La tech européenne retient son souffle. Coincée entre la vitesse d’exécution impressionnante de la tech chinoise et la puissance et les capitaux des marchés américains, les startups et scaleups européennes peinent à rester dans la course. Pourtant, le contexte est décisif, il faut abattre ses cartes aujourd’hui pour construire une souveraineté européenne technologique robuste et couper toute dépendance aux solutions et infrastructures étrangères. Pour permettre aux startups et scaleups du Vieux Continent d’atteindre des tailles capables de rivaliser avec leurs concurrents mondiaux, la Commission européenne présente, ce mercredi, sa stratégie startups et scaleups.
Maddyness a pu se procurer les grandes lignes de cette stratégie, présentée par la Bulgare Ekaterina Zaharieva, commissaire aux startups, à la recherche et à l’innovation, et le Français Stéphane Séjourné, vice-président exécutif pour la prospérité et la stratégie industrielle de la Commission européenne.
Le plan s’articule autour de 5 besoins majeurs des jeunes pousses : une régulation favorable à l’innovation, un meilleur financement, une expansion de marché, de meilleurs talents et enfin un accès à des infrastructures. Parmi les différentes propositions de la Commission, qui doivent ensuite être adoptée une à une, deux sont particulièrement attendues : le 28ème régime, réclamé par plusieurs associations nationales dont France Digitale, et le « Scaleup Fund ».
Le 28ème régime : clé d’accès au marché européen
Ce 28ème régime européen se matérialise sous la forme « d’un ensemble unique de règles s’appuyant sur des solutions digitales pour surmonter les obstacles à la création, à l'expansion et à l'exploitation des entreprises dans le marché unique. » Le but : faciliter l'expansion européenne des startups en leur fournissant un statut administratif unique à l'ensemble des pays européens. La Commission veut simplifier les normes juridiques concernant notamment l'insolvabilité, le droit du travail et le droit fiscal. « Elle étudiera la possibilité de permettre aux entreprises de s'établir plus rapidement en Europe, idéalement dans un délai de 48 heures », conclut le rapport sur ce point. Objectif d’entrée en vigueur : premier trimestre 2026.
Pascal Canfin, député européen coordinateur du groupe centriste Renew, lui-même affilié à Renaissance, a beaucoup travaillé sur cette question du 28ème régime. « Cette mesure est clé pour envoyer un message à l’écosystème de l’innovation européen. Il faut que nos startups puissent se développer et croitre en Europe. Nous n’avons absolument pas tirer bénéfice du marché unique », commente-t-il en rappelant que l’Union représente un marché plus important que les États-unis. Le député souligne un point important : l’harmonisation des stock-options, un enjeu décisif pour permettre aux fondateurs de recruter les meilleurs talents. « C’est une bataille que je vais mener pour ce 28ème régime. »
Le volet administratif de la stratégie européenne comprend d’autres mesures comme la proposition d’un « Innovation stress test » pour permettre aux pays volontaires d’évaluer les conséquences d’une nouvelle loi sur les jeunes pousses, ou encore le « European business Wallet », pour faciliter les affaires entre différents acteurs économiques européens.
Le « Scaleup Europe Fund » pour pallier « la vallée de la mort des startups »
La Commission propose également la création d’un « Scaleup Europe Fund pour soutenir la construction du chaînon manquant dans le financement des scaleups deeptech ». Ce nouveau fonds sera financé par des investisseurs privés et publics et sera opéré par un acteur privé. Il prendra des participations directement en equity dans les scaleups de l’IA, du quantique, de semi-conducteurs ou encore des biotechs. On peut espérer que les investissements de ce nouveau fonds soient plus importants que ceux de l'EIC, qui mise jusqu'à 30 millions d'euros dans des technologies stratégiques en amorçage. À cette première mesure, s’ajoute la volonté de l’UE de soutenir les réseaux de business angels, de développer des nouveaux instruments de financement pour les jeunes pousses de la sécurité et de la défense, ou encore l’expansion du Conseil européen de l’Innovation.
« Le vrai sujet est le prochain MFF (Multiannual Financial Framework, budget de l’UE, ndlr) », note Pascal Canfin. « Ce qui permettra de changer d’échelle, c’est la capacité à ce que dans le prochain budget, présenté en juillet, il y ait une ligne budgétaire significative, de plusieurs dizaines de milliards d’euros, dédiée au dérisquement des investissements en capital-risque. »
Pour le coordinateur du groupe Renew, il faut créer un cadre qui permettent d’investir l’épargne des citoyens, y compris en equity. « Dans le cadre de l'union des marchés de capitaux, il faut jouer sur les règles prudentielles pour faire en sorte que ça soit plus facile pour un investisseur institutionnel d’investir dans les startups et les scaleups », complète Pascal Canfin en rappelant qu’en zone euro, le taux d’épargne est de 16% alors qu’aux Etats-Unis, il est de 4%.
Pour France Digitale, « il faut passer du discours à l’action »
Sur la nécessité d’accéder à un marché plus vaste plus rapidement, la Commission propose de faciliter le transfert de technologies grâce à une initiative baptisée « Lab to unicorn ». Concernant les talents, sa stratégie consiste à renforcer les formations à l’entrepreneuriat à travers Erasmus+, harmoniser certains aspects de l’imposition des stock options, supprimer les taxes pour les travailleurs installés à l’étranger, et bien sûr développer une stratégie de visa pour attirer les étudiants les plus qualifiés, les chercheurs, et les entrepreneurs au sein des pays de l’UE.
Pour France Digitale, cette stratégie « est la reconnaissance du rôle décisif des startups dans la société et l'économie européennes. » Marianne Tordeux Bitker, chargée d’Affaires publiques au sein de l’association, insiste : « Les startups sont la clé de l'autonomie stratégique de l'Europe, et la Commission est prête à permettre la création de champions européens de la technologie. C'est une avancée majeure pour France Digitale et ce que nous demandions depuis plusieurs années. Maintenant, il faut vraiment passer du discours à l'action. »