Avec l’irruption massive de l’intelligence artificielle, le modèle SaaS entre dans une nouvelle ère. À VivaTech 2025, plus de 40 % des exposants présentaient des applications fondées sur l’IA. Loin d’être accessoire, elle s’impose désormais comme le moteur central de l’innovation produit. Résultat : ce ne sont plus seulement les interfaces qui évoluent, mais le modèle économique même du numérique.

Aux Cannes Lions, Ariel Kelman, président de Salesforce, a illustré cette bascule en dévoilant un CRM dopé à l’IA, capable de piloter une campagne marketing de bout en bout. Cette mutation reflète un virage majeur : le logiciel n’est plus une simple interface, mais un outil délivrant un résultat opérationnel tangible. Elle s’appuie sur deux tendances clés : la montée en puissance de l’IA générative et la disparition progressive des obstacles techniques à la création d’applications performantes.

Après plus d’une décennie de domination, porté par la généralisation du cloud et des investisseurs séduits par ses revenus récurrents et sa scalabilité, le modèle SaaS amorce une nouvelle vague. L’offre logicielle se réarticule autour de services autonomes, orchestrés par l’IA et directement corrélés à la valeur livrée. Ce glissement de l’outil vers l’output transforme l’ensemble de la chaîne de valeur numérique : design produit, modèle économique, relation client, KPIs et stratégies de financement.

Le SaaS, un modèle mature en quête de renouveau

Depuis quinze ans, le cloud a transformé la production logicielle. En donnant accès à des infrastructures mutualisées (AWS, Google Cloud, Microsoft Azure, OVH…), il a permis l’essor d’une génération de solutions SaaS moins coûteuses, évolutives et rapides à déployer.

Ce modèle, soutenu par des marges supérieures à 80 % et des revenus récurrents, a séduit les investisseurs. Les logiciels généralistes et verticalisés ont digitalisé la plupart des secteurs, faisant du SaaS une commodité incontournable.

Mais ce succès a conduit à la saturation. Trois défis majeurs s’imposent aujourd’hui :

Démontrer la valeur : les clients contestent un ROI parfois flou et une tarification souvent déconnectée de l’usage réel.

Conquérir de nouveaux clients : dans un marché surfinancé, les cycles de vente s’allongent et la concurrence par les prix fragilise la rentabilité.

Assurer l’interopérabilité : sans intégrations fluides, les outils restent cantonnés à des silos, limitant leur impact global.

Ces tensions structurelles poussent le système à se renouveler : différenciation technique, nouveaux modèles de monétisation plus alignés avec la valeur créée, et architectures logicielles plus ouvertes. C’est l’avènement d’une nouvelle ère dans le digital B2B : celle du Service As A Software, soit le SaaS 2.0

Le SaaS 2.0 ouvre la voie à un numérique qui facture ce qu’il délivre

Le SaaS 2.0 marque un glissement fondamental : on ne vend plus un outil, mais une exécution. L’IA générative et agentique transforme les logiciels en véritables moteurs de résultats, capables de produire un livrable contextualisé à partir d’une simple requête en langage naturel.

Les grands modèles de langage (ChatGPT, Mistral AI, etc.) ont familiarisé les utilisateurs et le grand public à l’usage du prompt, ouvrant la voie à des assistants sur mesure intégrés aux systèmes internes (CRM, SIRH, comptabilité) et aux cas d’usage propres à chaque métier.

Ainsi, le RAG (Retrieval-Augmented Generation) s’impose comme une approche clé : à partir d’applications d’IA enrichies d’une couche d’algorithmie verticalisée, entraînée sur des données sectorielles, il apporte une expertise métier réduisant le risque d’hallucinations. Les agents IA vont encore plus loin : autonomes, proactifs et interopérables, ils accomplissent des missions complexes de bout en bout, de l’étude de marché au rapport d’audit. On ne les conçoit plus comme des plateformes à configurer, mais comme des moteurs orientés résultat, capables de produire des livrables contextualisés, sans intervention humaine.

Un nouveau modèle économique et de financement est donc en construction : le prix des licences, historiquement indexé sur le nombre d’utilisateurs ou les fonctionnalités accessibles, tend à se réaligner sur la valeur effectivement créée. Le SaaS 2.0 place la requête au centre de la proposition de valeur, instaurant une corrélation directe entre dépense et impact réel pour l’entreprise.

Dès lors, plusieurs questions se posent : comment préserver des marges élevées tout en absorbant le coût d’appel aux LLMs ? Comment ajuster finement la taille des modèles pour qu’ils répondent aux besoins ciblés, sans surdimensionnement inutile ? Comment sécuriser des revenus récurrents et des engagements dans la durée ? Des forfaits temporels assortis d’un volume d’usage minimal ou de prestations garanties, avec une possibilité de dépassement, pourraient constituer une piste pertinente…

Un moment charnière pour l’innovation numérique

Le SaaS 2.0 prolonge la logique du SaaS classique, mais en l’ancrant davantage dans la performance métier. Cette mutation repose sur trois leviers : l’expertise métier, l’entraînement des modèles sur des données exclusives et l’excellence dans la mise sur le marché.

Hallucinations, prototypes instables, fonctionnalités limitées : le risque est réel de voir émerger une saturation du discours marketing, suivie d’un reflux de confiance.  Mais la dynamique est enclenchée : l’ère du logiciel orienté résultats ouvre un nouveau cycle d’innovation, où la valeur facturée correspond à la valeur délivrée.