, on est rattrapés par les fondamentaux de toute valorisation que sont le revenu, et à terme l’EBITDA et le cash-flow », poursuit le fondateur de Drysdale. Dans l’IA fondamentale, pour Mistral, Photoroom ou Dust par exemple, « ce qui compte aujourd’hui, c’est d’être dans le top 5 mondial des acteurs, modalités par modalités », conclut-il.
Solutions applicatives : des critères de valorisations bouleversées
« L’IA fait tomber une à une les barrières à l’entrée technologique d’un marché », analyse John Karouby, partner de la banque d’affaires Neumann. Avec le développement du vibe coding et des IA génératives spécialisées dans la génération de code ou de logiciels, ainsi que la large démocratisation de l’open-source, il devient techniquement assez facile de développer une solution à base d’IA appliquée à un cas d’usage précis. La valorisation de ces startups de la couche applicative d’IA, comme Super, Actionable, ou Veesion, pourrait alors se rapprocher de celles de SaaS classique.
« Les questions qui se posent aujourd’hui sont celles qui se posaient à l’époque du début du SaaS : est-ce qu’on se démarque grâce à la tech, au produit ou à l’exécution », analyse John Karouby. « Tout le monde peut développer une couche applicative. L’important c’est alors l’exécution et le savoir-faire métier. » Dans une perspective d’exit, il s’agit de développer le meilleur produit qui donnera un avantage comparatif important à celui qui en fera l’acquisition. Une startup peut ne pas être intrinsèquement dangereuse mais, si on l’ajoute à une autre solution, peut devenir extrêmement stratégique. C’est ce qui motive les grands groupes ou les scaleups à faire des acquisitions de jeunes pousses. Et fait monter la valeur de ces exits.
Les datasets utilisés pour entraîner ces suite d’agents jouent alors un rôle décisif. « La data collectée, qu’elle soit publique, de contexte, de contact, et comment elle est utilisée, c’est cela qui crée un barrière à l’entrée », explique John Karouby. Et donc qui peut déclencher l’investissement de VC. « Le capital-risque est un sport de haut niveau », commente un observateur de la tech. Tant du côté des investisseurs que des entrepreneurs. « Pour jouer ce jeu, il faut avoir de bons capitaux et pas seulement des investisseurs. Il vous faut les meilleurs, ceux qui ouvriront les bonnes portes. » Et c’est pareil du côté des fonds : il vous faut les meilleurs entrepreneurs, pas ceux qui ont la connaissance technique la plus affutée, mais ceux qui sauront développer la petite brique manquante à un métier et la commercialiser.